You also want an ePaper? Increase the reach of your titles
YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.
14 janvier > 3 février 2013 POURQUOI ONT-ILS TUÉ JAURÈS ?<br />
RÉCIT DE VIE ET THÉÂTRE<br />
Dominique Ziegler, avril 2012<br />
Il n’existe sans doute pas d’inconnu aussi célèbre que Jaurès !<br />
De celui-ci, le public connaît au mieux le combat pour la paix, à la veille de la Première<br />
guerre mondiale, et les circonstances violentes de sa mort. Son parcours, sa pensée, son<br />
action, ses écrits, ses contradictions et le contexte particulier dans lequel ils prennent place<br />
sont largement ignorés du grand public aujourd’hui. De Jaurès ne subsiste qu’une vague<br />
image d’Epinal qu’il convient, cent ans après sa mort, de dépasser pour mieux rendre<br />
hommage à un homme à l’intégrité indiscutable et aux <strong>ch</strong>oix politiques et philosophiques<br />
spécifiques, mais qui concernent toujours l’humanité au premier plan.<br />
Les moyens du théâtre sont-ils adéquats pour effectuer une telle démar<strong>ch</strong>e ? Oui, si l’on<br />
considère que l’activité la plus marquante de Jaurès a été celle d’un tribun de premier ordre,<br />
galvanisant par sa seule parole des foules entières, parvenant à déstabiliser des<br />
gouvernements entiers par la seule puissance de son verbe et la puissance de ses analyses.<br />
Les moyens du théâtre s’avèrent toutefois problématiques (et c’est ce qui rend ce défi<br />
passionnant) à rendre compte d’un parcours de vie de plus de cinquante ans, à <strong>ch</strong>eval sur<br />
deux siècles peu avares en bouleversements majeurs. Imaginer une pièce à huis-clos<br />
retraçant à travers une confrontation particulière (avec sa femme, avec un opposant de droite<br />
ou de gau<strong>ch</strong>e, avec un disciple ou tout autre témoin-prétexte) risquerait de faire sombrer la<br />
pièce dans le syndrome « wikipedia », de la narration savante a posteriori, qui n’aurait<br />
d’intérêt que pour quelques aficionados ou pour les amateurs de dialogues semi-statiques.<br />
Inversement restituer l’ensemble de l’action et de la vie de Jean Jaurès revient à imaginer<br />
une fresque de dix-huit heures, et à écrire d’avantage pour le cinéma que pour le théâtre.<br />
Comment résoudre l’équation ? En revenant à ce qui fait l’intérêt même de l’art dramatique,<br />
c’est-à-dire en faisant des <strong>ch</strong>oix draconiens, en étudiant les passages paroxystiques de<br />
l’existence d’un individu. C’est à travers la subjectivité du point de vue de l’auteur que se<br />
dessineront les grandes étapes de l’existence de Jean Jaurès. Ce point de vue n’obéit pas<br />
seulement à l’arbitraire de l’auteur, mais s’inspire par recoupements des grands ouvrages<br />
écrits sur le sujet et sur les discussions avec divers spécialistes. Le but de la pièce est de<br />
donner un aperçu en profondeur des grandes étapes de la vie politique de Jean Jaurès, mais<br />
aussi des aspects plus personnels de son existence, comme par exemple sa vie de famille<br />
douloureuse, ses origines semi-paysannes, son conservatisme moral et ses croyances<br />
<strong>ch</strong>rétiennes profondément ancrées ! Ce double-<strong>ch</strong>oix s’impose pour expliquer au mieux la<br />
pensée singulière de ce socialiste tardif, mais inébranlable, pour mieux tenter de comprendre<br />
et de décrire les haines virulentes dont il fut l’objet des deux côtés de l’é<strong>ch</strong>iquier politique, à<br />
gau<strong>ch</strong>e comme à droite. Car personne en ce temps-là ne fut plus haï par les politiciens de<br />
tous bords que Jaurès. Mais personne n’eut davantage le souci désintéressé du peuple que<br />
lui et personne ne sut galvaniser les foules et s’adresser à l’intelligence des petites gens,<br />
sans démagogie comme il le fit.<br />
Et personne n’a davantage été récupéré que lui depuis un siècle !<br />
24