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L'Hétérométrie “faible”, l'hétérométrie “forte” et l'isométrie “pure”: les ...

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En 1550, <strong>les</strong> Modernes se méfient de l’alternance, qu’ils perçoivent peut-être comme une complication<br />

rétrograde digne des grands rhétoriqueurs 57 . Le conseil de Ronsard dans son Abrégé de l’art poétique<br />

reste prudent 58 :<br />

Après, à l’imitation de quelqu’un de ce temps, tu feras tes vers masculins <strong>et</strong> féminins tant qu’il te sera<br />

possible, pour estre plus propres à la Musique <strong>et</strong> accord des intruments, en faveur desquels il semble que la<br />

Poésie soit née [...] afin que <strong>les</strong> Musiciens <strong>les</strong> puissent plus facilement accorder.<br />

Comme le fait remarquer Léon Kastner 59 , il suffit que la succession des rimes dans chaque strophe<br />

reproduise le même ordre dans le sexe des rimes pour qu’on puisse répéter la même mélodie. Ronsard<br />

s’impose finalement l’alternance rigoureuse, mais pas pour <strong>les</strong> raisons musica<strong>les</strong> 60 qu’il évoque dans<br />

son Abrégé <strong>et</strong> dans le Supplément musical à l’édition des Amours. Ronsard a peut-être tranché par<br />

choix idéologique: <strong>les</strong> vers des odes qui suivent l’alternance rigoureuse sont “mesurées à la lyre” 61 , ils<br />

semblent ainsi reprendre le modèle des Anciens <strong>et</strong> ordonner le discours par opposition au “fatras” des<br />

médiévaux: on passe du mélange à l’alternance, de la variation à la mesure. Ronsard y a peut-être vu<br />

aussi le moyen de signer ses œuvres, prenant à son compte <strong>les</strong> innovations de quelques-uns qui<br />

n’avaient pas fait école. Dans une rédaction ultérieure de son Abrégé, Ronsard corrige 62 d’ailleurs la<br />

référence à son aîné Bouch<strong>et</strong> par l’expression moins véridique (nous soulignons): “à mon imitation”.<br />

De fait, c’est bien sur l’imitation de Ronsard 63 que s’est construite la règle de l’alternance rigoureuse<br />

dans l’ensemble de la production lyrique française jusqu’au XIX e siècle.<br />

4. L’isométrie pure est une pratique acceptée comme variation qui peut devenir une forme<br />

d’exception<br />

4.1L’isométrie masculine<br />

Si le principe de mélange posé par Deschamps était rigoureusement suivi par nos auteurs, l’isométrie<br />

pourrait apparaître comme une faib<strong>les</strong>se, ou une marque d’originalité sans doute liée à un eff<strong>et</strong><br />

sémantique particulier. Cependant, dans tous <strong>les</strong> corpus, l’isométrie masculine reste relativement<br />

fréquente, <strong>et</strong> donc peu propice au commentaire. Dans le Trésor amoureux, par exemple, où aucune<br />

ballade n’est en hétérométrie forte, un tiers des pièces est en isométrie pure 64 , dont seulement trois sur<br />

des rimes exclusivement féminines 65 . Les mêmes proportions se r<strong>et</strong>rouvent dans des poésies plus<br />

tardives. Les traités poétiques donnent assez peu d’exemp<strong>les</strong> en isométrie masculine 66 <strong>et</strong> aucun en<br />

isométrie féminine, à l’exception de la “balades estranges en soties selon <strong>les</strong> .V. voieulx” 67 , dont le titre<br />

suffit à souligner l’originalité. L’isométrie pure à rimes masculines paraît donc être l’un des nombreux<br />

moyens donnés au poète de faire varier le rythme entre <strong>les</strong> pièces – ici en supprimant justement l’une<br />

57<br />

(1990: 7).<br />

Voir l’analyse de Francis Goy<strong>et</strong> en introduction de son édition des traités poétiques<br />

58 Abrégé de l’Art poétique français (Goy<strong>et</strong> 1990: 470).<br />

59 Kastner (1904b: 345).<br />

60 Ces raisons sont expliquées par Francis Mour<strong>et</strong> (1998: 103-104).<br />

61 L’expression est chez Jacques Pel<strong>et</strong>ier (Goy<strong>et</strong> 1990: 297), qui souligne la modification<br />

ainsi apportée à ses premières odes. On trouve la métaphore du “luth bien accordé au son de la Lyre<br />

Greque <strong>et</strong> Romaine” chez Joachim Du Bellay dans La Deffence <strong>et</strong> illustration de la langue françoyse<br />

(Monferran 2001: 133). Voir l’explication de Francis Goy<strong>et</strong> (1990: 337) dans sa note 162.<br />

62 Voir la note 10 de Goy<strong>et</strong> (1990: 489).<br />

63 Voir Alain Chevrier (1996: 39-74) sur le “second XVI e siècle”.<br />

64 Soit 40 ballades sur 128.<br />

65 Les trois pièces à quatre rimes exclusivement féminines sont <strong>les</strong> ballades 9 <strong>et</strong> 34 de la<br />

deuxième série <strong>et</strong> la ballade 9 de la troisième série (Scheler 1870-1872, 3: 52-281).<br />

66 Sur <strong>les</strong> 74 pièces données en exemple de ballades dans <strong>les</strong> arts poétiques, on compte<br />

6 cas de rimes exclusivement masculines, dont 5 en isométrie pure.<br />

67 Voir <strong>les</strong> Règ<strong>les</strong> de la seconde rhétorique (Langlois 1902: 65).<br />

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