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15 octobre > 4 novembre 2012<br />

LARS NORÉN ET LE THÉÂTRE DE LA BLESSURE<br />

Mikael Van Reis, tiré de Alternatives théâtrales 94-95, 2007<br />

LA FORCE DE TUER<br />

La réflexion qu’a eue Jean Genet après une visite du studio d’Alberto Giacometti correspond<br />

bien au théâtre de Lars Norén : « Il n’est pas à la beauté d’autre origine que la blessure,<br />

singulière, différente pour <strong>ch</strong>acun, ca<strong>ch</strong>ée ou visible, que tout homme garde en soi, qu’il<br />

préserve et où il se retire quand il veut quitter le monde pour une solitude temporaire mais<br />

profonde 1 . » […]<br />

Lars Norén est aujourd’hui le plus grand dramaturge suédois après Strindberg. Lors de ces<br />

trente dernières années, son œuvre s’est étendue pour devenir un « pays Lars Norén »,<br />

toujours <strong>ch</strong>angeant : des hôtels familiaux déserts, de la lumière du matin aux fêtes violentes<br />

de la nuit, des abus domestiques dans les appartements urbains au vide dans les vérandas<br />

d’été au cou<strong>ch</strong>er du soleil, du bavardage intellectuel au bégaiement dans les asiles. Dans ses<br />

pièces, les enfants défient leurs parents, les mariages s’effondrent et le bien-être superficiel<br />

est réduit en cendres. Petit à petit la comédie inhumaine évolue, entre mélancolie et humour<br />

sauvage quand les phrases pertinentes traversent l’obscurité comme des coups de fusil.<br />

Norén ouvre graduellement les portes de nouvelles pièces, de nouveaux cycles de l’existence,<br />

d’une famille démembrée à une société européenne privée des étoiles qui rassemblent.<br />

Dissection de la modernité, ses pièces décrivent aussi une vision pathologique de la vie dans<br />

le capitalisme de ces dernières années. (…)<br />

Il y a comme un mouvement récurrent dans le travail de Norén : expansion et contraction.<br />

Complexité et simplicité. […] Quoi qu’il écrive, il gravite autour du point zéro, comme poursuivi<br />

par un désir de néant.<br />

Qu’est-ce que le néant ? On pourrait le traduire par la désolation absolue ou par une<br />

obscurité prénatale à la fois de la vie et de la mort. Les entrailles, l’asile, le camp de<br />

concentration, le dysfonctionnement familial, la blessure… C’est finalement par le désir que<br />

sont promises deux sortes de libérations : ou la liquidation du sujet ou la totalité de la vie<br />

elle-même. Rien de plus, rien de moins. C’est le lieu où la vie et la mort sont divisées,<br />

séparées. C’est la « nuda vita », le cœur de la vie nue dans l’œuvre de Norén.<br />

C’est aussi l’endroit où l’identité rencontre l’altérité, où la possibilité de devenir quelqu’un<br />

d’autre peut aussi bien apparaître sous la forme de ne devenir personne. C’est l’espace d’un<br />

<strong>ch</strong>angement de soi. Dans la poésie et la dramaturgie de Norén, l’auto transformation et l’acte<br />

d’écriture sont toujours les deux côtés de la même gestuelle – un acte originel de violence et<br />

d’écriture, les mots et le silence, le moi et l’altérité.<br />

Après une décennie consacrée à la mère préœdipienne et une autre autour de la symbolique<br />

du père, Norén entre de plain-pied dans le scénario œdipien à travers le drame et la tragédie,<br />

avec comme modèle la tragédie grecque, un passage par la symbolique du meurtre parental.<br />

La Force de Tuer (1978) dramatise le sacrifice – imaginaire ou réel – du père en référence à<br />

l’Œdipe de Sophocle. C’est une des pièces les plus étonnantes, les plus dialectiques jamais<br />

écrites par Norén, avec l’exactitude d’une horloge mortelle.<br />

1 Jean Genet, L’Atelier d’Alberto Giacometti, Gallimard, 1956.<br />

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