Quand le terroir est dans le fromage… - La chèvre
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Ainsi, <strong>le</strong>s nombreuses façons de venir travail<strong>le</strong>r sur l’espace de la ferme répondent à une diversité<br />
de motifs, qui dépasse souvent la simp<strong>le</strong> relation de travail. De même, la ferme comme territoire de<br />
consommation ne peut se réduire à un simp<strong>le</strong> lieu de vente.<br />
<strong>La</strong> ferme comme territoire de consommation<br />
Le second grand motif de sociabilité sur la ferme renvoie à l’activité touristique. Que ce soit par la<br />
vente directe, la visite guidée, ou la location d’un gîte, cette relation se caractérise par l’existence<br />
d’un lien marchand entre <strong>le</strong>s personnes. Mais el<strong>le</strong> a ceci de singulier que, clients, touristes ou<br />
résidents secondaires, tous viennent souvent chercher bien plus qu’un simp<strong>le</strong> produit ou service. Par<br />
exemp<strong>le</strong>, juste avant <strong>le</strong> repas, un jeune coup<strong>le</strong> très avenant vient acheter du fromage chez Ginette et<br />
Roger. Au déjeuner, avec son mari, Ginette moquera la propreté de <strong>le</strong>ur voiture, de <strong>le</strong>urs chaussures<br />
et <strong>le</strong>ur air emprunté. Si el<strong>le</strong> pense ne pas <strong>le</strong>s connaître, <strong>le</strong> jeune coup<strong>le</strong> au contraire expliquera<br />
fièrement qu’ils ont une maison de famil<strong>le</strong> depuis très longtemps <strong>dans</strong> un hameau tout près et qu’ils<br />
viennent depuis toujours chercher <strong>le</strong> fromage ici. En fait, ce sont <strong>le</strong>s parents qui sont connus de<br />
Ginette et Roger, mais eux ne <strong>le</strong> sont pas. Ce décalage d’inv<strong>est</strong>issement <strong>dans</strong> la relation <strong>est</strong> fréquent<br />
entre l’étranger, qui cherche à mettre en avant un lien de proximité avec « d’authentiques é<strong>le</strong>veurs de<br />
<strong>chèvre</strong>s », et des chevriers pris <strong>dans</strong> <strong>le</strong> quotidien de <strong>le</strong>ur activité. Les touristes marquent d’ail<strong>le</strong>urs<br />
plus souvent <strong>le</strong>ur présence par la façon dont ils vont <strong>le</strong> désorganiser, ce quotidien. En particulier,<br />
malgré des horaires affichés, il n’<strong>est</strong> pas rare que des clients viennent pour acheter à l’heure du repas<br />
ou de la si<strong>est</strong>e, bref, pendant ces moments supposés consacrés à l’espace et aux relations familia<strong>le</strong>s.<br />
L’envie de partager une bribe de cette vie de chevrier, <strong>le</strong> plus souvent si éloignée de la <strong>le</strong>ur, incite en<br />
outre à poser de nombreuses qu<strong>est</strong>ions ce qui augmente d'autant <strong>le</strong>ur temps de présence.<br />
Face au désir des clients de découvrir un peu de cette vie à la ferme et du besoin des chevriers de<br />
mieux maîtriser cette relation, <strong>le</strong>s initiatives sont nombreuses et encouragées par <strong>le</strong>s institutions. Sur<br />
chacun de nos territoires d’étude, <strong>le</strong>s politiques de filière et de territoire se mettent en convergence<br />
autour d’une "économie de la qualité". Afficher une "Agriculture paysanne", qui "entretient <strong>le</strong>s<br />
paysages", diversifier ses activités en proposant un accueil à la ferme, tout ceci dessine la figure<br />
valorisée du chevrier. Certains y correspondent et se réjouissent que <strong>le</strong>s institutions <strong>le</strong>s<br />
accompagnent. Dans <strong>le</strong>s Alpes de Haute Provence, "Itinéraire paysan", par exemp<strong>le</strong>, propose de<br />
venir, par petit groupe, rencontrer des chevriers qui expliquent <strong>le</strong> métier et <strong>le</strong> paysage comme terre<br />
d’histoire et moyen de production. A<strong>le</strong>xandre Duvèze, <strong>dans</strong> <strong>le</strong>s Préalpes Drômoises, a reçu quant à<br />
lui 1000 personnes en deux mois. Un peu dépassé par <strong>le</strong> succès de cette nouvel<strong>le</strong> initiative, ce fut<br />
pour lui une bel<strong>le</strong> occasion de montrer l’agriculture traditionnel<strong>le</strong>, de transmettre un savoir-faire, et<br />
peut-être de déc<strong>le</strong>ncher des vocations. De même, <strong>le</strong> jour de notre venue chez Patrick et Aurélie,<br />
<strong>dans</strong> <strong>le</strong> Diois, Patrick présente son métier à un petit groupe venu du camping tout proche. Sa<br />
connaissance précise de l’histoire et de la situation du village <strong>dans</strong> <strong>le</strong> Vercors, ainsi que son aisance<br />
ora<strong>le</strong>, soutiennent un grand plaisir à partager son métier et suscitent une réel<strong>le</strong> attention. Il explique<br />
que l’écornage empêche <strong>le</strong>s <strong>chèvre</strong>s de se b<strong>le</strong>sser, qu’el<strong>le</strong>s ne souffrent pas de cette intervention<br />
puisqu’el<strong>le</strong>s reviennent de suite après se faire caresser. Après avoir rappelé que « caprin vient de<br />
caprice », il montre comment il nourrit ses <strong>chèvre</strong>s, « que du naturel, avec des céréa<strong>le</strong>s aplaties, des<br />
tourteaux de noix, pas de granulés industriels. » De même, il explique que <strong>le</strong> non-respect du cyc<strong>le</strong><br />
naturel de production de lait des <strong>chèvre</strong>s, <strong>le</strong> désaisonnement*, provient pour partie des pratiques des<br />
consommateurs qui souhaitent manger du fromage toute l’année en oubliant que <strong>le</strong>s animaux ont un<br />
cyc<strong>le</strong> naturel. « Ici, ce n’<strong>est</strong> pas un é<strong>le</strong>vage hors sol, (…) c’<strong>est</strong> un choix, c’<strong>est</strong> une qu<strong>est</strong>ion de conscience<br />
professionnel<strong>le</strong> », revendique-t-il. Puis, se rendant à la fromagerie, il explique comment sa femme<br />
transforme <strong>le</strong> fromage. Là, Aurélie prend <strong>le</strong> relais et rapporte une anecdote avec <strong>le</strong>s services<br />
d’hygiène qui insistaient pour que la cibou<strong>le</strong>tte du jardin, qui sert à certains fromages, soit bien lavée<br />
avec de l’eau de Javel, « comme <strong>dans</strong> <strong>le</strong>s hôpitaux et <strong>le</strong>s cantines », ironise-t-el<strong>le</strong>. « Ah oui, c’<strong>est</strong> normal »,<br />
se risque une femme. « Ah oui, l’eau de Javel, pour donner du goût » ajoute une autre. S’en suit une<br />
discussion sur <strong>le</strong> fait qu’il ne faut pas tout désinfecter, que la fromagerie se caractérise justement par<br />
« son ambiance », c'<strong>est</strong>-à-dire la présence de bonnes bactéries <strong>dans</strong> la fromagerie qui donnent <strong>le</strong> goût<br />
singulier au fromage.<br />
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