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Quand le terroir est dans le fromage… - La chèvre

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grande liberté et attachement subi à la ferme. L’une des solutions, que nous allons maintenant<br />

explorer, consiste à ouvrir à d’autres personnes cet apparent huis clos familial et professionnel.<br />

B. <strong>La</strong> ferme, <strong>le</strong> chevrier et <strong>le</strong>s autres : entre iso<strong>le</strong>ment<br />

et surinv<strong>est</strong>issement<br />

En dessinant la vie à la ferme, où la fromagerie et la traite apparaissent comme des prisons vous<br />

accordant peu de sortie ou, à l’inverse, comme <strong>le</strong> lieu d’un épanouissement amoureux et familial, <strong>le</strong><br />

chevrier et sa famil<strong>le</strong> semb<strong>le</strong>nt coupés de toute vie socia<strong>le</strong> sur <strong>le</strong>ur ferme, pour <strong>le</strong> meil<strong>le</strong>ur comme<br />

pour <strong>le</strong> pire. Sur place, on s’aperçoit que la ferme <strong>est</strong> en réalité un haut lieu de passage, du moins à la<br />

bel<strong>le</strong> saison. En proposant un aperçu des différentes personnes croisées sur <strong>le</strong>s fermes au cours de<br />

l’été de notre enquête, on rencontre de nombreux mondes sociaux qui, ensemb<strong>le</strong>, participent de ce<br />

fameux renouveau des campagnes.<br />

Cette diversité de personnes se rendant sur la ferme peut se catégoriser au regard de deux<br />

grands motifs de venue : <strong>dans</strong> un cas, <strong>le</strong>s gens y viennent pour consommer un bien ou un produit :<br />

achat de fromage, location du gîte attenant à la ferme, visite guidée de la ferme… Dans l’autre, ils<br />

viennent en tant que force de travail : stagiaire apprenant <strong>le</strong> métier, jeunes précaires en milieux<br />

ruraux, paysan voisin, ami d’ami content de se rendre uti<strong>le</strong> pendant <strong>le</strong>s vacances…<br />

Après avoir r<strong>est</strong>itué quelques situations emblématiques des problématiques qui s’expriment<br />

autour de la sociabilité sur <strong>le</strong>s fermes, nous nous centrerons de nouveau sur <strong>le</strong> point de vue des<br />

chevriers pour mieux comprendre la seconde ambiva<strong>le</strong>nce liée au fait de vivre et travail<strong>le</strong>r chez soi :<br />

cel<strong>le</strong> qui oscil<strong>le</strong> entre <strong>le</strong> sentiment d’iso<strong>le</strong>ment, déjà abordé, où <strong>le</strong>s fermes sont souvent situées <strong>dans</strong><br />

des espaces aussi superbes que reculés, et la découverte que ces lieux s’avèrent être souvent de<br />

hauts lieux de passage, suscitant un sentiment d’intrusion ou de fortes valorisations.<br />

<strong>La</strong> ferme comme territoire de production<br />

Faire l’inventaire des personnes qui viennent travail<strong>le</strong>r un moment ou un autre sur une ferme<br />

n’<strong>est</strong> pas un exercice aisé. Si un portrait de famil<strong>le</strong> en terme de main d’œuvre disponib<strong>le</strong> s’avère<br />

nécessaire pour comprendre comment une bonne part des tâches <strong>est</strong> effectuée, il r<strong>est</strong>e à éclairer <strong>le</strong>s<br />

modalités de travail en commun avec d’autres personnes. Rappelons tout d’abord que l’économie des<br />

échanges en milieu rural <strong>est</strong> tout autant informel<strong>le</strong> que formel<strong>le</strong>. Les statuts, contrats et<br />

rémunération ne rendent compte que d’une partie dont <strong>le</strong> travail <strong>est</strong> encadré et rétribué. Mick, un<br />

ancien chevrier, resituait tout l’apprentissage nécessaire à la compréhension de la façon dont <strong>le</strong>s<br />

choses s’échangent entre paysans, ce qui n’<strong>est</strong> pas si simp<strong>le</strong> lorsque, comme lui, on arrive de Paris.<br />

L’un des principes cardinaux consiste « rendre <strong>le</strong> temps ». Comme souvenir de maladresse, il rappel<strong>le</strong><br />

la fois où il <strong>est</strong> venu avec son frère aider à décharger une charrette de foin. Leur force de travail était<br />

trop importante pour ce voisin, qui se voyait quelque peu rabaissé par un tel déploiement de force<br />

physique pour cette simp<strong>le</strong> activité : était-il si faib<strong>le</strong> que cela nécessite la présence d’autant d’hommes<br />

forts ? A l’inverse, Mick se souvient éga<strong>le</strong>ment d’avoir fait appel au jeune fils d’un voisin pour un coup<br />

de main et ne pas l’avoir cette fois là rétribué en argent. Or, l’informel « à charge de revanche » ne<br />

s’applique pas toujours, en particulier avec <strong>le</strong>s enfants. Les frontières sont ainsi particulièrement<br />

poreuses entre économie formel<strong>le</strong> et informel<strong>le</strong>, et en comprendre <strong>le</strong>s contours et <strong>le</strong>s règ<strong>le</strong>s <strong>est</strong> un<br />

exercice délicat et un apprentissage nécessaire. Donner, rendre, recevoir <strong>est</strong> la base de l’économie<br />

du don 45, soc<strong>le</strong> commun à toute société - certes marginalisé par la suprématie de l’économie<br />

marchande - mais dont la force continue d’imprégner <strong>le</strong>s modalités d’échanges en campagne. Quoi<br />

qu’il en soit, cette solidarité entre paysans <strong>est</strong> l’une des voies par laquel<strong>le</strong> chacun parvient à mener à<br />

bien ses activités, surtout pour <strong>le</strong> travail des terres.<br />

Pour la garde, pour fromager, il n’<strong>est</strong> pas rare non plus que ce soit un jeune qui cherche à<br />

s’instal<strong>le</strong>r, mais qui n’y parvient pas, qui vienne donner un coup de main. Pour la vente éga<strong>le</strong>ment, la<br />

45 "Essai sur <strong>le</strong> don" : Marcel Mauss, étude publiée <strong>dans</strong> l'Année sociologique, 1923-1924, rééd. 2001 : Marcel Mauss,<br />

Sociologie et anthropologie, Ed. Puf, coll. "Quadrige".<br />

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