L'Hétérométrie “faible”, l'hétérométrie “forte” et l'isométrie “pure”: les ...
L'Hétérométrie “faible”, l'hétérométrie “forte” et l'isométrie “pure”: les ...
L'Hétérométrie “faible”, l'hétérométrie “forte” et l'isométrie “pure”: les ...
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sceuz jamais compter demye syllabe <strong>et</strong> croy que luy ny aultre, ne le scauroit bien compter ny m<strong>et</strong>tre à<br />
deue execution”. La domination des rimes masculines dans le vocabulaire est la conséquence d’une<br />
supériorité sociale: “le masculin est plus parfaict <strong>et</strong> noble que le femenin”. Selon lui, <strong>les</strong> traités<br />
préfèrent parler de vers de dix syllabes, qu’ils en comptent dix ou onze selon le genre de la rime,<br />
“pour ce qu’au plus noble se doibt faire la domination”. La syllabe surnuméraire du vers à rime<br />
féminine lui sert en fait d’“ayde <strong>et</strong> contrepoix” pour être digne d’“estre joinct <strong>et</strong> receu [...] à la<br />
compaignie [du vers] masculin”. Le genre des rimes sert ici de façon anecdotique la tradition<br />
misogyne des l<strong>et</strong>trés, mais prouve aussi la possibilité d’un lien entre la terminaison du vers <strong>et</strong><br />
l’expression d’une identité sexuée.<br />
4.3L’originalité de Christine de Pizan<br />
Œuvre Isométrie M Isométrie F Total des pièces<br />
Cent Balades 14 9 100<br />
Cent Balades d’amant <strong>et</strong> de dame 8 8 101<br />
Locuteur: Auteur 0 0 1<br />
Locuteur: Amour 0 0 1<br />
Locuteur: Amant 6 4 47<br />
Locuteur: Dame 2 4 47<br />
Locuteur: Amant <strong>et</strong> dame 0 0 5<br />
Autres Balades 2 11 53<br />
Balades d’estrange façon 0 0 4<br />
Encor aultres Balades 0 0 5<br />
Ballades du Dit de la Rose 0 1 3<br />
Ballades du Dit de la Pastoure 0 0 4 (3 doub<strong>les</strong>)<br />
Livre du Duc des vrais amans 0 8 24 (1 double)<br />
Ballades insérées 0 8 15 (1 double)<br />
Balades de pluseurs façons 0 0 9<br />
Total des ballades 24 37 290<br />
Figure 3. Nombre de ballades en isométrie pure selon <strong>les</strong> œuvres de Christine de Pizan.<br />
Le cas de Christine de Pizan est une bonne illustration de l’utilisation signifiante des rimes féminines<br />
comme signal sonore d’une étrang<strong>et</strong>é poétique. La poétesse utilise l’isométrie féminine avec une<br />
fréquence exceptionnelle relativement aux autres auteurs. C’est la seule, avec Michault Taillevent,<br />
chez qui <strong>les</strong> ballades en isométrie pure sont davantage construites sur des rimes féminines que sur des<br />
rimes masculines. Elle en a écrit un nombre considérable: 37 de ses ballades sont en rimes<br />
exclusivement féminines, soit deux fois plus que Deschamps sur un corpus quatre fois plus réduit !<br />
C<strong>et</strong>te spécificité se r<strong>et</strong>rouve à propos des pièces en hétérométrie forte. Christine de Pizan est presque<br />
la seule 74 à varier <strong>les</strong> mètres d’une strophe sur des rimes exclusivement féminines.<br />
Cependant, l’interprétation du genre de la rime comme signal sexuel ne peut être appliqué<br />
systématiquement à chacune des pièces en question. On a beaucoup cherché <strong>les</strong> marques d’une<br />
écriture féminine chez Christine de Pizan – encore ne faudrait-il pas confondre l’<strong>et</strong>hos de l’écrivain<br />
avec <strong>les</strong> différentes voix qu’elle emprunte au cours des différents poèmes. Les Cent Ballades d’amant<br />
<strong>et</strong> de dame suffisent à le prouver: <strong>les</strong> ballades isométriques sont tantôt à rimes masculines, tantôt à<br />
rimes féminines, quel que soit le locuteur <strong>et</strong> l’interlocuteur. La juxtaposition de trois pièces<br />
isométriques au début des Cent ballades 75 mérite un commentaire. Ces pièces extrêmement célèbres<br />
font référence au veuvage de Christine, sans que leur portée ne se réduise à ces circonstances<br />
autobiographiques. D’autres pièces consacrées à la même déploration sont en hétérométrie faible ou en<br />
isométrie masculine. La rime féminine perm<strong>et</strong> de soutenir d’autres eff<strong>et</strong>s stylistiques: la syllabe<br />
74 Nous ne connaissons qu’un seul autre exemple de ballade en hétérométrie forte<br />
construite sur des rimes exclusivement féminines: la pièce 69 des Cent Ballades de Jean le Sénéchal<br />
(Raynaud 1905).<br />
75 Roy (1886-1896, 1: 10-12).<br />
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