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édito<br />
PAR ZYAD LIM<strong>AM</strong><br />
LA FRANCE FRACTURÉE<br />
Emmanuel Macron…<br />
Tout de même, quel stupéfiant personnage. Un<br />
Rastignac des temps modernes, ambitieux, courageux,<br />
à la fois sincère et cynique, un pur produit de<br />
la méritocratie, capable de jongler à l’infini avec les<br />
concepts, un homme sans parti, jamais élu, et qui a<br />
pris de court tout le système politique français en 2017<br />
pour devenir le plus jeune président de l’histoire de la<br />
République. Un chef sans véritable idéologie, adepte<br />
du « en même temps », penchant souvent à droite,<br />
plus rarement à gauche, écologique par idéal, sans<br />
l’être vraiment dans la pratique. Un chef qui se veut<br />
dans l’action, loin des saveurs et des délices de la<br />
politique politicienne, comme l’aimaient un Jacques<br />
Chirac ou un François Mitterrand… Un président<br />
décidé à rompre avec le poids de l’histoire, en particulier<br />
dans sa relation avec l’Afrique, à changer de<br />
génération, quitte à froisser les ego et les susceptibilités.<br />
Quitte aussi à beaucoup promettre (le discours<br />
de Ouagadougou), sans véritablement parvenir à<br />
inverser la donne. Un chef d’État finalement peu expérimenté<br />
qui affrontera au cours qu’un quinquennat<br />
brutal des crises majeures, systémiques, qui auraient<br />
pu l’emporter : celle des Gilets jaunes, véritablement<br />
soulèvement du peuple d’en bas, celle de la pandémie<br />
de Covid-19, celle enfin de la guerre, avec l’invasion<br />
de l’Ukraine et la menace aux portes du pays…<br />
Et puis, la France ne l’aime pas, ce Rastignac<br />
justement, trop jeune, trop souriant, trop brillant,<br />
trop sûr de lui, « arrogant » donc. Ici, c’est le pays de<br />
l’égalité, fortement inscrite dans les gènes, depuis la<br />
Révolution de 1789. On n’aime pas ce qui dépasse,<br />
et ce qui se distingue. La France est rétive, éruptive,<br />
complexe, difficile à gouverner.<br />
Et voilà pourtant que ce président au bout du<br />
rouleau, impopulaire, que l’on dit apolitique, est<br />
réélu, plutôt confortablement (58 %), repoussant<br />
à lui tout seul, et une fois encore, le danger d’une<br />
prise de pouvoir par le Rassemblement national<br />
de Marine Le Pen, explosif mélange entre l’extrême<br />
droite et la mayonnaise populiste… L’homme est<br />
habile, on ne demeure pas au pouvoir par hasard,<br />
il a du talent, mais la tâche qui l’attend pourrait<br />
paraître insurmontable.<br />
Pour toute une partie de l’opinion, la France<br />
est un pays fini, en voie de déclassement, un pays<br />
envahi, un pays ultralibéral, limite antisocial. La vérité<br />
ou les vérités relatives ne changent rien à cette analyse<br />
à la hache. Oui, vivre en France, ce n’est pas le<br />
bonheur pour tous, ce n’est pas le monde idéal. Personne<br />
ne sous-estime le besoin de modernisation et<br />
de mise à niveau de pans entiers du système, l’éducation,<br />
la santé, la justice, la sécurité sociale, les retraites.<br />
Mais personne n’est d’accord sur la méthode et les<br />
objectifs. Et tout le monde finit par oublier, que même<br />
affaibli, ce système reste l’un de plus généreux et les<br />
plus efficaces au monde. La redistribution fonctionne<br />
tant bien que mal et, là encore, mieux que presque<br />
partout ailleurs, mais l’anxiété est générale. Les revenus<br />
de la très grande majorité des Français sont fragiles<br />
avec un salaire médian modeste (un peu en dessous<br />
de 2 000 euros), ce qui rend inabordable pour la<br />
plupart de vivre dans les grands centres urbains dynamiques.<br />
La question du pouvoir d’achat est posée<br />
pour une grande partie des classes moyennes et<br />
populaires. Question devenue d’autant plus urgente<br />
que la guerre en Ukraine provoque des secousses sismiques<br />
sur les marchés de l’énergie, de l’alimentation,<br />
de certaines matières premières stratégiques pour<br />
l’automobile, la construction… Le défi écologique<br />
bouleverse une jeunesse qui se demande dans quel<br />
monde brûlé elle vivra. La mondialisation a provoqué<br />
une délocalisation massive des emplois industriels.<br />
Cette même mondialisation accentue les fractures<br />
territoriales, avec des villes à l’avant-garde de la technologie,<br />
de l’innovation et des services, et d’autres qui<br />
dépérissent dans des territoires de seconde division,<br />
entourées de campagnes qui se dépeuplent…<br />
AFRIQUE MAGAZINE I <strong>428</strong> – MAI 2022 3