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L'urgence du changement - Fonda

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La tribune n°200décembre 2009Ont participé à ce numéro :Christophe Boyer, Erika Flahault, Anne Guardiola,Muriel Tabariés, Bernard Gomel, Maurice Parodi,Vonnick Ribéraud« Sinousvoulonsplusdefemmesdanslesbureauxetconseilsd’administrationdesassociations,avoiruneattitudeproactiveestdevenuunenécessité. »JacquelineMenginDirecteur de la publication : Pierre VanlerenbergheRédacteur en chef : Christophe BoyerMise en page : Brigitte MorinCrédits photo : Fotolia, <strong>Fonda</strong>La tribune est une revue à parution bimestrielledistribuée par la <strong>Fonda</strong> sur abonnement.Numéro de commission paritaire : 0711 G 85158Impression : Imprimerie de la Centrale - 62302 LensDépôt légal : à parutionL’ensemble des textes pro<strong>du</strong>its parla <strong>Fonda</strong> est soumis à la licencecreative commons :n° ISNN 1155-3626Abonnement 2010 (1an, 6 numéros)– Tarif* : 75 euros TTC– Tarif ré<strong>du</strong>it* : 47 euros TTC pour lesmembres et partenaires associés– Tarif étranger : 80 euros TTC- Port comprisRemise quantitative pour l’achat d’unmême numéro– Plus de 5 exemplaires - 20 %– Plus de 20 exemplaires - 30 %13 €* dont Tva 2,1 %<strong>Fonda</strong>18 rue de Varenne - 75007 Paris - Tél : 01 45 49 06 58 - Fax : 01 42 84 04 84Web: www.fonda.asso.fr - E-mail : fonda@fonda.asso.fr


décembre 2009n°200La tribune fondaRegards croisésQuelle placepour les femmes...Les associationsface au marché


faire société,un défi pour les associations,un enjeu pour la fonda18 rue de Varenne 75007 Paris01 45 49 06 58www.fonda.asso.fr ▪ fonda@fonda.asso.frLa <strong>Fonda</strong> est soutenue parla Caisse des Dépôts, la <strong>Fonda</strong>tion Crédit coopératif, la Macif et Chorum


SommaireLa tribune fonda - décembre 2009 n°200Regards croisésQuelle place pour les femmes dans les instances5dirigeantes des associations ? Une perspectiveinternationale – par Erika Flahault et Anne GuardiolaLes femmes et la direction des associations en France10par Muriel TabariésLes femmes et l’engagement social15par Claire FeintrenieLa preuve de la compétence18par Jacqueline MenginL’urgence <strong>du</strong> <strong>changement</strong>22par Jean-Claude DumoulinLa professionnalisation des association et la crise24par Bernard GomelContraintes des marchés et projets associatifs29par Maurice ParodiManagement et engagement45par Vonnick Ribéraud


PAGE3Editorialparla <strong>Fonda</strong>est le numéro respectable que La tribune fonda atteintaujourd’hui. Alors que nous essayons progressivement de200telrattraper le retard de diffusion qui fait suite au <strong>changement</strong>de formule et la préparation d’un nouveau programme de travail pour la<strong>Fonda</strong>, nous nous sommes interrogés sur l’opportunité de marquer l’occasiond’une façon ou d’une autre : <strong>changement</strong> exceptionnel de couverture,publication de témoignages de lecteurs sur ce qu’a représenté etreprésente encore la revue pour eux, reprises de quelques éditos déterminantsd’anciens numéros…Nous pouvions aussi faire « comme si… » et considérer que ce numéro n’avait pasd’importance particulière. Ayant la prétention de croire que La tribune intéressemoins, pour ce qu’elle représente, que pour son contenu, nous nous sommes uniquementattachés à faire vivre de manière particulière, à travers les différents articles,un des principes permanent qui guide notre action : le croisement des regardset des expertises sur des sujets sensibles et qui concernent les associations.Avec l’aide <strong>du</strong> réseau RT 35 de l’Association française de sociologie qui rassembleles sociologues s’intéressant aux associations et de l’Addes (Associationpour le développement de la documentation sur l’économie sociale), nous avonssollicité des chercheurs pour qu’ils témoignent de leurs travaux sur, respectivement,deux thèmes : l’accès des femmes aux responsabilités associatives et l’impactde la professionnalisation des actions et de la gestion sur le projet desassociations.Leur contribution, dont nous les remercions infiniment, a été ensuite soumise àdes acteurs impliqués dans la vie associative à titre militant ou bénévole afinqu’ils témoignent sur ce même sujet. Par cette mise en scène <strong>du</strong> croisement desregards, nous souhaitons valoriser la contribution spécifique des chercheurs et larichesse de l’expérience qui sont toutes les deux indispensables pour arriver àsaisir les enjeux, mais aussi les voies d’amélioration possibles. Nous n’avons paspu publier les interviews des « acteurs » recueillis sur le second thème (le projetassociatif à l’épreuve de l’économie) faute de place. Nous le ferons dans lenuméro 202.La tribune fonda - décembre 2009 - n°200


PAGE4Nous avons choisi de privilégier le thème de l’accès des femmes aux responsabilitésassociatives. Par ce choix, nous voulons aussi témoigner d’une autrequalité essentielle de la <strong>Fonda</strong> : l’esprit critique. Elle n’est pas un laboratoired’idées qui se limiterait à révéler et mettre en lumière les problèmes ou bien, àvaloriser la contribution essentielle des associations au « faire société ». Nousavons aussi la volonté d’être un acteur des <strong>changement</strong>s que nous jugeonsnécessaires. C’est le cas ici.En effet, nous ne pouvons nous satisfaire aujourd’hui, alors que la question dela place des femmes est clairement posée dans les conseils d’administration desgrandes entreprises, dans les assemblées élues, que ce sujet ne soit pas davantagepris en considération au sein des associations. La CPCA, l’UsGEREs et leCJDEs ont posé des actes pour faire avancer la réflexion à travers des engagementset des outils. Il y a quelques années l’OCDE avait réalisé une étude montrantque le soutien accordé aux femmes pour créer ou reprendre une entrepriseavait un impact sur la performance de l’économie. Par davantage de mobilisationde l’initiative et de l’engagement de la moitié féminine de la population,nous ne pouvons que nous enrichir collectivement et ainsi améliorer noschances de trouver des réponses à la grave crise que nous traversons.Il est temps de franchir un pas. Cela implique de réinterroger à tous les niveauxles pratiques de nos associations : accueil, formation des bénévoles et des salariés,modalités de recrutement des bénévoles et des salariés, conditions d’accèsaux responsabilités, organisation des tâches et des actions... Le risque le plusgrand de nous ouvrir à la diversité des genres, mais aussi plus largement auxidentités multiples (ethniques, pratiques sexuelles, religion…), est de rompreavec le fatalisme de nombreux dirigeants associatifs confrontés à des renouvellementsdifficiles. L’inaction est impossible, si ce n’est accepter inévitablementque le mouvement associatif vive le même discrédit que les autresinstitutions. Être déterminés, nous contraindre, obtenir des résultats rapidement,sont devenus une nécessité.N.B. Si vous souhaitezréagir à l’un des articlesprésents dans ce ou un autrenuméro de La tribune fonda,envoyez-nous votre contribution.Sachez que cetterevue est aussi la vôtre,tout comme notre siteInternet.La tribune fonda - décembre 2009 - n°200


Les femmes et la directiondes associations en FrancePAGE10par Muriel Tabariés, sociologueIntro<strong>du</strong>ctionLes inégalités concernant la place des femmes dans le mondeassociatif, et plus particulièrement dans les postes dirigeants, sontun phénomène peu analysé, par rapport à celles existant dans lemonde <strong>du</strong> travail ou de la politique. Or, il s’agit d’un problèmede démocratie, car l’association, qui revendique un fonctionnementdémocratique, est souvent le relais de la participationcitoyenne à l’élaboration des politiques publiques ; et il s’agitaussi d’une demande de la part des plus hautes instances, en particulierde la Commission européenne, qui incite les chercheurs à pro<strong>du</strong>ire des statistiquessexuées, quasiment inexistantes dans le domaine <strong>du</strong> pouvoir.L’étude des inégalités dans les différents champs sociaux entre hommes etfemmes permet de mettre en évidence les décalages entre les droits formels et lesdroits réels et de questionner le fonctionnement même de nos sociétés. Ces inégalitésrenvoient aux rôles et statuts des uns et des autres, qui malgré des évolutionsconsidérables sont toujours relativement différenciés. Les analyser dans unchamp social permet de repenser le fonctionnement même de ce champ, qui n’apparaîtplus comme un fonctionnement neutre, mais pour ce qu’il est, c’est-à-direun fonctionnement sexué, et de mieux comprendre entre autres comment on pourraitfaire évoluer les choses. Les politiques mises en œuvre à cette fin s’appuientessentiellement sur la parité en politique et la mixité dans le domaine social.Un salariat associatif essentiellement féminin,mais peu de femmes parmi les dirigeantset surtout parmi les présidentssi les femmes représentent la grande majorité de l’emploi associatif (70% selonles données Unedic, alors qu’elles représentent 46 % de la population active), <strong>du</strong>fait <strong>du</strong> caractère tertiaire de cet emploi, des fonctions exercées (é<strong>du</strong>quer, accueillir,soigner, nourrir…) et des champs d’activité « traditionnellement féminins »et <strong>du</strong> fait aussi de son caractère occasionnel et souvent précaire, elles sont moinssouvent adhérentes que les hommes et encore moins souvent bénévoles selon lesstatistiques de l’Insee (2002). Par ailleurs, les compétences mises au service <strong>du</strong>bénévolat par les hommes sont plus souvent des qualifications techniques (comptables,scientifiques, juridiques, managériales) tandis que les femmes font plutôtmontre de compétences de communication, de rédaction et d’enseignement 1 , cequi tra<strong>du</strong>it à la fois des différences de formation et une division sexuée des tâchestoujours à l’œuvre dans le monde <strong>du</strong> travail.Centre d’économie de laSorbonne – Institutions / Umr8174 (CNrS - Université deParis 1)tabaries@univ-paris1.fr1. Source Enquête « Vie associatived’octobre 2002 », inRegards sur la parité, édition2004 Insee références.Suite...La tribune fonda - décembre 2009 - n°200


PAGE11Les femmes et la directiondes associations en Francepar Muriel Tabariés, sociologueCependant, la participation et le bénévolat des femmes augmentent depuis unevingtaine d’années, <strong>du</strong> fait de l’augmentation <strong>du</strong> nombre de femmes actives etdiplômées, dont les taux de bénévolat sont identiques à ceux des hommes, <strong>du</strong>recul des bastions masculins et de la montée de « l’intérêt indivi<strong>du</strong>el » dans lespratiques associatives, qui concerne plus les femmes.En ce qui concerne les dirigeants, et en particulier les trois premiers (président, trésorier,secrétaire), notre dernière enquête 2 montre que 31 % des présidents sont desfemmes, 42 % des trésoriers et 57 % des secrétaires. si les femmes sont majoritairesdans les postes de secrétaires, c’est parce qu’il s’agit d’uneLa hiérarchie des fonctions dans fonction à profil variable, soit proche d’un secrétariat classique,soit celle de responsable assurant la permanence <strong>du</strong>les associations semblefonctionnement <strong>du</strong> bureau ou <strong>du</strong> conseil d’administration.fonctionner aussi sur le modèle En revanche les postes de trésoriers demandent souventde la division sexuée <strong>du</strong> travail. plus de qualification technique et de responsabilité, c’estune fonction de gestion où traditionnellement les femmessont peu nombreuses. Enfin, le poste de président est leseul qui soit vraiment décisionnaire, car souvent son avis l’emporte sur celui des autresmembres <strong>du</strong> bureau ; de plus le président est pénalement et civilement responsable.Ainsi, la hiérarchie des fonctions semble fonctionner aussi sur le modèle de la divisionsexuée <strong>du</strong> travail. Les principaux freins à l’accès des femmes aux fonctions de dirigeantsdans les associations ont été mis en évidence par l’association Retravailler(2003) : freins sociaux et culturels (moindre disponibilité des femmes, représentationstéréotypée des rôles féminins et masculins, sentiment d’incompétence plus fréquentchez les femmes), et freins internes à l’organisation : existence de nombreuses réunionstardives et failles <strong>du</strong> fonctionnement démocratique (cumul des mandats, non limitation<strong>du</strong> renouvellement des mandats, système de cooptation).Une présence forte des femmes dans lessecteurs tels que l’action sociale, l’humanitaireet la santé2. Source Enquête <strong>du</strong> CES –matisse auprès des associations– 2005-2006.Les secteurs où l’on trouve le plus de présidentes sont ceux de l’action sociale etde l’humanitaire (47 % de présidentes), puis le secteur sanitaire (44 %), quiconstituent le domaine traditionnel d’activité des femmes. Comme ces associations<strong>du</strong> secteur sanitaire et social sont de loin les plus grandes associations entermes de budget et de nombre de salariés, l’on voit que la taille de l’associationn’est pas un obstacle à la prise de responsabilité des femmes, même si les plusgrandes d’entre elles restent plus souvent dirigées par des hommes. On trouveensuite les secteurs des loisirs, de la culture et de l’é<strong>du</strong>cation.La tribune fonda - décembre 2009 - n°200


PAGE12En revanche, les femmes sont très minoritaires parmi les présidents des associationsde chasse et de pêche (3 %), sportives (17 %), malgré les décrets pris en2002 et 2004 sur la représentation des femmes dans les instances dirigeantes <strong>du</strong>sport, et de défense des droits (20 %). Les bastions masculins sont donc le sportet la défense des causes et des intérêts (les associations que nous appelons « militantes»). De plus le rayon d’action des associations dirigées par des femmes estplus souvent limité au quartier ou à la commune, elles sont plus souvent hébergéespar la mairie et adhèrent moins souvent à des fédérations.Nous observons par ailleurs que près d’un bureau (le bureau est ici le président,plus le trésorier plus le secrétaire) sur deux présidé par une femme est non mixte,c’est-à-dire composée uniquement de femmes (contre39 % des bureaux présidés par un homme), ce quiindique une plus forte propension des femmes à se L’un des moyens pour accéder auxcoopter entre elles, surtout dans les associations responsabilités associatives est derécentes. On peut considérer que cette modalité decréer son association entre femmes,gouvernance favorise l’accès des femmes à la présidence,même si elle tend à les confiner dans certains <strong>du</strong> fait entre autres de leursecteurs, et qu’elle est recherchée pour cette raison moindre confiance en elles.même. En effet, la présence dans ce type de bureaux decatégories mal représentées en général, comme lesinactives, les employées, les chômeuses, les jeunes, laisse à penser que l’un desmoyens pour accéder aux responsabilités associatives est de créer son associationentre femmes, <strong>du</strong> fait entre autres de leur moindre confiance en elles. La longévitédes présidents à leur poste, l’existence de cumul des mandats et de réseauxpropres aux hommes, comme dans le monde professionnel ou politique, ajoutéesau partage des tâches dans la famille qui pèse aussi sur la vie professionnelledes femmes, constituent des obstacles majeurs à leur accession aux fonctions depouvoir dans les associations.La montée des femmes dirigeantes dansles associations : évolutions structurelles,évolutions sociétalesNous pouvons approcher l’évolution dans le temps des différents secteurs associatifs,grâce à la date de création de l’association. Les associations culturelles,d’é<strong>du</strong>cation, de défense des intérêts économiques et militantes voient leur parts’accroître avec la jeunesse de l’association, tandis que trois autres types voientleur part diminuer : les sports, les loisirs, la chasse et la pêche. Ces évolutions sontà la fois favorables et défavorables aux femmes, puisque deux des secteurs enSuite...La tribune fonda - décembre 2009 - n°200


...SuitePAGE13Les femmes et la directiondes associations en Francepar Muriel Tabariés, sociologuecroissance sont plutôt féminins (la culture et l’é<strong>du</strong>cation) tandis que deux sontplutôt masculins (la défense des droits et des causes et des intérêts économiques).Idem pour les secteurs en perte de vitesse. Quant aux secteurs les plus féminisés,ils ne voient pas augmenter leur part. Il est donc difficile de se prononcer sur laquestion d’une évolution structurelle favorable aux femmes (Muriel Tabariés,Viviane Tchernonog, 2007).Par ailleurs, on constate une féminisation progressive des présidences dans lesassociations les plus « masculines » (sportives, militantes, défense d’intérêts économiques)selon la date de création et une évolution moins nette dans les associationsles plus féminines, dont le taux de féminisation, déjà très élevé dans lesannées 60 et 70, peut baisser ou stagner pour les plus récentes. En tout cas, plusl’association est récente, plus le pourcentage de présidentes est élevé, ce qui tendà montrer que les jeunes associations ont tendance à s’ouvrir aux femmes, ou queles femmes sont plus souvent créatrices des jeunes associations, ce que l’on peutdé<strong>du</strong>ire de la croissance <strong>du</strong> taux de présidentes fondatrices dans les associationscréées après 2000 par rapport à celles créées dans les années 90. Ainsi, on peutpenser que les femmes, de par leur participation accrue à la vie associative, tendentà accéder plus facilement aux postes dirigeants, en particulier dans les jeunesassociations, et surtout en créant elles-mêmes leurs associations.D’autres évolutions sociétales sont visibles, à travers l’augmentation de la mixitésociale selon l’âge des associations : les associations les plus récentes sont plussouvent dirigées par des employés (profession majoritairement féminine) etsecondairement par des professions libérales, des inactifs et des étudiants, ainsique par des chômeurs. Ces catégories voient croîtreleur proportion dans les associations créées depuis lesOn assiste à une ouvertureannées 70, tandis que d’autres voient diminuer leurdes fonctions de président proportion : les cadres moyens et supérieurs, les enseignants,les ouvriers et les agriculteurs. Ce phénomèneà des catégories plus variéesconcernant à la fois les hommes et les femmes, l’ondans les associations les plus récentes,assiste ainsi à une ouverture des fonctions de présidentà une exception près : les ouvriers. à des catégories plus variées dans les associations lesplus récentes, à une exception près : les ouvriers sontexclus de ce mouvement d’évolution. Cette ouvertureest corroborée par l’âge des présidents, qui diminue avec la jeunesse de l’association.Ainsi, 44 % des associations créées avant 1960 ont un président de plusde 65 ans, ce qui n’est le cas que pour 19 % de celles créées après 2000.L’ancienneté des présidents hommes, en moyenne plus longue que celle des présidentes,reflète particulièrement cette absence de renouvellement dans les plusanciennes associations.La tribune fonda - décembre 2009 - n°200


PAGE15Les femmeset l’engagement socialrencontre avec Claire Feintrenie, Unis-CitéJeune mère de famille, Claire Feintrenie est salariée de l’associationAutremonde 1 où elle est responsable de la vie associative. Elle a étévolontaire au sein de l’association Unis-Cité 2 Ile-de-France, avant d’endevenir administratrice et trésorière. Elle a aussi été secrétaire <strong>du</strong>Conseil national de la jeunesse 3 .La rédaction : Claire, à partir de votre expérience bénévole et salariéequelle vision avez-vous sur la question de la place des femmes dans les associations?Claire Feintrenie : J’ai une vision contradictoire en fonction de mes différentesexpériences. Par exemple, au sein d’Unis-Cité, le genre n’a jamais été un handicappour accéder à des responsabilités mêmes importantes, pas plus que l’âge.Bien que ce soit une association accueillant plus de 150 volontaires et employantplus d’une dizaine de personnes, je n’ai jamais senti qu’être une jeune femmeconstituait un problème. si on prend en compte le fait que la question de la diversitéest un enjeu placé au cœur <strong>du</strong> projet de l’association, cela peut créer comme« un tabou » qui empêche l’expression même d’un préjugé basé sur l’origine, legenre ou l’âge. Cela participe aussi d’une sensibilité particulière des différentsacteurs bénévoles et salariés de ce mouvement.Néanmoins, je me suis tout de même toujours interrogée sur la difficulté rencontréepar l’association dans le recrutement de volontaires hommes. En effet,l’objectif était de rechercher en équilibre entre hommes et femmes parmi lesvolontaires, mais il fallait faire des efforts particuliers pour « recruter » deshommes. Est-ce que cela signifie que l’engagement des femmes au service de lasolidarité est mieux accepté et valorisé, tout comme le fait d’avoir un parcoursprofessionnel fait de détours ? En ce qui me concerne cela a été très enrichissantà titre personnel.En tout cas, pour ma part, quand j’ai pris des responsabilités au sein de l’associationje cumulais les désavantages : jeune, femme, inexpérimentée. Ce parcourss’inscrit aussi dans la volonté marquée par l’association pour donner etvaloriser la parole des volontaires qui s’engagaient pour six ou neuf mois.La rédaction : Qu’en est-il de votre expérience de salariée ?1. http://site.autremonde.org2. www.uniscite.fr3. www.conseilsdelajeunesse.orgC.F. : Cela est différent. L’association Autremonde est un projet qui mobilise desjeunes pour con<strong>du</strong>ire des actions de solidarité. L’accès aux responsabilités esttrès facile, mais il faut tout de même que nous ayons une action positive pourfavoriser l’accès des femmes aux responsabilités alors qu’elles représentent envi-La tribune fonda - décembre 2009 - n°200


PAGE16ron 70 % des bénévoles engagées. Actuellement, il n’y a qu’une femme sur lescinq membres <strong>du</strong> bureau. Elle est secrétaire aux missions de lutte contre la précaritéde l’association. Au niveau <strong>du</strong> conseil d’administration, l’équilibre estmeilleur. C’était déjà le cas l’année dernière. Cette différence dans la compositionentre les bénévoles et les dirigeants de l’association soulève de multiplesquestions. Il est très difficile d’analyser ce phénomène, mais je pense que lesfemmes s’interdisent en fait de se présenter à la présidence considérant qu’il nes’agit pas d’une mission pour elles. Elles ont <strong>du</strong> mal à se voir à la tête <strong>du</strong> conseild’administration. A contrario, le poste de délégué général de l’association a pratiquementtoujours été occupé par des femmes.Nous pouvons nous demander si nous n’avons pas finalement l’habitude d’identifierles postes à un genre particulier.La rédaction : Est-ce que vous pensez qu’il faudrait développer une réflexion surla conciliation de la vie familiale avec des engagements sociaux, comme il enexiste sur l’articulation avec la vie professionnelle ?C.F. : Il est vrai que depuis que je suis moi-même une jeune mère de famille, jene dispose plus de la disponibilité nécessaire pour m’impliquer autant qu’avantdans une responsabilité associative, d’autant plus que les heures de réunions etd’activités sont rarement compatibles avec mes obligations maternelles. Pourl’association Autremonde, cela ne pose pas de problème dans la mesure où nousmobilisons des jeunes autour de 25-28 ans, qui n’ont pas encore de contraintesfamiliales fortes.Je souhaiterai revenir sur la question de l’accès aux responsabilités. En fait, ledéséquilibre apparent entre hommes et femmes au sein des instances n’est pas unfait permanent. Dans le passé, il y a eu des situations où le bureau comprenaittrois femmes. Cela me con<strong>du</strong>it en tant que permanente en charge de la vie associativeà être vigilante et à veiller à ce que l’on reparle régulièrement de cettequestion. Je suis néanmoins convaincue que sans action collective, l’équilibrene se fera pas. La dynamique qui con<strong>du</strong>it à la prise de responsabilité des femmesest loin d’être un mouvement naturel.La rédaction : Vous avez été largement impliquée dans des dynamiques interassociativeset dans des espaces de représentation, notamment au Conseil nationalde la jeunesse. Quelle est votre expérience à ce niveau de responsabilité ?C.F. : Mon propos sera obligatoirement subjectif. J’ai le sentiment, l’impressionque les hommes, par leur investissement dans des espaces de représentation,Suite...La tribune fonda - décembre 2009 - n°200


...SuitePAGE17Les femmeset l’engagement socialrencontre avec Claire Feintrenie, Unis-Citéjouent quelque chose de l’ordre de l’affirmation d’une ambition personnelle. Pourma part, mon investissement n’était pas de cette nature. seule la possibilité defaire avancer des idées auxquelles je tenais m’intéresserait.Chercher à investir de tels espaces de pouvoir et de représentation corresponddavantage à des schémas masculins. Je pense que les différents acteurs de lasociété, et notamment les employeurs, ont une appréciationdifférente sur ces éléments de parcours. Alors queLes hommes seraient valorisésce sera valorisant pour un homme, ce sera plutôt envisagéavec suspicion pour une femme qui sera vite consi-quand ils prennent des responsabilitéset ont <strong>du</strong> pouvoir, dérée comme ambitieuse ou « source de problèmes ».alors que les femmes le seraient Est-ce que cela renvoie à une hiérarchie des engagementsselon les genres, où les hommes seraient valorisés quanddavantage dans l’actionils prennent des responsabilités et ont <strong>du</strong> pouvoir, alorsauprès des publics ? que les femmes le seraient davantage dans l’action auprèsdes publics ? C’est une question sans doute à aborder.Pour conclure, je crois indispensable de travailler pour un meilleur accès desfemmes aux responsabilités associatives. Cela passe aussi par une meilleure valorisationde ce type d’engagement par les femmes, éventuellement dans le cadrede validation des acquis de l’expérience bénévole.Fin.La tribune fonda - décembre 2009 - n°200


La preuvede la compétencerencontre avec Jacqueline Mengin,membre de la <strong>Fonda</strong>PAGE18Docteur en droit et sociologue, Jacqueline Mengin a contribué àla fondation <strong>du</strong> Celavar. Elle a présidé la <strong>Fonda</strong> de 1997 à 2004.Elle a été vice-présidente <strong>du</strong> Conseil national de la vie associative(Cnva) et a représenté les associations au Conseil économiqueet social (Ces).La rédaction : Pourriez-vous nous retracer rapidement votre parcoursmilitant et professionnel ?Jacqueline Mengin : J’ai milité tout au long de ma vie. Jeuneguide, j’ai appris avec d’autres jeunes l’apport de l’action collective. Puis, je mesuis impliquée dans le mouvement de la paix, où j’ai cotoyé de nombreux militantscommunistes dont l’attitude, parfois bourrue, était ouverte vis-à-vis desfemmes.J’ai par la suite milité au PsU que j’ai quitté au moment de sa fusion avec le partisocialiste. C’était la première fois où j’ai croisé la route d’hommes voulant toutde suite se situer dans un rapport de domination par rapport aux femmes. Grandegueule et macho, c’est sans doute pour cela qu’il y avait et y a encore beaucoupplus d’hommes que de femmes dans les partis politiques. Ayant eu des enfantscela a limité mes possibilités d’engagement pour un temps.Après l’obtention de mon doctorat de droit, j’ai cherché un travail qui me permettaitde concilier ma vie professionnelle et ma vie familiale. C’est ainsi que jesuis devenue sociologue. Cette nouvelle orientation professionnelle a été ren<strong>du</strong>epossible par la confiance d’un homme aux qualités humaines exceptionnelles,Roger Benjamin. Il m’a réellement mis le pied à l’étrier.Intervenante en sociologie rurale, les contacts avec les paysans ont été facilitéspar le fait d’être une femme. Épatés, ils se confiaient plus facilement. J’ai alorstravaillé aussi bien avec des chercheurs que des acteurs <strong>du</strong> développement local.Henri Mendras m’a alors ouvert les portes, m’invitant à des colloques internationaux,bien que travaillant dans un institut privé (<strong>Fonda</strong>tion pour la recherchesociale – Fors), ayant appris la sociologie sur le tas et étant une femme.Je travaillais à l’époque au « 14 rue saint-Benoît », qui rassemblait un ensembled’associations dirigé par Henri Théry, puis Bernard Porte. Au départ de ce dernier,alors que je n’avais pas l’idée de poser ma candidature, certains m’ont pousséeà prendre le poste. Ce ne fut pas facile, j’ai rapidement été en but à certainesoppositions de la part de l’une de ces associations dont les formes furent parfoistrès machistes. Certaines réactions furent particulièrement vulgaires. Cela a étéLa tribune fonda - décembre 2009 - n°200


...SuitePAGE19La preuve de la compétencerencontre avec Jacqueline Mengin, membre de la <strong>Fonda</strong>une période difficile pour moi, même si toutes les autres associations m’ont soutenue.Je ne voulais pas me laisser insulter notamment <strong>du</strong> fait d’être une femme.Parallèlement à cette responsabilité, j’ai poursuivi mes travaux en sociologierurale en faisant profiter Culture et promotion par des interventions au cours deformations, de rencontres et colloques. J’ai tissé des amitiés fortes, notammentavec serge Cordelier, ancien permanent de la FNsEA. Fin politique, il m’aconvaincue de travailler à un rassemblement des associations rurales. sous sonimpulsion, nous avons organisé les premières rencontres de ce qui est devenuensuite le Celavar. Mais, il a quitté le secteur agricole pour s’occuper de la collection« l’état <strong>du</strong> monde » aux éditions de la Découverte. Je me suis à nouveautrouvée dans la situation d’accepter des responsabilités et d’assurer le relais d’unedynamique en germe. J’ai encore une fois été bien acceptée. D’ailleurs, je n’ai euaucun problème <strong>du</strong> fait d’être une femme <strong>du</strong>rant toute ma présidence <strong>du</strong> Celavar.Un jour, Henri Théry, alors directeur de l’Uniopss, et Jean Bastide sont venusme chercher pour me demander si je voulais bien aller au Conseil économiqueet social. sous leur amicale sollicitation, j’ai donc posé ma candidature au Conseilnational de la vie associative, puis tout s’est enchaîné.Frédéric Pascal m’a ensuite proposé de prendre sa successionà la <strong>Fonda</strong>.Le filet de sécurité indispensablepour toute femme qui prendRétrospectivement, je crois sincèrement que je n’aides responsabilités, c’est l’extrêmejamais cherché le pouvoir pour l’image qu’il confère àcompétence. ceux qui en ont. Ce qui m’a toujours motivé et a guidémon parcours, c’est mon intérêt pour des sujets précis,mon goût de faire bouger les choses. Un jour quelqu’unm’a dit : « Tu aimes faire impression. » Ce n’est pas faux. J’aime convaincre, fairepasser mon message.C’est sans doute pour cela que j’ai ressenti parfois dans certains espaces institutionnelsune certaine forme d’animosité à mon égard. J’avais le sentiment que desinterlocuteurs considéraient que je leur faisais de l’ombre. Cela s’exprimait parfoisavec agressivité. Tout au long de mon parcours, je dois reconnaître que j’aisouvent été la seule femme à des postes de responsabilité, comme par exempleaux débuts la CPCA.La rédaction : à plusieurs reprises vous avez vécu des oppositions <strong>du</strong> fait d’êtreune femme. Cela ne vous a pas empêché de construire un parcours très riche etsingulier. Que retenez-vous de votre expérience en tant que femme responsableassociative ?La tribune fonda - décembre 2009 - n°200


PAGE20J.M. : à mon avis, plusieurs choses sont très importantes. Il est atten<strong>du</strong> d’unefemme qu’elle soit plus compétente qu’un homme. Il ne faut pas pouvoir êtrecontestée en aucune manière sur le fond. Il ne faut pas aussi constituer unemenace pour les autres et donner l’impression qu’une place, un poste ou un honneurvous intéresse.Cela implique pour une femme la nécessité d’apporter la plus grande attention àla construction de rapports équilibrés avec les différentes parties prenantes d’unedynamique collective. Il est impossible à une femme de s’imposer de manièreautoritaire à un goupe. Elle ne disposera que de l’autorité qui lui sera octroyéepar le collectif. Cela implique pour elle des valeurs morales particulières. Parexemple, je n’ai jamais pris de décision sans consulter très largement et sansessayer de faire émerger des consensus.De manière caricaturale, on pourrait dire qu’une femme ne peut pas utiliser lerapport de force et le conflit comme moyen d’action, alors même que les hommessont souvent valorisés dans ces contextes, y compris quand ils font preuve debrutalité.Une femme qui utiliserait les mêmes moyens que les hommes pour faire progressersa carrière ou ses idées serait rapidement qualifiée de caractérielle ou dedifficile. Elle doit préserver une image maternante, qui rassure, et non castratrice.Il est indéniable qu’on attend davantage des femmes et que leur rôle estdifficile.Dans tout cela le filet de sécurité indispensable pour toute femme qui prend desresponsabilités, c’est l’extrême compétence.Il faut admettre que tout ceci n’est pas propre au secteur associatif. Ces mécanismesse retrouvent dans tous les secteurs de la vie économique et sociale.Autour de moi, je constate que de nombreusesfemmes sont réticentes à prendre des responsabilitésPourquoi les hommes aimentne voulant pas s’inscrire dans des jeux de pouvoir.Elles préfèrent rester en retrait préoccupées essentiellementde faire avancer les choses. Cela me frappeautant la compétition, l’affrontement ?d’autant plus que souvent les dirigeants hommes savent instrumentaliser ces attitudesà leur propre profit personnel.sur un autre plan, je me suis toujours demandée pourquoi les hommes aimentautant la compétition, l’affrontement. C’est certainement le fait qu’ils soient valorisésdès le plus jeune âge dans cette posture. De ce point de vue, les femmes ontSuite...La tribune fonda - décembre 2009 - n°200


...SuitePAGE21La preuve de la compétencerencontre avec Jacqueline Mengin, membre de la <strong>Fonda</strong>plus de cordes à leur arc, et peut être que cela leur permet de disposer de plusd’espaces pour se réaliser.La rédaction : Si nous revenons sur le secteur associatif, nous constatons qu’ilexiste une difficulté réelle dans l’accès aux responsabilités des femmes, commentfaire évoluer les choses ?J.M. : à plusieurs reprises cette question a été abordée, que ce soit au momentdes assises en 1999, à travers la charte des engagements réciproques signée en2001 ou encore les textes sur la diversité signés par la CPCA par la suite. Nousn’avancerons pas sans une politique volontariste pour ouvrir des espaces permettantla prise de responsabilités des femmes. Il faut que les associations se saisissentde cette question et « aillent chercher des femmes ».Tout au long de mon parcours, j’ai bénéficié de l’attitude ouverte de gens auxexceptionnelles qualités humaines. Nous ne pouvons plus nous en remettre qu’àcela. si nous n’engageons pas un effort collectif, cela n’arrivera pas. Celaimplique aussi peut-être de réfléchir à la façon dont s’organisent les temps« sociaux ». J’ai eu la chance que ma carrière professionnelle s’organise de tellemanière que je puisse tout à la fois assumer pleinement mon rôle de mère defamille et des engagements bénévoles et militants. La plupart des femmes n’ontpas cette opportunité. Nous devons donc en tenir compte dans nos façons de faire.C’est d’autant plus important que nous vivons une époque où le travail, au-delàde sa référence horaire, occupe pour de plus en plus de femmes une place croissante.La pression qui s’exerce aujourd’hui sur les femmes est plus importante.Dans le même temps, la complexité des problèmes, auxquels sont soumis les responsablesassociatifs, s’est accrue.Dès lors, si nous voulons plus de femmes dans les bureaux et conseils d’administrationdes associations, avoir une attitude proactive est devenu une nécessité.Fin.La tribune fonda - décembre 2009 - n°200


L’urgence <strong>du</strong> <strong>changement</strong>rencontre avec Jean-Claude Dumoulin,trésorier de l’AvisePAGE22Jean-Claude Dumoulin a été directeur général de l’Union desfoyers de jeunes travailleurs (devenue Unhaj). Il a aussi été président<strong>du</strong> Fonjep, <strong>du</strong> Cnajep, membre <strong>du</strong> CnvA et administrateur dela CpCA. C’est à ce titre qu’il a été un des principaux acteurs de lanégociation de la charte des engagements réciproques signée entreles coordinations associatives et l’état le 1 er juillet 2001. Il estactuellement trésorier de l’Avise.Rédaction : Vous avez un parcours associatif très riche. Quel regardportez-vous sur la place des femmes dans la vie associative ?Jean-Claude Dumoulin : Elle est insatisfaisante ! Alors que dans les champs politique,économique et social, la question de l’égalité homme femme semble êtreposée un peu plus fermement qu’hier, que la parité est promue, que des règlescontraignantes sont mises en place pour y parvenir, j’ai le sentiment que, dans lechamp associatif, terreau démocratique et de transformations sociales, ça ne poussepas vite… Les statistiques en la matière le confirment : des progrès sont perceptiblesmais lents, et toujours marqués par le fond culturel ancestral et l’expressionqu’il trouve dans nos pratiques quotidiennes. Un exemple significatif tiré de ces statistiques: « Parité presque parfaite pour l’ensemble des trois premiers dirigeants »,nous disent-elles… mais écart sensible entre hommes et femmes à l’avantage despremiers pour les postes de président et de trésorier et prévalence des femmes auposte de secrétaire… Le vieux fond est là. L’empreinte. Elle reste très perceptibleen nous, les hommes, mêmes chez ceux d’entre nous qui semblent les plus déterminésà rompre avec l’impératif archaïque. Au détour d’une phrase, d’un argument,un comportement apparemment banal… elle est là. Ce qui complique leschoses, c’est que les meilleures intentions, des arguments « incontournables » émanantaussi des femmes elles-mêmes peuvent contribuer à éviter ou à différer lareconnaissance effective de l’égalité entre les genres. Il existe toujours quelquesbonnes raisons institutionnelles, un contexte etc. et même des raisons de fond.Un exemple. Je me souviens en 92, au Fonjep. Il faut avoir en tête que c’est unorganisme cogéré par l’État et les associations adhérentes et présidé par un associatif.Élu comme tel quatre ans plus tôt il fallait penser à ma succession. Nousavons donc convenu avec les membres associatifs <strong>du</strong> conseil d’administration dedéterminer des critères pour choisir la personne ad hoc. Dès le premier tour detable j’ai fait valoir comme critère majeur que la présidence soit assumée par unefemme, en insistant sur le pas en avant qu’un tel choix constituerait pour nous, sisoucieux d’égalité, de transformation et pour le monde associatif en général. Maproposition a été largement soutenue, finalement acceptée et quelques mois plustard une femme m’a succédé à la présidence. Heureuse issue mais qui n’a pasLa tribune fonda - décembre 2009 - n°200


...SuitePAGE23L’urgence <strong>du</strong> <strong>changement</strong>rencontre avec Jean-Claude Dumoulin,trésorier de l’Aviseeffacé de ma mémoire certains moments clé des délibérations. Je me souviensplus particulièrement d’une intervention très vive, celle d’une femme. Elle m’objectaitque promouvoir une femme pour son genre était encore une forme de stigmatisationmasculine, une manière un peu machiste, de répondre à ladiscrimination dont elles faisaient l’objet. J’étais sensible à son argument, et jelui ai dit, mais plus encore au différemment qu’il générait. Nous nous sommesaccordés là-dessus.Une chose encore tirée de mon expérience associative. Même quand cette discriminationsemble vaincue, rien n’est joué. Qu’une femme accède à une présidence,il sera convenu de dire : « Elle est excellente, remarquable », etc.« Exceptionnelle », pense-t-on… Une justification dont un homme ne sembleguère avoir besoin quand il est en passe d’assumer les mêmes responsabilités…En tout cas, pas avec la même insistance. Cette notion d’excellence requise desfemmes se retrouve dans ce qui semble parfois fonctionner comme une divisionsexuelle <strong>du</strong> travail entre dirigeants et dirigeantes <strong>du</strong> monde associatif : auxfemmes (excellentes, bûcheuses) l’expertise ; aux hommes l’excercice des responsabilités,<strong>du</strong> pouvoir et de ses jeux. J’ai pourtant vécu certaines périodesfortes au sein <strong>du</strong> CNVA pendant lesquelles femmes et hommes assumaient ensebleet l’expertise et l’exercice <strong>du</strong> pouvoir. L’inégalité entre les hommes et lesfemmes appauvrit et les femmes et les hommes et les institutions qu’ils font vivre.Rédaction : Que faire pour répondre à ce constat ?J-C.D. : Je suis convaincu que, malgré « l’empreinte » et sa constante actualisation,l’égalité entre les hommes et les femmes est voulue par une large majoritéde militantes et militants bénévoles ou salarié(e)s <strong>du</strong> monde associatif. Encorefaut-il qu’ils et elles aient l’occasion de lui donner réalité. Deux instruments peuventy concourir. Le débat et la contrainte. Le débat peut relever de la culture, despratiques spécifiques d’une association. C’est en organisant un débat interne largeet suivi qu’elle pourra se donner ses propres contraintes librement consenties (parexemple, l’inscription de l’égalité femme/homme dans ses statuts avec alternancefemme/homme à la présidence, la trésorerie, le secrétariat, la direction salariée)et intégrer l’ensemble des obligations envisagées de la charte de l’égalité entreles hommes et les femmes. Quand la pratique <strong>du</strong> débat interne est incertaine, ilfaut tenter de le susciter et de l’alimenter de l’extérieur. Des travaux de la CPCAet des coordinations qu’elle regroupe pourraient y contribuer dans lesquels et desfemmes et des hommes construiraient ensemble un dispositif support au dialogueavec les associations concernées. Et si ce n’est pas suffisant, la contrainte. Lacontrainte extérieure. Mais commençons très vite par le débat, le dialogue, l’égalitéconstruite et vécue ensemble.La tribune fonda - décembre 2009 - n°200


La professionnalisationdes associations et la crisepar Bernard Gomel,chercheur au Centre d’études de l’emploiPAGE24Le programme Nouveaux services – emplois jeunes, inauguréen octobre 1997, avait déjà comme objectif d’améliorer le fonctionnementéconomique des associations : le jeune salarié <strong>du</strong>programme était censé apporter de nouvelles compétences professionnellesà la structure. Après un bilan mitigé, le mêmeobjectif de professionnalisation de l’activité est repris quelquesannées plus tard. Des « dispositifs locaux d’accompagnement »(DLA) proposent des services gratuits de conseil et d’expertise,en vue de la consolidation économique et <strong>du</strong> développementdes structures. Les DLA procèdent à des diagnostics et mettenten place des dispositifs de gestion en utilisant les outils développéspour les entreprises privées et les TPE en particulier.Certes, la référence à l’utilité sociale reste permanente et elle est au cœur <strong>du</strong>développement des « relations partenariales » entre l’État et les associations etleur évaluation doit notamment porter « sur la conformité des résultats à l’objet(…), sur l’impact des actions ou des interventions, s’il y a lieu, au regard de leurutilité sociale ou de l’intérêt général » (circulaire <strong>du</strong> 1 er décembre 2000 relativeaux conventions pluriannuelles d’objectifs). Le guide de l’évaluation publié enjuin 2002 par la délégation interministérielle à l’innovation sociale et à l’économiesociale (DIIEsEs) rappelle encore la spécificité de l’évaluation d’un projetassociatif : « l’association ne peut être appréhendée seulement à travers sa fonctionéconomique ». Le jugement sur la pertinence d’une action doit comprendre« la transformation sociale qu’il in<strong>du</strong>it », le « degré de responsabilité qu’il susciteen faveur d’une cause d’intérêt général» ainsi que « les transformations favorables,volontaires ou involontaires (…) en faveur de tous les habitants d’unterritoire ».Néanmoins, dès lors qu’il y a une prise économique possible, l’action publiqueen direction des associations va s’en saisir. L’accompagnement de moyen termedont bénéficient les associations comporte des obligations de transparence (dansla logique de la circulaire fiscale de septembre 1998) et de standardisation de lagestion des activités. Il s’agit d’entrer dans une logique économique qui est présentéecomme la source de la professionnalisation recherchée. Ainsi, pour leréseau France Active, « apporter des outils financiers à une structure associative,c’est lui donner les moyens de se professionnaliser et à terme, de se gérer commeune petite entreprise » ou encore, « le but de l’accompagnement, c’est de faciliterla mobilisation des acteurs et la synergie des financeurs ».Cette professionnalisation selon des standards techniques de bonne gestion indifférentsau statut juridique de l’entreprise n’a pas seulement suscité des résis-Suite...La tribune fonda - décembre 2009 - n°200


...SuitePAGE25La professionnalisationdes associations et la crisepar Bernard Gomel,chercheur au Centre d’études de l’emploitances dans le secteur associatif. s’exprimant en 2002 pour le secteur marchand,le Medef entendait « contrôler le glissement de l’action sociale vers l’activitééconomique » et considérait comme essentiel « de poser de nouvelles règles, afinqu’à des activités semblables s’appliquent des conditions de concurrence équivalentes,quel que soit le statut juridique de l’opérateur » (Medef, 2002,Concurrence : marché unique, acteurs pluriels. Pour de nouvelles règles <strong>du</strong> jeu).L’impact de la crise économiqueLa crise économique qui se développe depuis le second semestre 2008 modifiesensiblement les relations des pouvoirs publics avec les associations. Comme àchaque fois que la conjoncture économique se dégrade, les pouvoirs publics chargentles associations et de larges composantes de l’économie sociale et solidairede la mise en œuvre de ses mesures contra cycliques. La relance des contrats aidésde la dernière période a concerné essentiellement le secteur « non marchand ».Ainsi, pour le Contrat unique d’insertion (CUI) qui remplace depuis le 1 er janvier2010 les anciens dispositifs, c’est son volet non marchand, le Contrat d’accompagnementdans l’emploi (CAE) qui va supporter l’essentiel des objectifs quantitatifsde placement des contrats aidés. Il est en effet prévu, dans le projet de loi definances pour 2010, 360 000 entrées en CUI-CAE (dont 85 000 cofinancées par lesconseils généraux pour les bénéficiaires <strong>du</strong> RsA) soit « un effectif moyen mensuelde 158 671 bénéficiaires ». Les entrées prévues en CUI <strong>du</strong> secteur marchand, lecontrat initiative-emploi (CUI-CAE), sont en comparaison beaucoup plus faibles :50 000 entrées prévues (sans compter ceux qui seront intégralement financés parles conseils généraux pour les bénéficiaires <strong>du</strong> RsA) pour « un effectif moyenmensuel de 23 971 ». Les crédits prévus en PLF 2010 pour les CUI-CAE sont dixfois plus importants que ceux prévus pour les CUI-CAE (respectivement 918 et 92millions d’euros) ; de plus les CUI <strong>du</strong> secteur non marchand sont également prisen charge par le plan de relance pour 268 millions d’euros supplémentaires.si la prise en charge <strong>du</strong> CAE est à 70 % <strong>du</strong> smic horaire (augmentée exceptionnellementen 2010 de 20 points supplémentaires financés par le plan de relance)et celle <strong>du</strong> CIE de 33 % <strong>du</strong> smic horaire, c’est que les objectifs qualitatifs des CUI<strong>du</strong> secteur non marchand sont plus ambitieux. La mise en œuvre <strong>du</strong> Contratunique d’insertion, « design for all », s’adapte « au mieux aux réalités locales »et le niveau des aides attribuées est fonction « <strong>du</strong> type d’employeurs, des publicsaccueillis et de l’effort consenti par l’employeur en matière de formation et d’accompagnement». Ainsi, à l’opposé des standards de professionnalisation que lespouvoirs publics leur opposaient naguère pour les rapprocher des entreprises privées,c’est à nouveau la spécificité <strong>du</strong> secteur non marchand qui est valorisée.La tribune fonda - décembre 2009 - n°200


PAGE26C’est l’occasion de rappeler que dans ce nouveau contexte, il importe que l’insertiondes personnes les plus en difficulté, mission des entreprises d’insertion,des associations intermédiaires, des ateliers et des chantiers d’insertion, soit préservée1 alors même que la crise rejette dans le chômage des salariés autrementmieux placés sur le marché <strong>du</strong> travail. Comment utiliser les mêmes dispositifspour maintenir un objectif structurel (« faciliter l’insertion professionnelle despersonnes sans emploi rencontrant des difficultés sociales et professionnellesd’accès à l’emploi ») tout en assurant une réponse conjoncturelle aux conséquencesde la crise sur l’emploi ? Le terme d’insertion ne convient certainementpas pour fédérer ces deux objectifs. C’est l’accompagnement indivi<strong>du</strong>alisé versl’emploi qui constitue de plus en plus le fil rouge de toute la politique publiquede l’emploi, en relation avec l’objectif européen deplein emploi dans la pleine activité et les taux élevésd’activité et d’emploi qu’il suppose. Expérimentédepuis des années, en particulier par les employeursde l’Ess, pour les personnes « éloignées de l’emploi »,l’accompagnement indivi<strong>du</strong>el est aujourd’hui consacrépour les jeunes (renforcement <strong>du</strong> Civis et <strong>du</strong> rôledes missions locales dans le plan Agir pour la jeunessede septembre 2009) et se généralise progressivement,des salariés licenciés économiques (cellules de reclassement,plans de sauvegarde de l’emploi, actualisation des conventions de reclassementpersonnalisé, extension des zones d’emploi concernées par le contrat detransition professionnelle) à l’ensemble des demandeurs d’emploi (au principemême de la création de Pôle emploi). Le professionnalisme atteint dans ledomaine de l’insertion par certains employeurs de l’Ess doit pouvoir être utilementtra<strong>du</strong>it en termes d’accompagnement et valoriserait ces structures autrementque par l’accueil transitoire de salariés en contrat aidé en période demauvaise conjoncture de l’emploi.Un nouveau regard sur les apports de l’ESS ?L’accompagnement indivi<strong>du</strong>alisévers l’emploi constituede plus en plus le fil rougede toute la politique publiquede l’emploi.La crise donne également l’occasion de réfléchir a contrario à ce qu’apportentles associations et plus largement l’économie sociale et solidaire en termes depratiques et d’expériences utiles aux mutations en cours. Mettons ici de côté toutle discours sur la spécificité de cette économie, sur ses valeurs, questions quisont ni plus ni moins d’actualité aujourd’hui qu’hier, pour au contraire penseraux enseignements utiles à toutes les entreprises que nous pourrions en tireraujourd’hui. si la crise économique actuelle ne donne pas raison globalement àl’économie sociale et solidaire comme on le lit parfois (avec le contre exemple1. Les 50 000 entrées en CUI-CAE prévues en 2010 dansles ateliers et chantiersd’insertion (ACI) sont parexemple financées « de façonexceptionnelle » à 105 % <strong>du</strong>smic horaire, soit un taux deprise en charge équivalentaux anciens contrats d’avenir.Suite...La tribune fonda - décembre 2009 - n°200


PAGE28sourcer l’Ess, passionner les mutualistes et expérimenter des solutions applicableslargement. Philippe Zarifian (Contrôle des engagements et pro<strong>du</strong>ctivitésociale, 2004) ne fait-il pas des centres d’appels le symbole <strong>du</strong> passage de lasociété de contrôle disciplinaire à celle <strong>du</strong> contrôle d’engagement annoncé parMichel Foucault et Gilles Deleuze ? Dommage que l’aspiration à « travaillerautrement », pourtant une des composantes originelles de l’Ess remise au goût<strong>du</strong> jour dans les années 1970 avec le« troisième secteur » (Jacques Delors,Jocelyne Gaudin, 1978, La création d’emplois dans le secteur tertiaire : le troisièmesecteur en France, rapport à la Commission des communautés européennes)soit particulièrement oubliée aujourd’hui. Elle n’est pas mentionnéedans les « 50 propositions pour changer de cap » mises en débat début 2010 parle Labo de l’économie sociale et solidaire (une initiative de Claude Alphandéry,président d’honneur de France Active, en collaboration avec Laurent Fraisse etTarik Ghezali).Les enjeux ne concernent pas seulement le salarié. Le déclenchement de la crisea révélé également des dysfonctionnements majeurs dans la façon dont les responsabilitésétaient assumées au sein de l’entreprise. Comme le dit UNI Cadres,une union syndicale internationale de cadres des services,« de vrais professionnels auraient-ils infligé celaà notre économie ? » Dans l’ambiance d’euphorie <strong>du</strong>capitalisme financier de la dernière période, desmétiers essentiels à la bonne gouvernance des entreprises(DRH, management, contrôle interne et tout l’encadrementau sens large) ne pouvaient parfois plus êtrecorrectement exercés. Le professionnel responsableLe professionnel responsable devenaitsynonyme d’empêcheur de profiterpleinement des opportunitésde court terme.devenait synonyme d’empêcheur de profiter pleinement des opportunités de courtterme. Il est intéressant que la revendication de pouvoir exercer pleinement etsans risques ses responsabilités professionnelles soit portée par les grandes centralessyndicales. se retrouve ainsi aujourd’hui, comme une exigence très généraleau sein de l’ensemble <strong>du</strong> système économique, un des ressorts historiques del’Ess, la revendication de l’autonomie et de la responsabilité dans l’exercice deson métier. Dans une Europe d’économie de la connaissance, le meilleur de l’expérienceentrepreneuriale de l’Ess pourrait profiter à tous.Fin.La tribune fonda - décembre 2009 - n°200


PAGE29Contraintes des marchéset projets associa-par Maurice Parodi 1 ,président <strong>du</strong> collège coopératif PAMCet article s’inscrit dans la question que la <strong>Fonda</strong> entend débattreavec des responsables associatifs : la gestion associative dans unenvironnement concurrentiel, importation ou adaptation de modèlesentrepreneuriaux lucratifs ?Il concerne donc directement les responsables des « associations gestionnaires» ou encore des « entreprises associatives » 2 qui ont une véritableactivité « pro<strong>du</strong>ctive » de services conforme à leur objet social et qui mettenten œuvre, à cet effet, des moyens économiques (ressources humaines,financières…) repérables par le système statistique en vigueur 3 .De quoi parlons-nous ?Il faut d’abord s’entendre sur le sens des mots (ce qu’Habermas appelle « la validationdes énoncés »), si l’on veut s’entendre sur le sens de l’action, c’est-à-diresur la bonne direction à suivre par les parties prenantes <strong>du</strong> projet associatif.On montrera ensuite que des spécificités <strong>du</strong> modèle d’une entreprise associativedécoule bien un modèle entreprenarial irré<strong>du</strong>ctible à celui d’une entreprise à finalitélucrative.1. Président <strong>du</strong> Collègecoopératif PAm, professeurémérite de l’Universitéde la méditerranée(Aix-marseille II).2. Castro Sami, Alix Nicole,L’entreprise associative.Aspects juridiques de l’interventionéconomique des associationsUniopss, Economica,1990.3. Il s’agit notamment <strong>du</strong>répertoire d’établissementSirene, des sources del’Unedic, <strong>du</strong> fichierdes DADS, etc.Qu’est-ce qu’une « association gestionnaire »?Il n’existe pas de définition juridique des « associations gestionnaires ». C’estl’observation empirique qui a permis de distinguer divers types d’associations :des associations plus ou moins professionnalisées et gestionnaires de moyenséconomiques, des associations de type militant, de rencontre ou d’influence.Une « association gestionnaire », grande ou petite, exerce bien une activité économiquepuisqu’elle participe au circuit économique, c’est-à-dire au flux de pro<strong>du</strong>ctionde biens et services échangés sur divers types de marché, ainsi qu’auflux de revenus salariaux qui en est la contrepartie. Elle participe aussi au circuitfinancier par la gestion de son budget, de sa trésorerie, par ses placements financiersou par ses emprunts.Cependant, si toutes les associations gestionnaires exercent une activité économique,peu d’entre elles l’exercent principalement dans le secteur concurrentielmarchand. De plus, on ne saurait ré<strong>du</strong>ire la logique économique à la seule logiquede marché. Les représentants de l’économie sociale et solidaire ne disent pasautre chose en revendiquant la juste place des coopératives, des mutuelles et desassociations dans une « économie plurielle » qui regroupe des types d’organisa-La tribune fonda - décembre 2009 - n°200


PAGE30tions pro<strong>du</strong>ctives de biens et services répondant à des logiques d’action ou à desmotivations diversifiées, voire antinomiques. Ainsi, un dirigeant d’associationgestionnaire participera à la création de « richesses », mais sa motivation ou salogique d’action ne saurait être <strong>du</strong> même ordre que celle d’un entrepreneur « capitaliste».La double ambivalence des associations gestionnairesDans le grand mouvement d’expansion des associations, après la deuxièmeguerre mondiale et encore plus dans le dernier quart <strong>du</strong> XX e siècle, en Francetout particulièrement, les « associations gestionnaires » ont connu un développementexceptionnel.Les questions que l’on peut se poser au sujet des associationsqui « sont entrées en économie » ou des« entreprises associatives » ne concernent pas seulementleurs rapports avec le secteur privé marchand etla logique de marché ; elles soulèvent aussi, dans laplupart des cas, la question de leur positionnement visà-visdes pouvoirs publics à l’échelon local, national,européen et international.Les associations gestionnaires sont ainsi diversement positionnées selon un axesocial-économique et selon un axe privé-public qui permettent de repérer schématiquementquatre champs d’activité des associations gestionnaires.Cependant, cette présentation simplifiée en quatre cadrants distincts, peut occulterles nombreux cas d’interférence des types d’activité et de situation à l’intérieurd’une même association. Ce chevauchement tra<strong>du</strong>it en fait la doubleambivalence de la plupart des associations gestionnaires qui peut se tra<strong>du</strong>ire aussipar une véritable ambiguïté.Un dirigeant d’association gestionnaireparticipera à la création de« richesses », mais sa motivation ousa logique d’action ne saurait être<strong>du</strong> même ordre que celle d’unentrepreneur « capitaliste ».Les concepts d’entreprise et d’entrepreneur peuvent-ils êtreéten<strong>du</strong>s à l’association gestionnaire ?L’entreprise est un concept économique beaucoup plus qu’une notion juridique.Cependant, de nombreux textes législatifs ou jurisprudentiels, dont ceux relatifsau droit <strong>du</strong> travail ou au droit fiscal, se réfèrent concrètement à l’entreprise indivi<strong>du</strong>elle(alors confon<strong>du</strong>e avec la personne physique de l’entrepreneur) et à l’entreprisecollective propriété d’une personne morale qui peut être une société outoute autre forme de groupement dont celle de l’association. D’ailleurs, des loistelles celles <strong>du</strong> 1 er mars 1984, <strong>du</strong> 25 janvier 1985 et, plus récemment, la loi sapin<strong>du</strong> 29 janvier 1993, ont assimilé le traitement appliqué aux associations exerçantSuite...La tribune fonda - décembre 2009 - n°200


PAGE31Contraintes des marchéset projet associatif...Suitepar Maurice Parodi, président <strong>du</strong> collège coopératif PAMdes activités économiques, à celui <strong>du</strong> droit commun, en matière de prévention desdifficultés des entreprises, de redressement ou de liquidation judiciaire.Mais si l’entreprise est d’abord un concept économique, il faut alors se référer audiscours économique qui lui a conféré son sens originel. Ici, pas de surprise :c’est bien le « discours économique » libéral, fondé sur le paradigme de l’indivi<strong>du</strong>alisme,les motivations égocentriques ou utilitaristes, qui a forgé le conceptde l’entreprise à partir de celui de l’entrepreneur indivi<strong>du</strong>el.4. Danièle Demoustier,m.-Laure ramisse, « Essai deconstruction de profils socioéconomiquesd’associations »,recma, n° 272, 2 e trim. 1999.Philippe Calle, « Pour unereconnaissance de la diversitéassociative », recma n° 2784,4 e trim. 1999.Les théoriciens modernes de la « gouvernance d’entreprise » (« corporate governance»), en replaçant le critère de la profitabilité optimale des capitaux investisou de la recherche de « valeur » au profit exclusif des actionnaires des grandessociétés et de leurs groupes, en tête des critères et indicateurs de la performanceéconomique, se sont donc efforcés de réhabiliter le dogme indivi<strong>du</strong>aliste qui estau cœur de la « pensée unique » contemporaine. Ainsi, ce n’est pas sans un certainabus de langage que l’on peut parler « d’entrepreneur associatif ».Les auteurs qui se sont interrogés sur la question, « l’entreprise associative est-elle uneentreprise comme les autres ? », ont pu répondre « oui mais » ou bien ont parlé de« quasi entreprise » 4 . Ce sont bien des entreprises <strong>du</strong> point de vue des formes d’organisationpro<strong>du</strong>ctive, mais ce ne sont pas des entreprises comme les autres puisqu’ellesappartiennent à la catégorie des organisations sans but lucratif et se distinguent donc fondamentalement<strong>du</strong> modèle classique de l’entreprise et de l’entrepreneur « capitaliste »par les motivations allocentriques, et non pas égocentriques, qui les animent.La tribune fonda - décembre 2009 - n°200


PAGE32L’association gestionnaire confrontée à la concurrencedes marchés dans le secteur marchand et dans le secteurnon marchandLa notion et le concept de marché sont étroitement liés, en théorie et en pratique,à ceux de concurrence, d’offre et de demande et donc de besoins indivi<strong>du</strong>els etcollectifs. Or, le type de concurrence qu’affrontera et les contraintes économiquesque subira une association engagée sur des « créneaux » exposés <strong>du</strong> secteur marchand,tels que le tourisme social, la formation professionnelle, l’expertise, lagestion, l’audit, certains services de proximité, etc., ne seront pas <strong>du</strong> même ordreque celui et celles que rencontrera éventuellement une association de servicesocial (et tout particulièrement de l’aide sociale légale) dans le secteur non marchand.Du principe de concurrence et de son applicationaux associations œuvrant dans le secteur marchandL’article 58, alinéa 2, <strong>du</strong> traité de Rome stipule que bénéficient <strong>du</strong> droit d’établissementet, parallèlement, <strong>du</strong> droit de libre prestation de services, « les sociétésde droit civil et commercial, y compris les sociétés coopératives et les autrespersonnes relevant <strong>du</strong> droit public ou privé, à l’exception de sociétés qui ne poursuiventpas de but lucratif ».à première vue, on pourrait donc penser que les associations sont en dehors <strong>du</strong>traité et, de ce fait, qu’elles ne sauraient bénéficier <strong>du</strong> droit d’établissement et delibre prestation de service sur le « marché intérieur ». Mais, comme le soulignesami Castro 5 , aussi bien la doctrine que les autorités communautaires s’accordentà accepter le mot « société » comme synonyme de « groupement » et leur interprétationde la notion de « but lucratif » les amènent à conclure qu’un grand nombred’associations développent des activités économiques entrant dans le champ<strong>du</strong> traité.« Elles sont donc aussi justiciables de tout le droit de la concurrence européenpostulant la non-discrimination, l’égalité de traitement, la transparence, la reconnaissancemutuelle, la proportionnalité et visant les « mauvaises » ententes, lesabus de position dominante, les pratiques anticoncurrentielles, les monopoles,les ventes sélectives, le bénéfice d’aides publiques, etc. »Toutefois, par l’arrêt sodemare, la Cour de justice des communautés européennesn’en a pas moins intro<strong>du</strong>it dans le droit communautaire une différence de traitemententre organismes privés selon qu’ils poursuivent ou non un but lucratif, surun même segment de marché. En invoquant le principe de subsidiarité qui prévautdans le champ des politiques sociales, cet arrêt a rejeté le recours posé par5. Sami Castro, « organismeslucratifs et droit communautaire.à propos de l’arrêtSodemare (de la Cour de justicedes communautés européennes,17 juin 1997) »,recma, n° 272.Suite...La tribune fonda - décembre 2009 - n°200


...SuitePAGE33Contraintes des marchéset projet associatifpar Maurice Parodi, président <strong>du</strong> collège coopératif PAMla société sodemare pour deux de ses filiales italiennes, organismes à but lucratifgérant des résidences pour personnes âgées, qui demandaient à bénéficier <strong>du</strong>conventionnement ouvrant droit au remboursement de ces prestations, par ailleursaccordé aux organismes à but non lucratif de larégion concernée (la Lombardie). Un nouvel arrêtBon augure pour la reconnaissance(Awo-sano, 2008) concernant une entreprise allemande,vient de confirmer cette orientation jurispru-des « spécificités méritoires »des associations, qui exercent leur dentielle. Cette jurisprudence est de bon augure pour lareconnaissance des « spécificités méritoires » des associations,au moins de celles qui exercent leur activitéactivité dans le domaine dela souveraineté rési<strong>du</strong>elle dans le domaine de la souveraineté rési<strong>du</strong>elle de lade la puissance publique nationale. puissance publique nationale, c’est-à-dire <strong>du</strong> champd’application <strong>du</strong> principe de subsidiarité (celui-làmême des ssIG ou services sociaux d’intérêt général).La ratification finale en cours <strong>du</strong> traité de Lisbonne devrait permettre, à cet égard,de distinguer plus clairement les ssIG des services économiques d’intérêt généralet, par conséquent, de traiter différemment les associations relevant <strong>du</strong> secteurnon marchand et celles qui affrontent le secteur marchand 6 .6. La tribune fonda n° 193,octobre 2008, les SSIG,synthèse par Henry Noguès.7. Philippe Kaminski (Uneprospective de l’économiesociale : trois situations, troisdestinées, XII e colloque del’Addes, 1990), dans unetypologie originale, distinguaiten effet les « associationsinnovantes » desassociations ruminantes (ouroutinières) et des associations« carnassières » (cellesqui, sous l’emprise de leursmanagers, consument touteleur énergie et tout leur talentà conquérir des parts de marchéen passant par pertes etprofits le projet associatif luimême; c’est le cas, évidemment,des « associationslucratives sans but ».Le piège de la marchandisation de l’offre associativeou de « l’isomorphisme marchand »Les associations les plus confrontées au secteur marchand sont particulièrementexposées au risque de l’ « isomorphisme marchand », c’est-à-dire à la tentationd’imiter les pratiques entreprenariales les plus agressives et les moins responsablesde certaines entreprises lucratives pour gagner à tout prix de nouvelles partsde marché. On peut avancer, par exemple, des pratiques de GRH (gestion des ressourceshumaines) fort éloignées des préceptes vertueux qui décorent le discoursà la mode sur la RsE (responsabilité sociale des entreprises) ou des critères etindicateurs de bonne con<strong>du</strong>ite des agences de notation sociale ; ou des pratiquescommerciales et de marketing peu conformes à la recherche <strong>du</strong> « juste prix » età la mise en œuvre des « gratuités » qui devraient être au cœur <strong>du</strong> modèle entreprenarialassociatif ; ou encore les pratiques d’associations « carnassières » 7 quin’hésitent pas à dévorer leurs consœurs associatives qui se trouvent en difficultésur le même segment de marché, plutôt que de rechercher les bases d’une coopération.La tribune fonda - décembre 2009 - n°200


PAGE34Les caractères particuliers <strong>du</strong> marché public <strong>du</strong> secteurnon marchandOn voudrait à présent relever les caractéristiques de la « pro<strong>du</strong>ction associative »,de sa « clientèle » et de son « marché » qui tendent à rapprocher la logique d’actionou de pro<strong>du</strong>ction d’une association œuvrant dans le secteur non marchandde celle d’une administration publique, gardienne par nature de l’intérêt général :– l’offre ou la pro<strong>du</strong>ction porte sur des services indivi<strong>du</strong>els et collectifs quiconcernent des publics présentant des caractéristiques propres (niveau de revenu,caractéristiques démographiques, sociales ou culturelles). Le service collectifpeut alors être pro<strong>du</strong>it directement par des administrations publiques (État, collectivitéslocales ou organismes de la sécurité sociale) ou bien délégué à un organismepublic ou privé à caractère non lucratif ;– la demande de l’usager est plus ou moins bien « révélée », c’est-à-dire qu’ellen’est pas toujours clairement identifiable : on peut parler à cet égard d’indéterminationdes « besoins sociaux » ; c’est une des raisons fondamentales qui peuventlégitimer le pouvoir tutélaire de l’État et le mandat qui va être accordé aux professionnels<strong>du</strong> travail social et aux organismes délégataires qui les emploient ;– la demande de l’usager n’est pas ou est insuffisamment solvable. D’où lavolonté des pouvoirs publics de soustraire en totalité ou en partie l’offre de serviceà la loi <strong>du</strong> marché, pour garantir l’égalité d’accès aux services collectifs.Ces deux dernières caractéristiques font que l’usager <strong>du</strong> service collectif à financementpublic, n’est pas assimilable à un client. Le client, en économie de marché,n’est pas seulement le consommateur final, c’est aussi celui qui paye. C’estle libre choix ou la « souveraineté » de ce consommateur qui fonde alors la légitimité<strong>du</strong> marché. Or, s’agissant <strong>du</strong> marché <strong>du</strong> service social d’intérêt général,c’est l’administration qui paye en totalité ou en partie ou bien qui solvabilisel’usager.Il en résulte que les associations gestionnaires qui offrent leurs services sur cetype de marché ne sont pas ré<strong>du</strong>ctibles à une entreprise classique, car elles s’inscriventalors dans la logique d’intervention des collectivités publiques.Le fait que l’État, usant de son pouvoir de tutelle, décide de retirer <strong>du</strong> marché lapro<strong>du</strong>ction de certains services, sans doute indivi<strong>du</strong>alisables par nature, maisdont l’utilité collective ou sociale est jugée fondamentale à un certain niveau dedéveloppement de la société, devrait positionner l’association comme le concessionnaireprivilégié <strong>du</strong> service collectif (par exemple, pour de vastes pans deSuite...La tribune fonda - décembre 2009 - n°200


...SuitePAGE35Contraintes des marchéset projet associatifpar Maurice Parodi, président <strong>du</strong> collège coopératif PAMl’é<strong>du</strong>cation, de l’hygiène publique et de la santé, de l’action sociale, etc.). Eneffet, ne pouvant tout gérer directement et au plus près de l’usager, l’État, ou lacollectivité territoriale, délègue cette fonction de pro<strong>du</strong>ction de certains « bienspublics » ou de services d’utilité collective, ou d’intérêtgénéral, à des organismes de droit privé sans butL’État devrait positionner l’associationlucratif. Dans le champ des politiques sociales, c’estcomme le concessionnaire privilégiélégitimement l’association qui se voit déléguer cette<strong>du</strong> service collectif. tâche car c’est elle qui, le plus souvent, a déjà« inventé » le type de réponse à apporter à la satisfaction<strong>du</strong> besoin social « révélé » par elle. C’est doncelle qui est la mieux placée et la mieux fondée pour y répondre.Cette tendance générale que l’on a observée pour les services sociaux (« d’intérêtgénéral ») en France, au siècle dernier, ne devrait pas être contrariée par laCommission européenne, si elle respecte elle-même le principe de subsidiaritéinscrit dans les traités fondateurs de l’Union européenne.Toutefois, la clarification <strong>du</strong> statut juridique des ssIG, dans le droit communautaireet, par voie de conséquence, <strong>du</strong> positionnement particulier des associationsopérant dans le champ, ne mettrait pas ces dernières à l’abri de la concurrenceorganisée par les pouvoirs publics français <strong>du</strong> fait de la généralisation des procé<strong>du</strong>resd’appel d’offre dans le cadre de « la commande publique ». Cette concurrences’exerce de plus en plus entre associations elles-mêmes sur le marchépublic des services sociaux. Elle peut s’ouvrir à des entreprises lucratives, commele montre l’irruption récente de ces entreprises ou de leurs enseignes sur les marchésdes services à la personne dont la demande a été solvabilisée par l’État(notamment pour les personnes âgées, la petite enfance, les personnes handicapées…).On soulignera, à cet égard, que les politiques de solvabilisation des indivi<strong>du</strong>s(par exemple par les chèques services), aux fins de favoriser l’accès detous à certains biens et services, ré<strong>du</strong>isent la portée de la distinction entre secteurmarchand et secteur non marchand, mais sans l’abolir au regard <strong>du</strong> droit communautaire.Pour ce type d’association, le piège de l’instrumentalisationou de « l’isomorphisme institutionnel »Une autre dérive et un autre piège menacent alors les associations de servicesocial ou d’intérêt général qui œuvrent dans le secteur non marchand : celui de« l’isomorphisme institutionnel » qui répond à la logique d’instrumentalisationdes opérateurs délégataires <strong>du</strong> service public par l’État (ou les collectivités territoriales).La tribune fonda - décembre 2009 - n°200


PAGE36L’association candidate à la prestation de service social se coule alors, sans motdire, dans le moule préformé des prescriptions <strong>du</strong> cahier des charges ; ellerenonce d’avance à faire valoir les « spécificités méritoires» inscrites dans son projet associatif et qui doiventse tra<strong>du</strong>ire dans ses pratiques sociales et Le piège de la « marchandisation »professionnelles. Elle rentre dans le rang des « opérateurs» dociles et incolores de l’administration, c’est-de l’offre associative d’une part,et celui d’une instrumentalisationà-dire dans la catégorie des associations « ruminantes »et « rentières ».passive de « l’opérateur » associatifd’autre part.Dès lors, comment éviter deux pièges fatals pour tousprojets associatifs : le piège de la « marchandisation »de l’offre associative d’une part, et celui d’une instrumentalisation passive de« l’opérateur » associatif d’autre part ?Peut-on transposer tel quel le modèleentreprenarial des entreprises lucratives auxassociations gestionnaires ou entreprisesassociatives ?On a déjà tiré les principales caractéristiques ou spécificités communes aux associationsgestionnaires qui les distinguent globalement des entreprises à finalitélucrative. De plus, nous avons relevé une distinction essentielle entre les associationsgestionnaires qui exercent leur activité dans le « secteur non marchand » etqui sont de plus en plus confrontées à une concurrence régulée par le code des marchéspublics, à l’échelle nationale (et à terme par le statut juridique des ssIG dansl’Union européenne) et celles qui œuvrent dans le secteur marchand et qui sontconfrontées à une concurrence beaucoup plus large (celle des entreprises lucrativeset même celle des groupes capitalistes), et déjà soumises au droit communautaire.Il nous faut aller un peu plus loin dans l’exploration des spécificités <strong>du</strong> modèleentreprenarial associatif, avant de nous prononcer sur les spécificités <strong>du</strong> mode degouvernance et de management des « entreprises associatives » par rapport aumodèle gestionnaire standard des entreprises lucratives et aussi par rapport aumodèle gestionnaire prescrit par l’administration.Suite...La tribune fonda - décembre 2009 - n°200


PAGE37Contraintes des marchéset projet associatif...Suitepar Maurice Parodi, président <strong>du</strong> collège coopératif PAMLes spécificités de « l’entreprise associative » selon « la lettre » etselon « l’esprit » des loisLes spécificités formelles découlant des lois et de la réglementationLes deux principes originels de la non lucrativité et de la gestion démocratique(« une personne une voix ») suffiraient déjà à départager les modèles entrepreneuriaux.A. Le premier est clairement formulé dès l’article 1 de la loi de 1901 qui désignel’association comme étant « la convention par laquelle deux ou plusieurs personnesmettent en commun, d’une façon permanente, leurs connaissances et leuractivité dans un but autre que de partager des bénéfices ». Par la suite, la loi, laréglementation fiscale et la jurisprudence se sont efforcées de préciser les conditionsd’application de ce principe général. La dernière instruction fiscale (1998-1999), entrée en application en 2000, s’inscrit dans ce droit fil. Elle affirmed’abord le principe d’exonération pour les organismes réputés sans but lucratif(associations, fondations, congrégations) et détermine clairement la démarched’appréciation <strong>du</strong> caractère lucratif des activités associatives en trois étapes (voirschéma ci-contre).B. Le principe de gestion démocratique est commun aux trois familles del’E.s.s. : les coopératives, les mutuelles et les associations. Il doit se tra<strong>du</strong>ire aminima dans les statuts qui régissent la gouvernance des instances des associations: assemblée générale, conseil d’administration, bureau.sur le plan formel, le principe « une personne une voix » intro<strong>du</strong>it à lui seul unedifférence essentielle avec le principe qui régit le contrôle <strong>du</strong> pouvoir dans lesentreprises sociétaires de droit commun et plus particulièrement dans les sociétésde type capitaliste : la répartition des voix au prorata <strong>du</strong> capital détenu par lesactionnaires. En ce sens, le modèle entreprenarial associatif est déjà irré<strong>du</strong>ctibleà celui de l’entreprise capitaliste. Il l’est également par rapport aux autres typesd’entreprises lucratives (entreprises indivi<strong>du</strong>elles, artisanales, PME familiales…)où le pouvoir est détenu par les seuls propriétaires des moyens de pro<strong>du</strong>ction. Enrevanche, la règle des réserves impartageables d’une association transmute cellescien « capital » ou en « patrimoine » collectif. Il n’y a donc aucune possibilitéthéorique d’appropriation indivi<strong>du</strong>elle <strong>du</strong> capital et <strong>du</strong> pouvoir qui lui est logiquementattaché.Mais l’habit juridique ne suffit pas à faire le moine de l’associationC’est le respect de la règle ou, en l’occurrence, le respect de l’esprit de la loiassociative qui fait le bon « moine » de l’association. Ceci nous renvoie claire-La tribune fonda - décembre 2009 - n°200


PAGE38Lucrativité, non lucrativité des associationsSuite...La tribune fonda - décembre 2009 - n°200


PAGE39Contraintes des marchéset projet associatif...Suitepar Maurice Parodi, président <strong>du</strong> collège coopératif PAMment à l’éthique ou aux valeurs <strong>du</strong> « projet associatif » qui en fixent la finalité,le but social et sociétal et le cap à suivre, mais aussi aux « spécificités méritoires» des associations de service social mises en valeur par François Bloch-Lainé.Quelques applications concrètes <strong>du</strong> respect de l’esprit de la loi et des spécificitésméritoires au modèle entreprenarial de l’associationA. s’agissant <strong>du</strong> principe de non lucrativité, on ne peut se borner au respect formelde la règle <strong>du</strong> non partage direct ou indirect des excédents aux adhérents(dont les administrateurs) et de la règle fiscale des « 4 P ».Relevons au moins quatre bonnes pratiques d’un modèle entreprenarial associatif:– les règles de transparence et de limitation des indemnités éventuelles verséesaux administrateurs ;– l’affectation des excédents et des réserves impartageables au développementd’un projet associatif co-construit par les parties-prenantes ;– les limites à intro<strong>du</strong>ire, par négociation sociale, dans la hiérarchie des salaires ;– l’organisation et la valorisation <strong>du</strong> bénévolat, source principale <strong>du</strong> don et degratuités.B. s’agissant <strong>du</strong> principe de gestion démocratique, par delà le respect des règlesformelles de fonctionnement de l’assemblée générale, <strong>du</strong> comité d’entreprise etautres organes ou instances de gouvernance et de gestion, on devrait être attentifsaux pratiques entreprenariales qui concernent :– l’association effective des diverses « parties prenantes » (adhérents, salariés,usagers non adhérents, partenaires, …) par la mise en place d’instances deconcertation, de consultation, de réflexion, de collaboration et de suivi <strong>du</strong> projetassociatif ;– la qualité <strong>du</strong> dialogue social et des relations sociales en interne ;– le plan de formation des collaborateurs salariés ;– l’accessibilité aux fonctions de gouvernance de tout adhérent qui y aspire et àqui on en donne les moyens (par exemple, la formation technique et l’é<strong>du</strong>cationassociative) ;– la transparence de la gestion dans toutes ses dimensions (économique, financière,GRH, communication, organisation…) ;– la qualité de la communication en interne et en externe.La tribune fonda - décembre 2009 - n°200


PAGE40Les « spécificités méritoires » des associations renforcentl’identité de leur modèle entreprenarialLes « spécificités méritoires » de l’association, distinguées par F. Bloch-Lainé,viennent apporter de nouvelles touches de couleur au modèle de l’entreprenariatassociatif et au portrait de l’entrepreneur social.– « La fonction d’avant-garde » ou encore « d’innovation sociale », c’est-à-direl’aptitude à révéler la demande sociale et à apporter des réponses nouvelles parla construction d’une offre de services de qualité ajustée aux « besoins sociaux ».– « Le moindre coût pour la collectivité » qui est lié au principe de non lucrativitéet à la mise en œuvre des gratuités (dons de temps ou d’argent) ou encore àla mobilisation <strong>du</strong> bénévolat sous toutes ses formes et aux divers étages de l’activitéassociative.– « La réfection <strong>du</strong> tissu social » qui, pour les associations de service social, renvoieaux questions de la « citoyenneté au quotidien » et au délicat passage de« l’espace public primaire » de socialisation que constitue l’association, à « l’espacepublic secondaire » ou plus large de citoyenneté que constitue l’espace politique.à cet égard, le don est, pour Alain Caillé, « l’opérateur spécifique de lacréation <strong>du</strong> lien social ». Tout « pacte associatif » implique donc forcément ledon. Les vertus de ce dernier dépassent largement l’effet de moindre coût.– « Le personnalisme et l’accompagnement » qui semblent concerner plus particulièrementles associations de service social mais dont on trouverait certainementdes applications nombreuses dans les entreprises associatives <strong>du</strong> tourismesocial, de l’é<strong>du</strong>cation populaire ou de la formation, des activités culturelles, etc.Mais, bien sûr, ces « spécificités méritoires » ne sont pas innées ou intrinsèquementliées au statut juridique des associations. Elles se construisent et ne sontjamais définitivement acquises.Comment gérer la tension permanente entre les contraintesgestionnaires et la finalité sociale <strong>du</strong> projet associatif ?Avançons encore quelques propositions concrètes.► par la professionnalisation des structures associatives et plus précisément :– par une organisation interne en rapport avec les objectifs stratégiques et le projetassociatif au double étage de la gouvernance et de la direction, sans négligerla communication et les rapports entre ces deux niveaux ;Suite...La tribune fonda - décembre 2009 - n°200


PAGE41Contraintes des marchéset projet associatif...Suitepar Maurice Parodi, président <strong>du</strong> collège coopératif PAM– par une implication active dans les réseaux de mutualisation des connaissances,des compétences, des expériences (réseaux horizontaux de l’économie socialesur les territoires et réseaux professionnels verticaux…) ;– par la constitution éventuelle des groupes de coopération ou groupements associatifs(<strong>du</strong> type plateforme de compétence ou consortium).► par la qualification des personnes (ressources humaines) et l’é<strong>du</strong>cation associativedes « parties-prenantes ».La formation technique ou professionnelle et l’é<strong>du</strong>cation associative (aux finalitéset valeurs proclamées <strong>du</strong> projet associatif) concernent les adhérents bénévoles(plus particulièrement les administrateurs) et les collaborateurs salariés(plus particulièrement la direction).Ceci est essentiel pour maintenir un équilibre des pouvoirs entre le niveau stratégiquede la gouvernance et le niveau opérationnel <strong>du</strong> management, tout en respectantle principe de gestion démocratique qui est consubstantiel au modèleentreprenarial de l’association.Formation et é<strong>du</strong>cation des parties prenantes sont donc nécessaires pour éviterdeux dérives fatales au modèle entreprenarial spécifique des associations gestionnaires:– la dérive technocratique qui menace surtout les grosses structures associativestrès professionnalisées où l’accaparement <strong>du</strong> pouvoir décisionnel stratégique parla « technostructure » évacue le projet associatif et ré<strong>du</strong>it la gouvernance à lafonction d’enregistrement en interne et à celle de représentation décorative enexterne ;– la dérive autocratique, encore trop fréquente dans les associations de taille plusmodeste, où le président (souvent le fondateur et ses proches) accapare lesorganes et les instruments <strong>du</strong> pouvoir (information, recrutement, gestion financière…).Dans ce cas, le militant étouffe le bénévolat, paralyse le gestionnaire etré<strong>du</strong>it le projet associatif à sa vision personnelle. Ni l’esprit, ni même la lettre dela loi associative ne survivent alors.► par une association effective de « parties-prenantes » de l’association, conditionpremière d’une gestion participative et démocratique qui est la spécificitépremière <strong>du</strong> modèle entreprenarial associatif.La tribune fonda - décembre 2009 - n°200


PAGE42La spécificité de la gestion des ressources humaines, dans le cadre des entreprisesassociatives, c’est de combiner le travail salarié et l’activité bénévole desadhérents, des militants et, éventuellement, des usagers non adhérents. si, dansles associations les plus professionnalisées, notamment dans le secteur des servicessociaux, de la formation, <strong>du</strong> tourisme social, etc., les bénévoles ne participentpratiquement plus à la pro<strong>du</strong>ction directe des services, on les retrouvenécessairement dans les fonctions d’administrateurs et les fonctions « politiques »d’élaboration et de contrôle <strong>du</strong> projet associatif.à partir de là vont se nouer des relations complexes entre les quatre parties prenantesd’une association gestionnaire (comme de toute autre entreprise de l’économiesociale) et qu’Henri Desroche avait schématisées dans son quadrilatère :On peut donc avoir des cas de figure qui se révéleront néfastes non seulement àl’efficacité ou l’efficience de l’organisation, mais encore à la finalité même del’association : coalition des managers et salariés contre le président, les administrateurset les adhérents ; alliance exclusive <strong>du</strong> directeur et <strong>du</strong> président ausommet, caractéristique d’une gestion à la fois technocratique et autocritique ; ouencore le cas plus banal (notamment dans les grosses associations « ruminantes »en dérive corporatiste) d’une fracture entre les salariés et les autres parties prenantes,etc.Une bonne gestion spécifique des ressources humaines, dans les associations« entrées en économie » serait celle qui réussirait à associer les quatre pôles <strong>du</strong>quadrilatère dans une combinaison favorable à l’efficacité de l’organisation etrespectueuse de ses finalités sociales. On pourrait véritablement parler alors d’unegestion à la fois participative et démocratique.En conclusion provisoireUne boussole en main pour tenir le cap fixépar le projet associatifIl est donc nécessaire de se doter des instruments de gouvernance et de gestionbien ajustés à la main des « gouvernants » (c’est-à-dire des administrateurs bénévoles)et des « dirigeants salariés » (ou managers), solidement adossés euxmêmesà un projet associatif qui donne sens à leur engagement et à leur action.à l’évidence, certains outils de gestion proprement dite sont communs à touteforme d’entreprise lucrative ou non lucrative.Suite...La tribune fonda - décembre 2009 - n°200


PAGE43Contraintes des marchéset projet associatif...Suitepar Maurice Parodi, président <strong>du</strong> collège coopératif PAMCela se vérifie de plus en plus au niveau de la gestion comptable et financière.Le système comptable des associations et les règles de vérification et de contrôlese sont d’ailleurs beaucoup rapprochés de ceux des entreprises commerciales.Les outils universels de la gestion comptable et financière sont précisément lesinstruments de base <strong>du</strong> contrôle de gestion, de la transparence et <strong>du</strong> pilotage stratégiquede toute organisation pro<strong>du</strong>ctive.On ne parle donc pas ici de ce type d’outils gestionnaires standards, mais d’instrumentsque « l’on ne trouve pas dans le commerce » et qui permettent de garderle bon cap, malgré les bords que l’on est amenés à tirer, en cas de « ventdebout ». Il s’agit, par exemple, des guides ou grilles d’évaluation de l’utilitésociale, des approches qualité (élargie), des démarches progrès ou d’autoévaluationqui sont déjà en cours d’expérimentation dans divers secteurs (marchandsou non marchands) d’intervention des associations.En bref, on parle ici des instruments spécialement forgés pour et par les entrepreneurssociaux qui s’inscrivent dans une démarche progrès en interne et quipermettent de faire valoir et prendre en compte en externe, l’utilité sociale etsociétale, c’est-à-dire la face cachée de la valeur spécifique générée par les associations,en sus des valeurs économiques marchandes.Fin.La tribune fonda - décembre 2009 - n°200


PAGE44Insérer publicité Sogamavoir La tribune 199La tribune fonda - décembre 2009 - n°200


PAGE45Managementet engagementpar Vonnick Ribéraud, doctoranteau Centre nantais de sociologie 1Usages de techniques managériales et transformation desmodes d’engagement : le cas d’une association de solidaritéinternationale.Depuis les années 1990, le milieu de la solidarité internationalese professionnalise et se rationalise. Peu à peu, le mode de fonctionnementdes Associations de solidarité internationale (Asi) se rapproche decelui de l’entreprise avec la généralisation de l’adoption de techniques de marketing,de management, de gestion et d’expertise. L’usage de ces techniques estaujourd’hui considéré par l’ensemble des acteurs de la solidarité internationalecomme évident et indispensable à la bonne marche des Asi. Pour faire face à cesnouveaux impératifs de gestion et de communication, les Asi embauchent dessalariés hautement diplômés et font appel à des consultants, ce qui entraînent uneréorganisation des relations au sein des équipes et des critères d’excellence del’engagement au service des autres. Cette réorganisation ne va pas sans tensions,contradictions et dilemmes pratiques. Instaurant un nouveau mode de fonctionnementau sein de l’équipe, ces outils managériaux impulsent des phénomènesde déqualification et de requalification des salariés et jouent sur la manière dontils envisagent et vivent leur métier. En effet, la conception technique de l’aide àapporter aux « autres lointains » tend à faire disparaître la logique militante, qui,par le passé, était extrêmement présente dans ce milieu. Les conséquences sur lesfaçons de penser et de pratiquer les relations aux populations locales aidées sontalors inévitables.Une étude monographique d’une Asi d’une ville de taille moyenne permet demontrer comment cette logique gestionnaire apparaît et se construit au fur et àmesure que s’accroît l’activité de l’association, comment les salariés y adhèrentou la rejettent, quels en sont les effets sur les relations de travail et sur l’engagementdes salariés.1. Doctorante au Centrenantais de sociologie (CENS),université de Nantes et auGroupe de recherches etd’études sociologiques deCentre ouest (Gresco),université de Poitiers.L’association étudiée est une association de développement qui a seize ans d’existence.son budget pour l’année 2008 est de 4,5 millions d’euros. ses domainesd’activités sont l’é<strong>du</strong>cation, la santé, l’hydraulique, l’agriculture, le développementlocal et la micro finance. Menant des projets de développement dans septpays différents, son activité est partagée entre le siège et les terrains sur lesquelselle intervient. Les salariés embauchés ici et là-bas ont différents statuts possibles(volontaire, salarié expatrié, salarié national, bénévole expatrié…). Nous noussommes plus particulièrement intéressés aux salariés <strong>du</strong> siège, au nombre de dix,avec lesquels nous avons effectué des entretiens semi-directifs ; nous avons éga-La tribune fonda - décembre 2009 - n°200


PAGE46lement réalisé des observations de réunions et de moments de vie <strong>du</strong> collectif etanalysé une partie des documents informatiques de l’association.L’association a été créée par deux responsables de programme d’une associationde développement déjà existante. Cette association ne souhaitait pas s’agrandiroutre mesure et proposa à ses salariés de reprendre des programmes en cours etde créer de nouvelles structures associatives. L’association qui mit en place cetessaimage existe toujours, elle a été créée en 1980 et son budget est aujourd’huile double de celui de l’association étudiée.à sa création l’association ne comptait que trois salariés : les deux anciens responsablesde programmes devenus directeur et codirecteur ainsi qu’une comptable.Progressivement l’association grandit et se structure, de nouveaux salariés sontembauchés. De 4 salariés en 1995 on passe à 7 en 2002 puis 10 en 2008. On y trouveau siège des postes de directeur, de directeur administratif et financier, de responsablesfinances, d’adjointe de direction, de chargé de mission, de responsables deprogrammes, de chef de secteur, de secrétaire et de chargé de communication.Que ce soit pour les postes au siège ou sur le terrain le turn-over est relativementimportant. Au siège le codirecteur par exemple est rapidement parti ainsi qued’autres salariés. Le directeur quant à lui avant de prendre la décision de quitterl’association en 2009 est devenu président en 2006. Nous reviendrons sur cesmultiples bouleversements ultérieurement.Les dispositifs de gestion : un moyende légitimationLes principes de gestion se sont généralisés dans de nombreux espaces professionnels(privé, public, associatif…). Dans le milieu des Asi, ils participent auprocessus de légitimation de ce milieu professionnel encore en cours de construction.La gestion est considérée comme apportant nécessairement « maîtrise, performanceet rationalité » 1 . L’utilisation des dispositifs de gestion, dans le cas del’association étudiée, permet aux salariés d’avoir et de donner l’impression qu’ilssont ce qu’on appelle de « bons professionnels ». L’association peut ainsi êtreconsidérée dans le champ des Asi comme professionnelle au sens de performante,sérieuse et efficace. sans cette image positive l’accès aux fonds publics, ressourcesfinancières essentielles de l’association, serait plus difficile. De plus, laconcurrence entre les Asi est de plus en plus rude. En effet, le nombre d’Asi augmentetandis que les fonds publics disponibles stagnent. L’octroi de ces derniersse fait en fonction de la capacité de l’Asi à suivre les exigences sans cesse renou-1. Valérie Boussard,sociologie de la gestion. Lesfaiseurs de performance,Paris, Belin, 2008, pp. 25-27.Suite...La tribune fonda - décembre 2009 - n°200


...SuitePAGE47Management et engagementpar Vonnick Ribéraud,doctorante au Centre nantais de sociologievelées par les financeurs publics. Quêtes de visibilité et de reconnaissance sontdonc liées à l’utilisation et à la maîtrise des dispositifs de gestion.La gestion peut s’appliquer de manière large et hétéroclite. Au siège de l’association,on la retrouve dans différents domaines : gestion financière, gestion deprojet, gestion des ressources humaines et communication. Dans chacun de cesdomaines, il existe des outils spécifiques qui permettent de mettre en applicationles principes formulés par le logo gestionnaire. L’utilisation de ces outils ne peutse faire sans la croyance en leurs indispensables nécessités.2. marie-Christine Combes etPascal Ughetto, La professionnalisationdes associations: une entrée par letravail, Communication au 3 econgrès de l’Associationfrançaise de sociologie, rT35, Paris, avril 2009.3. Pascal Ughetto, Faire faceaux exigences <strong>du</strong> travailcontemporain. Conditions <strong>du</strong>travail et mangament, Paris,éd. Anact, 2007, p. 72.4. Cf. notamment AnnieCollovald, « Pour une sociologiedes carrières moralesdes dévouements militants »in Annie Collovald (dir.), avecmarie-Hélène Lechien,Sabine rozier et LaurentWillemez, L’humanitaire ou lemanagement des dévouements.Enquête sur un militantismede “ solidaritéinternationale ” en faveur <strong>du</strong>Tiers-Monde, rennes, PressesUniversitaires de rennes,2002.Les salariés acceptent les différents dispositifs de gestion car en plus d’être synonymed’efficacité, ils participent à la professionnalisation de l’Asi et donc à salégitimation. En imposant un mode de fonctionnement déterminé, avec des règlesprécises à suivre, l’Asi contrôle l’entrée de ses membres et ne permet qu’auxacteurs qualifiés d’y travailler. Mais cette professionnalisation reste chaotique,notamment <strong>du</strong> fait que l’activité de l’association a très rapidement augmenté. Entrois ans, son budget a presque doublé, passant de 2,5 à 4,5 millions d’euros. Lessalariés ont donc dû faire face à cette augmentation sans pouvoir embaucher depersonnel supplémentaire. En effet, les fonds qui ont permis cette augmentationsont uniquement destinés à financer des programmes et non <strong>du</strong> personnel ausiège. Pour remédier à cette difficulté, les salariés ont donc dû s’adapter et développerune meilleure maîtrise des dispositifs de gestion. Ils furent encouragés àaller dans ce sens par la conscience qu’ils ont des enjeux, de la fragilité de leurassociation et de leurs emplois. Il est donc important pour eux, entre autres pourpréserver leur emploi, de s’assurer de la bonne marche de leur association et doncde suivre au mieux le modèle de gestion pour parer aux difficultés, notammentfinancières, de l’association et de travailler de manière plus efficace. Ce qui faitla particularité de cette association, c’est son évolution constante et sa fragilité.Cela pro<strong>du</strong>it par ailleurs des effets sur l’engagement au travail des salariés.Les effets <strong>du</strong> dispositif de gestion : nouveauxrapports de force dans les relations de travail etmutation des formes de l’engagementLe dispositif de gestion n’est ainsi pas sans effet sur le milieu de la solidaritéinternationale. son imposition et son utilisation bouleversent et modifient lesrelations de travail ainsi que les formes d’engagement des salariés. Le dispositifde gestion a pris une place considérable dans le mode de fonctionnement de l’associationet ne laisse plus de place aux salariés incapables de s’adapter à cettenouvelle logique ni aux investissements de type militant.La tribune fonda - décembre 2009 - n°200


PAGE48Marie-Christine Combes et Pascal Ughetto distinguent deux formes d’engagement: « l’engagement pour la cause et l’engagement dans le travail » 2 .L’engagement dans le travail, que l’on peut aussi qualifier « d’engagement professionnel», correspond, pour le salarié, à « l’envie d’un travail qui, à la fois, a<strong>du</strong> sens et de la méthode » 3 . Comme dans de nombreux métiers, l’épanouissementpersonnel et la possibilité de donner un sens à son travail font partie des impératifsexigés par les professionnels eux-mêmes. Pouvoir contribuer au bon fonctionnementde l’association et donc de répondre aux exigences de typegestionnaire fait également partie de l’engagement professionnel mais cet aspectde l’engagement ne peut se réaliser que si ces exigences sont en accord avec lesvaleurs morales des salariés. Ces valeurs nous les retrouvons dans « l’engagementpour la cause », engagement que l’on pourrait également qualifier de militant.Mais plutôt que de parler d’engagement militant, notion très débattue en sociologie4 , nous préférons parler de « nouvel altruisme » et de « solidarité désenchantée» 5 . Car dans les discours des salariés n’apparaissent ni l’idée demobilisation pour la défense d’une cause, ni l’idée de contestation. Les problèmessociaux sont dépolitisés 6 . Les salariés l’expliquent en disant que l’associationn’a pas d’actions de plaidoyer, que son rôle n’est pas de dénoncer, mais de« répondre à des besoins ». Hélène Lechien et sabine Roriez montrent, dans l’ouvragereconversions militantes, comment dans le milieu de la solidarité internationaleles transformations des répertoires d’actions militantes ont eu lieu dansles années 1990. selon elles nous sommes passés de « la vision d’un mode socialasymétrique, hiérarchisé et conflictuel à celle d’un monde binaire (inclus/exclus)où les rapports sociaux seraient plus neutres et pacifiés » 7 .Dans l’expression de leur engagement la plupart des salariés ne prennent pas encompte les spécificités des populations <strong>du</strong> sud. Ils ont tendance à considérer« l’autre » comme un indivi<strong>du</strong> universel, en référence aux droits de l’homme,ré<strong>du</strong>it à des besoins fondamentaux. L’intérêt qui est porté à « l’autre » est unintérêt construit par rapport à soi. Pourtant la prise en compte <strong>du</strong> contexte culturelet socio-économique de ces populations fait parti des principes d’action del’association. Mais des écarts entre la réalité <strong>du</strong> terrain et les principes d’actionsexistent et nécessitent de part des salariés un certain nombre d’ajustements.Lorsque ceux-ci sont impossibles sur le moment, l’élaboration d’un discours aposteriori permet de justifier l’échec et rétablit l’engagement et la motivation <strong>du</strong>salarié tout en restant en accord avec l’idéologie 8 conceptuelle de la pratique <strong>du</strong>développement. Cette dernière repose essentiellement sur l’idée de responsabilisation: ce sont les populations elles-mêmes qui doivent « se prendre encharge ». Pour cela les professionnels procèdent par « transfert de compétenceset/ou de connaissance ». Le but étant que les populations bénéficiaires de ce5. Axelle Brodier, Le secourspopulaire français 1945-2000.Du communisme àl’Humanitaire, Paris, Pressesde la <strong>Fonda</strong>tion nationale dessciences politiques, 2006, p.321.6. Annie Collovald,« L’humanitaire expert : ledésencastrement d’unecause » in Annie Collovald(dir), op. cit. pp. 25-26.7. marie-Hélène Lechien,Sabine rozier, « Du syndicalismeà la “ solidarité internationale”. Unereconversion problématique», in Sylvie Tissot,textes réunis par,Reconversions militantes,Presses universitaires deLimoges, 2005, p. 118.8. « Par idéologies, nousentendons ces interprétationsde la situation qui ne sont pasle pro<strong>du</strong>it d’expériencesconcrètes, mais une sorte deconnaissance dénaturée (distorted)de ces expériences quiservent à masquer la situationréelle et agissent sur l’indivi<strong>du</strong>comme unecontrainte », Karlmannheim, dans Diagnosis ofOur Time in Dictionnaire dela sociologie, EncyclopédiaUniversalis et Albin michel,Paris, 1998, p.403.Suite...La tribune fonda - décembre 2009 - n°200


...SuitePAGE49Management et engagementpar Vonnick Ribéraud,doctorante au Centre nantais de sociologietransfert, puissent devenir « autonomes et responsables », qu’elles puissent« elles-mêmes avoir les capacités de leur propre développement » 9 .De par leur nature respective, ces deux types d’engagement : « l’engagementpour la cause » et « l’engagement professionnel », entrent fréquemment encontradiction. Le premier se caractérise par une volonté de mettre en pratiquedes idées et des valeurs défen<strong>du</strong>es tandis que le second oblige le salarié à respecterun certain nombre de règles et d’impératifs de« L’engagement pour la cause » et« l’engagement professionnel »,entrent fréquemmenten contradiction.type gestionnaire. L’obtention de fonds publics parexemple, condition indispensable à la survie et au bondéroulement des activités de l’association, est soumiseau respect d’un certain nombre de règles. Étant donnéune concurrence toujours plus importante entre les Asiet des fonds qui se font plus rares, la constitution dedossiers de demande de subvention doit répondre àcertaines contraintes. sans cela les chances pour l’association d’être sélectionnéeet de se voir attribuer les fonds restent minimes.Pour que ces deux types d’engagement puissent être conciliés les salariés doiventeffectuer des ajustements et notamment transformer leur « engagementpour la cause » en un engagement plus « raisonnable », c’est-à-dire qui n’entrepas en contradiction avec les exigences gestionnaires ; or tous ne sont pas enmesure de les accepter. Cette situation problématique pro<strong>du</strong>it des conflits dansla gestion des personnels, et remettent en cause des leaderships établis. Lesdilemmes que ces situations peuvent créer vont jusqu’à entraîner des licenciementset des démissions.9. Les termes entre guillemetssont extraits des entretiensréalisés avec les salariés et<strong>du</strong> projet associatif del’association.Par exemple, la directrice administrative et financière (Daf) salariée de l’associationdepuis douze ans a été licenciée car son rôle de gestionnaire, en plusd’avoir été ren<strong>du</strong> difficile par l’augmentation de l’activité, était en permanencemise à mal par le président qui, porté par son « engagement pour la cause »,ouvrait de nouveaux programmes sans avoir obtenu les fonds nécessaires. LaDaf avait prévenu le président de la situation financière dans laquelle l’associationrisquait de se retrouver mais celui-ci n’a rien voulu entendre. En effet, depuisla création de l’association, le directeur n’avait eu aucune difficulté à obtenir desfonds de la part de l’Union européenne, même après que les programmes aientété ouverts. Or, à partir <strong>du</strong> début des années 2000 le mode d’attribution des subventionsde l’UE change. Les Asi doivent désormais répondre à des appels à propositions.Les fonds octroyés aux Asi diminuent et leur nouveau moded’attribution rend plus difficile l’obtention de ceux-ci.La tribune fonda - décembre 2009 - n°200


PAGE50De surcroît, ce président, à la fois créateur et ancien directeur de l’association, atoujours eu une forte autorité vis-à-vis des autres salariés. La Daf en parlant <strong>du</strong>comportement <strong>du</strong> président alla même jusqu’à évoquer les termes de « maltraitance» et « d’harcèlement moral ». L’attitude <strong>du</strong> président, ainsi que la surchargede travail, l’ont d’ailleurs con<strong>du</strong>ite à se retrouver en arrêt maladie à plusieursreprises. Par la suite, un détournement de fonds sur l’un des programmes mitl’association dans une situation financière difficile, la décision de son licenciementfût alors prise lors d’un conseil d’administration sans que la directrice del’association ne soit au préalable consultée. Ce fût un élément perturbateurmajeur qui déclencha d’importants remaniements. En effet, au moment de l’enquête,de nouveaux salariés, et notamment une nouvelle directrice, venaientrécemment d’être recrutés. Cette nouvelle configuration a contribué à modifierles règles de fonctionnement et les rapports de pouvoir au sein de l’association.La directrice sut s’imposer et le président fut contraint de démissionner. Le présidentn’a pas su adapter son « engagement pour la cause » aux nouvellescontraintes gestionnaires ; la Daf n’a pas su faire face à la logique d’entreprisequi a progressivement émergée dans l’association, elle s’est retrouvée submergéepar une quantité de travail qui ne cessait de s’accroître ; de nouveaux salariés,avec des profils différents ont su en revanche s’imposer pour faire face aux impératifset difficultés de gestion auxquels l’association était confrontée. Tout cecimontre bien comment dans une structure associative qui grossit et qui a donc lanécessité de devenir toujours plus gestionnaire, les relations de travail sont bouleverséeset des restructurations ont lieu.ConclusionCette recherche a montré une logique gestionnaire extrêmement présente, notamment<strong>du</strong> fait que les méthodes utilisées dans le cadre de l’association étudiée sontissues <strong>du</strong> milieu de la gestion et de l’expertise. De cette manière, l’associationpeut être considérée dans le champ de la solidarité internationale comme légitime.En effet, l’utilisation des dispositifs de gestion est devenue la règle à suivre.Mais l’imposition de ce nouvel impératif fait apparaître des phénomènes quin’existaient pas auparavant dans le milieu des Asi comme l’émergence de nouveauxrapports de forces dans les relations de travail. Les indivi<strong>du</strong>s incapables des’adapter à cette nouvelle logique ou ayant un mode de fonctionnement différentde celui qu’impose la gestion sont exclus. La logique gestionnaire a égalementpour effet la modification des engagements dans la mesure où les salariés ont unrôle professionnel souvent peu compatible avec une logique militante.Néanmoins, un certain nombre de valeurs en eux persistent et donnent <strong>du</strong> sens àleur travail.Fin.La tribune fonda - décembre 2009 - n°200


18ruedeVarenne,75007ParisT.0145490658-F.0142840484<strong>Fonda</strong>@wanadoo.fr-www.fonda.asso.fr<strong>Fonda</strong>associationConseil d’administrationMembres <strong>du</strong> BureauPrésidentVice-Présidentssecrétaire généralTrésorierMembresPierre VanlerenbergheJean-Pierre Duport, Jean-Pierre WormsBernard HuartJacques RemondJean Bastide, Jacqueline Mengin, Roger sueAdministrateursPatrick Boulte, Chantal Chomel, Bruno Coste, Anne David, Philippe Durand,Jean-Baptiste de Foucauld, Marie-Hélène Gillig, Thierry Guillois, Guillaume Houzel,Brigitte Lesot, Bénédicte Madelin, Henry Noguès, Frédéric Pascal, Jocelyne Roche,Hugues sibille, Patrice simounetDélégué généralChristophe Boyer<strong>Fonda</strong> OuestBât. Ateliers et Chantiers de Nantes2 bis rue Léon Bureau - 44200 Nantes02 40 46 32 59 - maurice.lefeuvre@free.frPrésidentMaurice Lefeuvre<strong>Fonda</strong> Provence-Alpes-Côte-d’Azurc/o Uriopss - 54 rue Paradis - 13286 Marseille cedex 606 61 79 36 77- etienne.ballan@free.frPrésidentEtienne Ballan<strong>Fonda</strong> Sud-Ouest66 rue Abbé de l’Epée - 33000 Bordeaux05 56 08 32 97 - fondasudouest@yahoo.frPrésidenteChantal Le Gall


<strong>Fonda</strong>Pour une vie associativeefficace, innovante et reconnueCréée en 1981, la <strong>Fonda</strong> est une association loi 1901 qui, en toute indépendance politique et idéologique,s’est donnée pour mission la promotion de la vie associative, notamment pour mettre en valeurla place spécifique des associations comme acteurs à part entière parmi les autres intervenants politiques,économiques et sociaux, et le rôle irremplaçable des associations dans les grands enjeux desociété.Lieu de débats, laboratoire d’idéesLa <strong>Fonda</strong> est un laboratoire d’idées qui réunit plus de 160 membres (chercheurs de différentes disciplines,responsables associatifs - salariés et bénévoles - issus de différents secteurs et toutes personnesintéressées par la promotion <strong>du</strong> fait associatif). Par leur engagement au sein de groupes de travail, desétudes ou des expérimentations, ils impulsent des dynamiques collectives de réflexion, d’analyse et depropositions pour promouvoir l’engagement citoyen au sein d’associations et de l’économie sociale.Elle travaille plus particulièrement sur les moteurs de l’engagement et la construction <strong>du</strong> fait associatif,la contribution économique des associations et l’intervention de la société civile dans l’espace public.La <strong>Fonda</strong> est pro<strong>du</strong>cteur et organisateur de colloques sur les questions qui sont en débat en son sein.Elle édite La tribune fonda, outil de référence sur l’évolution <strong>du</strong> monde associatif, et La lettrefonda.Force de propositionsLa <strong>Fonda</strong> agit auprès des pouvoirs publics et de l’opinion pour faire aboutir et faire connaître les propositionsqu’elle a formulées.Partenaire des concertations interassociativesLa <strong>Fonda</strong> est un partenaire actif au sein <strong>du</strong> mouvement associatif et de l’économie sociale, en France eten Europe, notamment au CNVA (Conseil national de la vie associative), à la CPCA (Conférence permanentedes coordinations associatives) et au Cedag (Comité européen des associations d’intérêt général).FinanceursLes principaux financeurs publics de la <strong>Fonda</strong> sont la Diieses (Délégation interministérielle à l’innovation,à l’économie sociale et à l’expérimentation sociale), la Dgas (Direction générale des affairessociales), la Djepva (Direction de la jeunessse,de l’é<strong>du</strong>cation populaire et de la vie associative) ; laCaisse des dépôts, Chorum, la fondation Crédit coopératif et la Macif contribuent aussi au financementdes travaux de la <strong>Fonda</strong>.Pour adhérerL’adhésion à la <strong>Fonda</strong> est libre.Informations : 01 45 49 06 58 – www.fonda.asso.fr – fonda@wanadoo.fr


La tribune fondaBulletin d’abonnement 2010OrganismeNomPrénomAdresseCode postalTélVilleE-mailSouscrit un abonnement d’un an,pour l’année 2010, soit six numéros.Tarif75,00 € TTCTarif ré<strong>du</strong>it47,00 € TTC(pour les membres et partenaires associés de la fonda)Tarif étranger80,00 € TTCCi-joint le réglement de..................................................... €à l’ordre de la <strong>Fonda</strong>à l’adresse : 18 rue de Varenne - 75007 ParisDateSignature


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