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Quand le terroir est dans le fromage… - La chèvre

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système économique paysan ne s’analyse pas <strong>dans</strong> <strong>le</strong>s termes de l’économie industriel<strong>le</strong> : on ne peut<br />

y iso<strong>le</strong>r, de façon significative, ni salaire, ni capital, ni rémunération du capital, ni profit".<br />

Dans <strong>le</strong>s faits, <strong>le</strong>s exploitations des chevriers que nous avons rencontrés ne fonctionnent jamais<br />

tota<strong>le</strong>ment sur un principe d’autosubsistance avec une production diversifiée de manière à répondre<br />

à tous <strong>le</strong>s besoins de la famil<strong>le</strong>. Cela dit, ces principes de l’économie paysanne se retrouvent <strong>dans</strong> de<br />

nombreux aspects de la g<strong>est</strong>ion des chevriers. <strong>La</strong> logique paysanne, qui paraît souvent être une<br />

aberration financière, <strong>est</strong> cel<strong>le</strong> de l’économie au sens commun du terme. El<strong>le</strong> consiste en la<br />

recherche de l’autonomie concernant tant <strong>le</strong>s pratiques d’alimentation que <strong>le</strong>s pratiques de<br />

transformation et de vente.<br />

L’autonomie tel<strong>le</strong> qu’el<strong>le</strong> se manif<strong>est</strong>e chez <strong>le</strong>s chevriers<br />

Au chapitre V, "Vivre et travail<strong>le</strong>r chez soi", nous allons montrer l’étroite imbrication de la vie de<br />

famil<strong>le</strong> et de la vie professionnel<strong>le</strong>, où <strong>le</strong> temps de travail se mê<strong>le</strong> au temps de loisir et rend diffici<strong>le</strong> la<br />

comptabilisation des heures de travail. En ce sens, la ferme fonctionne grâce aux membres présents<br />

sur l’exploitation (c'<strong>est</strong>-à-dire principa<strong>le</strong>ment la contribution du conjoint), ce qui suppose qu’ils soient<br />

compétents, sans que la motivation première ne soit forcément la rentabilité de l’activité. C’<strong>est</strong><br />

plutôt souvent la volonté, sur laquel<strong>le</strong> nous avons déjà insisté, de mettre à profit <strong>le</strong>s ressources<br />

disponib<strong>le</strong>s sur l’exploitation par la garde. Il en <strong>est</strong> ainsi de la femme de Reynaud, qui « pourrait faire<br />

du zéro pâturage, mais garder, c’<strong>est</strong> bon pour la santé menta<strong>le</strong> et physique du chevrier et des <strong>chèvre</strong>s » 35. <strong>La</strong><br />

présence d’un coup<strong>le</strong> sur l’exploitation <strong>est</strong> aussi déterminante pour produire du fromage, sans que<br />

l’on ne puisse dire si c’<strong>est</strong> la présence du conjoint qui permet de faire <strong>le</strong>s fromages, ou si <strong>le</strong> fromage<br />

lui donne la possibilité de travail<strong>le</strong>r sur l’exploitation.<br />

L’économie paysanne cherche à limiter la production tout en limitant <strong>le</strong>s coûts de<br />

fonctionnement : alimentation, machines et bâtiments. Les exploitations de ce type sont souvent<br />

petites, aussi el<strong>le</strong>s adaptent <strong>le</strong>ur cheptel et <strong>le</strong>urs bâtiments à un foncier limité. Le plus surprenant en<br />

allant voir Christine Faure, qui élève seu<strong>le</strong> une cinquantaine de <strong>chèvre</strong>s Angora, <strong>est</strong> l’impression<br />

d’une ferme miniature. Un petit hangar abrite des petites bottes – qu’el<strong>le</strong> peut donc manipu<strong>le</strong>r –<br />

fauchées avec son tracteur des années '70, sur des parcel<strong>le</strong>s morcelées de prés de montagne. Mais<br />

cela suffit amp<strong>le</strong>ment à la faire vivre. Reynaud a optimisé ses productions en fonction des 15 ha de<br />

son exploitation. Il n’a que 35 <strong>chèvre</strong>s, ce qui lui permet d’être quasi autonome en foin parce que sa<br />

femme complète <strong>le</strong>ur alimentation en gardant <strong>le</strong> troupeau tous <strong>le</strong>s jours en colline et parce que sur<br />

ses terres arides, il fait pousser du sorgho qui résiste à la sécheresse. Une petite vingtaine de brebis<br />

sont nourries avec <strong>le</strong> "refus" des <strong>chèvre</strong>s, deux cochons avec <strong>le</strong> petit lait du fromage des <strong>chèvre</strong>s,<br />

quelques volail<strong>le</strong>s qui mangent <strong>le</strong> grain produit aussi pour <strong>le</strong>s <strong>chèvre</strong>s, et des ruches, des oliviers, des<br />

vignes. Ce chevrier montre donc l’exemp<strong>le</strong> d’une ferme dont la tail<strong>le</strong> <strong>est</strong> cel<strong>le</strong> des fermes des années<br />

'50. Le revenu qu’il tire de sa production de fromage lui suffit à faire vivre la famil<strong>le</strong>, parce que la<br />

plupart de <strong>le</strong>urs besoins sont comblés par <strong>le</strong>urs productions fermières. Cette adéquation dont par<strong>le</strong><br />

Mendras entre production et besoins <strong>est</strong> évolutive : quand ils ont dû payer <strong>le</strong>s études de <strong>le</strong>urs<br />

enfants, <strong>le</strong>s Girard sont passés de 50 à 60 <strong>chèvre</strong>s, ont acheté des boucs sé<strong>le</strong>ctionnés, se sont inscrits<br />

au contrô<strong>le</strong> laitier puis à l’insémination artificiel<strong>le</strong>*. Ainsi, ils ont augmenté <strong>le</strong> litrage moyen de <strong>le</strong>urs<br />

<strong>chèvre</strong>s de 450 à 600 litres par an.<br />

Cette faculté d’adaptation des exploitations <strong>est</strong> liée à <strong>le</strong>ur autonomie. Ce qu’el<strong>le</strong>s produisent suffit<br />

à <strong>le</strong>s faire fonctionner et tous cherchent ici à limiter <strong>le</strong>s agrandissements qui rompraient cette<br />

autonomie productive ou financière. Le rapport de cause à conséquence <strong>est</strong> d’ail<strong>le</strong>urs parfois<br />

inversé : quand Olivier Couttard achète une machine à traire, d’occasion certes, il se dit qu’il va enfin<br />

pouvoir augmenter son troupeau. Les exploitations des chevriers qui mettent en œuvre un principe<br />

d’autonomie ne sont pourtant pas forcément petites. Dans <strong>le</strong>s Alpes de Haute Provence, Moreau et<br />

Boyer ont chacun plus de 200 <strong>chèvre</strong>s, respectivement 50 et 60 ha de terres cultivab<strong>le</strong>s, des<br />

centaines d’hectares de parcours, et des bâtiments imposants. Ils auraient pu faire <strong>le</strong> choix de<br />

l’é<strong>le</strong>vage en "zéro pâturage" pour maximiser la productivité des <strong>chèvre</strong>s – ce qu’ils ne font pas. Est-ce<br />

parce qu’ils sont fils de berger ? En tout cas, <strong>le</strong>urs pratiques et <strong>le</strong>urs discours montrent que, pour<br />

35 Voir éga<strong>le</strong>ment à ce propos : Meuret M., 2003. Pages de garde : <strong>le</strong>s raisons de garder <strong>le</strong>s <strong>chèvre</strong>s. Film documentaire, Ed.<br />

INRA-Quæ, Versail<strong>le</strong>s, 30 min. (réalisé à la demande du Syndicat Caprin de la Drôme)<br />

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