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Quand le terroir est dans le fromage… - La chèvre

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Qu’el<strong>le</strong> soit scientifique ou plus empirique, une bonne g<strong>est</strong>ion du troupeau en fait sa va<strong>le</strong>ur<br />

financière : sa productivité, son état sanitaire sont autant de critères pris en compte pour la<br />

déterminer. Plus important que sa va<strong>le</strong>ur financière, une bonne g<strong>est</strong>ion du troupeau <strong>est</strong> la garantie de<br />

sa va<strong>le</strong>ur symbolique, qui rejaillit sur <strong>le</strong> chevrier. Au cours de l’enquête, certains chevriers étaient<br />

cités de manières récurrentes par des chevriers qui ne se connaissaient pas entre eux, preuve que<br />

certains jouissent d’un pr<strong>est</strong>ige et d’une reconnaissance qui <strong>le</strong>s érigent en modè<strong>le</strong> <strong>dans</strong> la profession,<br />

auxquels on se réfère et se compare.<br />

Le métier de berger<br />

Garder <strong>le</strong>s <strong>chèvre</strong>s, activité dévolue aux gamins et aux vieux, <strong>est</strong> souvent perçu comme une<br />

activité qui n'exigerait aucun savoir. Or, il n’en <strong>est</strong> rien. Ecoutons un chevrier à la retraite, qui fait<br />

appel à ses souvenirs pour expliquer comment il gardait : « Dans la colline, el<strong>le</strong>s avaient <strong>le</strong>urs parcours.<br />

L’été, el<strong>le</strong>s allaient <strong>le</strong> matin à l’<strong>est</strong>, <strong>dans</strong> ce travers qui regarde l’ou<strong>est</strong>, parce que c’était encore frais. Vers 10<br />

heures, el<strong>le</strong>s n’avaient plus qu’une envie : rentrer à la bergerie. Autre endroit d’été : de l’autre versant du col<br />

en haut, <strong>dans</strong> un vallon, qui était aussi au frais <strong>dans</strong> une forme de cirque, et que personne n’aurait trouvé<br />

sans suivre <strong>le</strong>s <strong>chèvre</strong>s. El<strong>le</strong>s savaient où étaient <strong>le</strong>s fruitiers sauvages, <strong>le</strong>s poiriers en particuliers, et aussi <strong>le</strong>s<br />

champignons. C’<strong>est</strong> el<strong>le</strong>s qui nous ont montré <strong>le</strong>s coins. C’<strong>est</strong> une très bonne colline, avec de l’aphyllante, du<br />

sainfoin sauvage, surtout à l’<strong>est</strong>, et aussi des genêts scorpion pour l’été. » Cette citation montre que la<br />

garde mobilise des qualités d’observation fines pour déce<strong>le</strong>r ce qui <strong>est</strong> approprié aux <strong>chèvre</strong>s, en<br />

fonction de l’heure, du climat, de la météo, en relation avec une connaissance minutieuse du relief et<br />

de la diversité floristique. Ce chevrier explique ensuite que <strong>le</strong> système pastoral demande aussi de<br />

savoir gérer la ressource des parcours tout au long de l’année : il faut savoir préserver certains, dont<br />

on sait qu’ils présentent une ressource durab<strong>le</strong>, et faire pâturer d’autres rapidement sachant que<br />

<strong>le</strong>urs ressources s'épuiseront vite <strong>dans</strong> la saison, par exemp<strong>le</strong> à cause d’une exposition p<strong>le</strong>in sud, ou<br />

en fonction de <strong>le</strong>urs cyc<strong>le</strong> annuel de vie végéta<strong>le</strong>.<br />

Lors de la garde, <strong>le</strong>s chevriers mettent donc en œuvre une connaissance fine des <strong>chèvre</strong>s et de<br />

<strong>le</strong>ur comportement, et pensent <strong>le</strong>ur circuit de sortie de manière aussi réfléchie qu’un repas équilibré.<br />

Une après-midi passée à garder avec Martine Naudin <strong>le</strong> montre bien. Voici l’extrait du journal de<br />

terrain <strong>dans</strong> <strong>le</strong>quel nous avons consigné ce moment : "El<strong>le</strong> emmène <strong>le</strong>s <strong>chèvre</strong>s vers un talus en<br />

contrebas du pré, où il y a des arbres, des broussail<strong>le</strong>s. El<strong>le</strong> se place au bord du pré, quelques <strong>chèvre</strong>s<br />

descendent, el<strong>le</strong> recu<strong>le</strong> un peu, d’autres <strong>chèvre</strong>s descendent, et ainsi de suite. On r<strong>est</strong>e debout à<br />

côté d’el<strong>le</strong>s : une partie d’entre el<strong>le</strong>s mange <strong>dans</strong> <strong>le</strong> pré, une autre ne mange pas. El<strong>le</strong> m’explique qu’il<br />

fait trop chaud pour que <strong>le</strong>s <strong>chèvre</strong>s mangent bien. Puis on descend <strong>le</strong> talus, on se retrouve <strong>dans</strong> <strong>le</strong>s<br />

broussail<strong>le</strong>s, qui ne sont pas très denses et laissent de la place à l’herbe. Les <strong>chèvre</strong>s se mettent à<br />

manger de tout. El<strong>le</strong> m’explique que <strong>le</strong>s <strong>chèvre</strong>s aiment bien la diversité, changer de nourriture,<br />

d’endroit. Nous nous assoyons, et el<strong>le</strong> raconte que cela ne lui arrive jamais que quelqu’un vienne<br />

garder avec el<strong>le</strong>, sauf quand il y a des neveux, mais ils courent tout <strong>le</strong> temps, ou crient, et ils<br />

embêtent <strong>le</strong>s <strong>chèvre</strong>s qui ne mangent pas bien. Dessous, il y a une luzerne, qui <strong>est</strong> déjà fauchée. El<strong>le</strong><br />

veut y al<strong>le</strong>r, mais pas tout de suite : il faut qu’el<strong>le</strong>s aient déjà mangé pour ne pas gonf<strong>le</strong>r*. El<strong>le</strong> dit, en<br />

allant <strong>dans</strong> la luzerne, qu’on va passer au « consistant ». Effectivement, là el<strong>le</strong>s mangent d’un bon<br />

appétit : pas une qui fait autre chose, <strong>le</strong> troupeau regroupé, bien étalé qui va et vient <strong>dans</strong> <strong>le</strong> pré. Puis<br />

el<strong>le</strong> décide de <strong>le</strong>s sortir du pré ; el<strong>le</strong> a peur de <strong>le</strong>s gonf<strong>le</strong>r. On remonte <strong>dans</strong> <strong>le</strong> pré du dessus où<br />

nous étions, que maintenant el<strong>le</strong>s mangent mieux, il fait moins chaud."<br />

Garder pour faire manger un troupeau n’<strong>est</strong> donc pas l’activité passive et naïve qu’on se<br />

représente souvent. Et pour preuve, Joseph Bailly, qui utilise des parcours sur <strong>le</strong>squels il peut laisser<br />

<strong>le</strong>s <strong>chèvre</strong>s libres, a remarqué que lorsqu’il gardait, <strong>le</strong> litrage de la journée suivante augmentait<br />

significativement. Les compétences pastora<strong>le</strong>s sont donc avant tout cel<strong>le</strong>s de l’observation et de<br />

l’anticipation, et beaucoup de chevriers n’ont pas <strong>le</strong> temps, la patience ou l’envie nécessaire pour<br />

cette activité très coûteuse en temps. Cela explique en partie que <strong>le</strong>s systèmes pastoraux purs<br />

existent peu, la moindre productivité de ce mode d’alimentation n’étant pas la seu<strong>le</strong> cause.<br />

Cultiver la terre<br />

Pour Cyril<strong>le</strong> Jourdan, qui a cessé son travail de technicien à la Chambre d’Agriculture pour<br />

s’instal<strong>le</strong>r : « Berger, c’<strong>est</strong> un métier. Ce n’<strong>est</strong> pas mon truc. C’<strong>est</strong> l’horreur de r<strong>est</strong>er 3 heures assis à <strong>le</strong>s<br />

regarder. Ca fatigue, même si on a rien fait : c’<strong>est</strong> comme à la Chambre d’Agriculture. » Il ne garde qu’en<br />

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