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De l'Inde a l'Europe
Les castes, melange explosif
la coercition.
A propos de cette divion sociale
selon la profession, il dira que cela ressemble
a nos gildes qui protegeaient
les interets de leurs membres, leur
assuraient une formation solide,
garantie d'un travail de qualite. II ajoutera
que, pour transmettre les secrets
et les tours de main d'un metier, il n'y
a rien de tel que la transmission de
pere en fils, justifiant ainsi Ie caractere
hereditaire des castes.
Une troisieme esquive sera de dire
qu'en 1954, Ie nouveau Code Civil de
l'lnde les a supprimees. C' est vrai,
mais, en pratique, tres peu de choses
ont change. Moyennant quoi un
Occidental non au fait de la situation
indienne, admettra ces trois reponses :
passez muscade !
Mais, au fait, pourquoi evoquer un
probleme sur Iequel, de toute fa~on,
nous n'avons pas de prise? Bien sur,
notamment grace a Gandhi, nous
savons que Ie probleme des Intouchables,
qu'il appelait les Harijans, les
enfants de Dieu, existe et nous supposons,
a tort, qu'il voulait eliminer les
castes. En fait, il visait seulement a
rehabiliter ces damnes de la terre, ce
qui est, bien sur, louable.
Parmi les raisons de se pencher sur
cette question, outre son aspect humanitaire,
a cause du systeme des castes
et de ses abus, il se developpe peu a
peu, sourdement, une situation explosive
en Inde dont la destabilisation
aurait des consequences imprevisibles
a l' echelle mondiale .
Enfin, connaissant les outrances du
racisme brahmanique et son corollaire,
Ie patriarcat rabique, Ie lecteur saura
pourquoi Ie tantra est rejete en Inde et
aussi pourquoi ce livre ne fera guere
plaisir aux tenants d u systeme et
notamment aux braves swamis
indiens, qui ne manqueront pas de Ie
contester et avec qui je n'ai aucune
querelle, je Ie repete.
Une confusion
entretenue avec soin
En fait, Ie systeme dit « des castes »
resulte de deux modes de division, de
nature si differente qu'il vaudrait
mieux renoncer au mot caste car, en
fourrant tout dans Ie meme sac, on
embrouille tout, ce qui n'est pas fait
pour deplaire a tous ceux qui preferent
noyer Ie poisson ...
Le premier critere de discrimination,
purement racial, est ainsi varna, mot
sanskrit signifiant couleur (de la peau
evidemment). A l'avenir, j'utiliserai
donc varna, jati ou ciasse, pour distinguer
les quatre divisions basees sur la
race et qui sont intangibles. II y a,
d'une part, les Aryens, les « visages
pales », repartis d'abord en deux
classes principales, dominantes par
l'influence quoique largement minoritaires
en nombre : les brahmanes
(pretres) et les kshattriyas (guerriers et
princes), puis viennent Ies vaishyas,
les cultivateurs, les artisans, Ies commer~ants,
les usuriers, etc. qui forment
Ie gros de la troisieme classe des
« deux fois nes » du systeme vedique,
admis au port du « cordon sacre » et a
la religion vedique dont tous les autres
sont exclus.
Puis viennent les non-Aryens, Ies
soudras, les serfs descendants des
vaincus, incorpores de force dans Ie
systeme aryen en tant que quatrieme
dasse, et qui forment une masse de
main-d' ceuvre servile, taillable et corveable
a merci. Enfin, derniers parmi
les derniers, les hors-caste, exclus du
systeme, indignes meme d' etre
esclaves, les intouchables, descendants
des tribus aborigenes insoumises.
Voila donc la quintuple division du
systeme, basee sur la race, ou l'on
n' entre que par la naissance.
Le second « commun diviseur » est
professionnel comme on I' a vu plus
haut. Alors que les jatis sont intangibles,
chacune se subdivise en autant
de compartiments qu'il y a de metiers,
de professions. De ce fait, elles sont
innombrables et il s' en cree toujours de
nouvelles aIors que les jatis sont et resteront
quatre, pas une de plus. A
defaut de distinguer ces deux modes
de division, on melange tout.
Quant a 1'origine du systeme, il est
fort probable que ce sont justement ses
victimes, les non-Aryens, qui les
auraient inventees avant meme l'irruption
des envahisseurs. Apres la
conquete, les Aryens ont sans doute
trouve une societe dravidienne organisee
en gildes professionnelles, peutetre
meme deja hereditaires, structure
qu'ils auront adoptee et puis adaptee a
leur profit en y surajoutant Ie critere
varna, couleur de la peau, race.
En commen~ant a ecrire ce chapitre,
ou je me propose de decortiquer Ie systeme,
j' allais debuter « logiquement »
par les brahmanes, enchainer avec les
kshattriyas et ainsi de suite, quand je
me suis rendu compte que j'entrais
ainsi dans leur systeme en donnant la
priorite aux brahmanes, comme Ie fait
Manou, Ie codificateur mythique de la
societe brahmanique. M' etant alors
ravise, je commencerai par les derniers
parmi les derniers, Ies intouchables.
Malheur aux vaincus
Perdre une guerre est toujours une
erreur : depuis plus de 3 500 ans les
Dravidiens et autres peuples nonaryens
de l'lnde payent tres cher leur
defaite dans une guerre d'invasion
qu'ils n'ont evidemment pas voulue, et
ce n' est pas fini. Mais, de tous, ce sont
les intouchables qui paient Ie tribut Ie
plus lourd.
IntouchabIe, quel mot affreux : comment
peut-on concevoir que Dieu, ou
meme tout simplement la nature, ait
cree des humains abjects et impurs au
point que leur ombre « pollue », tout
ce qu'elle touche? Et Ie plus affreux
est qu'a force de l'avoir lu et entendu,
il ne fasse guere bondir alors que leur
sort est bien pire que Ie mot ! Cette
dasse d'etres humains regroupe tout
ce que les Aryens ont rejete de leur
systeme, tous les insoumis, tous ceux
qui habitaient des jungles trop impenetrabIes,
done surtout les autochtones
pre-dravidiens. De tous les parias, les
plus a plaindre sont encore les batards
d' Aryens, nes d'une union « impure»
d'une mere aryenne et d'un pere soudra,
par exemple. Us sont excommunies,
rejetes a jamais au ban de Ia
societe aryenne, ainsi que leur descendance:
un rejet aussi draconien se veut
dissuasif a l' egard de teIIes unions.
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