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De l'Inde a l'Europe
Les castes, melange explosif
pas, elle avait observe, assis a I' ecart
sur un banc, deux hommes vetus correctement
mais snobes de tous les
autres invites. Surprise, elle demanda
discretement pourquoi personne ne
leur parIait. La reponse : « Ce sont des
intouchables » ...
D'aucuns pourraient dire que tout
cela est du passe et que, par parti pris,
je noircis Ie tableau. Alors, plutot que
de rapporter des cas que j' ai personnellement
connus en Inde, je prefere
citer L'Express du 15 avril 1988 : « Au
milieu d'un champ de ble en herbe, un
cercle d'une dizaine de metres de diametre,
sans culture. C' est la que huit
intouchables et trois autres membres
de basses castes ont ete tues de sangfroid,
Ie 27 mai 1977, par les kurmis,
une communaute de petits proprietaires
terriens. Pourquoi ce massacre ?
Onze ans plus tard, on ne Ie sait pas
encore. » J' ajoute : on ne Ie saura sans
doute jamais et il restera impuni. Or,
cela se passait a Belchi, un village de
400 habitants et, bien que situe a seulement
soixante kilometres de Patna, la
capitale de l'Est du Bihar, on y vit
encore comme voici deux mille ans.
Les policiers ? Tout d'abord, ils sont
corrompus et font partie du « systeme»,
ensuite, ils sont impuissants : a
une vingtaine, sans voiture, sans telephone,
comment peuvent-ils couvrir
un rayon de vingt kilometres? On
pourrait minimiser I' affaire et dire
gU'une telle tuerie est exceptionnelle.
En fait, ce qui est exceptionnel, c' est
qU'elIe soit connue : la violence est permanente
et, par rapport aux deux
cents tues « officiels », combien ya-t-il
de cas non repertories?
A vrai dire, les kurmis sont une classe
defavorisee de petits proprietaires.
Le kurmi possede au maximum 2 hectares
et recolte, bon an, mal an, une
tonne de cereales, ble et mals,
quelques legumes, plus un peu de
fourrage pour son buffle. II depend
lui-meme des gros pro prieta ires,
contre lesquels il doit se defendre.
Neanmoins, il pourra nourrir sa
femme et ses six enfants, economiser
quelques roupies pour envoyer I' aine a
I' ecole, s' acheter une bicyclette et doter
sa fille.
Le coup de pouce
qui rend esclave
Le kurmi exploite les intouchables,
sans pitie ni vergogne. Je cite encore
L'Express : « Les intouchables se louent
aux kurmis pour un kilo (!) de grain
par jour, arrache a la terre sur laquelle
ils travaillent. Jamais d'argent liquide :
Ie billet de 2 roupies (1 franc fran<;ais)
qui represente souvent Ie maigre salaire
quotidien du travailleur agricole,
n' a meme pas cours ici. Quand, malgre
tout, on a besoin d'un pret - de 100
roupies, par exemple - pour Ie medecin
et des medicaments, l' empreinte
du pouce sur un mechant bout de
papier faisant foi, on ne peut pas rembourser
et I' on devient ainsi esclave. A
vie. »
Le magazine aurait pu preciser que
Ie minimum legal est de 12 raupies,
c' est-a-dire environ Ie prix d'un litre
d' essence, en Inde. Ces intouchables
ne touchent ainsi que Ie sixieme du
salaire minimum legal indien ...
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Autre histoire de « coup de pouce ».
L'lnde est, dit-on, la plus grande democratie
du monde. C' est vrai, si I' on
en croit la Constitution et les elections
qui sont organisees regulierement.
Dans ce cas-ci « regulierement » veut
dire « a intervalles reguliers ». Si I' on
entendait par « regulierement »
qu' elles ont lieu selon les regles, ce
serait quelque peu different... Selon
L'Express : « Dans certains villages, les
habitants n' ont vu aucun officiel
depuis plusieurs annees. Et quand ils
se rendent au bureau de vote, les jours
d'election, on les persuade qu'ils ont
deja vote. Meme quand I' absence
d' encre sur leur pouce gauche - preuve
du vote, inscrite au tampon par Ie
scrutateur - demontre Ie contraire.
S'ils regimbent et tentent de faire
valoir leurs droits de citoyens, la police,
d'un coup de lathi (long baton)
bien place, a tot fait d'imposer Ie silence
aux protestataires. » Mais soyons
assures que ces votes ne sont pas perdus
pour tout Ie monde ...
En l' absence d' administration et surtout
de police efficace, comment proteger
ses biens? En se groupant. Alors,
chaque dasse, chaque communaute
religieuse, chaque organisation cree sa
propre milice privee, appelee sena. Or,
les kurmis doivent se defendre contre
les abus des grands proprietaires,
longtemps omnipotents, mais aussi
contre les naxalites. Et c'est ici que cela
devient explosif. Pendant des millenaires,
les intouchables ont subi leur
sort peu enviable sans pouvoir reagir,
ni se defendre. Or, dans Ie Bengale voisin,
vers les annees 70, des activistes
marxistes ont pris fait et cause pour
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ces « damnes de la terre ». Encore
L'Express : « Pratiquant l'action d'eclat
type Robin des Bois, qui lui vaut la
reconnaissance des plus demunis, Ie
mouvement naxalite professe Ie
marxisme-leninisme. Sa puissance est
telle que, dans de nombreux villages,
profitant de la passivite du pouvoir
politique, de la corruption de I' administration
et de la police, les naxalites
ont installe une veritable administration
parallele. Avec sa police et sa justice,
Ie plus souvent brutales et expeditives.
»
II n'y a pas de naxalites dans toute
l'lnde, mais que se passerait-il si Ie
mouvement se propageait ? Bien sur,
la police fait tout ce qu' eUe peut pour
les reprimer, mais ... II y a donc une
situa tion conflictuelle permanente
entre tous ces groupes, d' OU Ie titre de
ce chapitre : un melange explosif, les
castes.
Le sort des soudras
Apres les intouchables, voyons ce que
Manou reserve aux serfs, aux soudras :
« Le souverain Maitre n'assigne au
soudra qu'un seul office, celui de servir
les classes precedentes, sans deprecier
leur merite. (1.91)
» Que Ie nom d'un brahmane, par Ie
premier des deux mots dont il se compose,
exprime la faveur propice ; celui
d'un kshatriya, la puissance; celui
d'un vaishya, la richesse ; celui d'un
soudra, l' abjection ». (11.31)
Abject, c'est clair, net, cynique ct Ie
vedisme est sans doute la scull' religion
au mondc ayant institutionna-