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L'Hétérométrie “faible”, l'hétérométrie “forte” et l'isométrie “pure”: les ...

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C’est une évidence pour <strong>les</strong> poètes français de la fin du Moyen Âge: la rime féminine 12 ajoute une<br />

syllabe au nombre de vers. Baud<strong>et</strong> Herenc l’explique très clairement à propos des lais 13 : “que la plus<br />

longue ligne ne passe point .IX. sillabes, qui est feminine, <strong>et</strong> la masculine de .VIIJ. sillabes, <strong>et</strong> <strong>les</strong> aultres<br />

en dessoulz. La feminine toudis a une sillabe plus longue que la masculine”. Il est certain que jusqu’au<br />

français classique, l’oreille percevait immédiatement la différence sonore entre <strong>les</strong> vers masculins <strong>et</strong><br />

<strong>les</strong> vers féminins. Tous <strong>les</strong> traités appellent <strong>les</strong> octosyllabes ou <strong>les</strong> décasyllabes à rimes féminines des<br />

vers de neuf ou onze syllabes. Il existe d’autres preuves de l’implication métrique du genre de la rime<br />

jusqu’à la Renaissance. Il arrive que le poète utilise une forme tonique comme dernière syllabe<br />

féminine du vers: il est alors impossible de parler de e mu<strong>et</strong>. La musique 14 souligne l’existence de c<strong>et</strong>te<br />

syllabe surnuméraire; elle peut donner une valeur longue à c<strong>et</strong>te dernière syllabe. Le musicologue<br />

Francis Mour<strong>et</strong> 15 fait remarquer que la musique syllabique, qui attribue une note par syllabe du vers,<br />

ne peut être reprise à l’identique entre deux strophes qui n’ont pas la même disposition des genres de<br />

rimes. L’isogonie en revanche n’est qu’une commodité pour la musique mélismatique 16 , qui compte<br />

plus de notes que de syllabes: il est techniquement possible d’articuler sur le mélisme une syllabe de<br />

plus ou de moins.<br />

Toutes <strong>les</strong> ballades françaises de la fin du Moyen Âge sont isogoniques, c’est-à-dire qu’el<strong>les</strong><br />

respectent la répartition des rimes masculines <strong>et</strong> féminines au sein de la strophe. Cela paraît une<br />

évidence, puisque <strong>les</strong> rimes doivent être reprises à l’identique de strophes en strophes. Nous citerons<br />

pour seule exception dans notre large corpus d’étude le cas de John Gower. En eff<strong>et</strong>, ce poète<br />

considère que <strong>les</strong> rimes en -é ou en -ée sont équivalentes 17 ! Par exemple <strong>les</strong> mots “Médée” <strong>et</strong> “pité”<br />

peuvent rimer entre eux 18 . Les différents manuscrits du Traitié pour essampler <strong>les</strong> Amantz mari<strong>et</strong>z<br />

n’aident pas à corriger le texte, semble-t-il fautif à l’origine selon nos critères. Ce principe, spécifique<br />

à la versification française, n’intéresse pas le poète anglais pourtant attaché à respecter <strong>les</strong> règ<strong>les</strong> de<br />

notre poésie.<br />

Si le genre de la rime change le décompte métrique, cependant <strong>les</strong> poètes médiévaux ne<br />

confondaient pas le type “primitif” du vers (heptasyllabe, octosyllabe) <strong>et</strong> le décompte “effectif” du<br />

nombre de syllabes dans le vers (vers de sept ou huit, huit ou neuf syllabes). Le Traité de rhétorique,<br />

qui accorde explicitement un “pied” de plus aux vers à rimes féminines, décrit ainsi <strong>les</strong> différents<br />

types de vers utilisés pour la ballade 19 :<br />

On treuve balade souvant<br />

De .V. piés, de .VJ. <strong>et</strong> de sept;<br />

De .VIIJ., de dix communement.<br />

De .IX. ne .XIJ. nul n’en sc<strong>et</strong>.<br />

12 C<strong>et</strong>te terminologie manque à Deschamps dans L’Art de dictier, mais l’implication<br />

rythmique de la rime féminine pour le vers entier est évidente. Voir l’explication donnée par Kooijman<br />

(1985: 118) du premier exemple de ballade cité par Deschamps qui accorde trois syllabes au mot dolente<br />

à la rime.<br />

13 On peut comparer c<strong>et</strong>te explication (Langlois 1902: 166) à celle du Traité de<br />

rhétorique anonyme (Langlois 1902: 254): “Le femenin est le plus ample / D’ung pied que l’autre en la<br />

rimée”.<br />

14<br />

le e en fin de vers.<br />

Voir <strong>les</strong> partitions 1 <strong>et</strong> 5 données par Mour<strong>et</strong> (1998: 114-115), avec la note longue sur<br />

15 Mour<strong>et</strong> (1998: 105) parle à juste titre de “rime féminine: cantilation du e <strong>et</strong><br />

hétérométrie”. Voir <strong>les</strong> partitions 4 <strong>et</strong> 9: la musique est modifiée pour convenir à des décasyllabes à rime<br />

masculine puis féminine (Mour<strong>et</strong> 1998: 115-116).<br />

16 Mour<strong>et</strong> (1998: 109-110).<br />

17 Voir, dans <strong>les</strong> Cinkante balades, <strong>les</strong> pièces numérotées 17, 29 <strong>et</strong> 42-44 (Macaulay<br />

1899: 352, 361-362, 371-373) <strong>et</strong>, dans le Traitié pour essampler <strong>les</strong> Amants mari<strong>et</strong>z, <strong>les</strong> pièces 6, 8 <strong>et</strong> 12<br />

(Macaulay 1899: 383, 384 <strong>et</strong> 387).<br />

18 Ces exemp<strong>les</strong> sont pris à la ballade 8 du Traitié pour essampler <strong>les</strong> Amants mari<strong>et</strong>z<br />

(Macaulay 1899: 384). L’apparat critique n’indique aucune correction pour <strong>les</strong> rimes de c<strong>et</strong>te pièce, où <strong>les</strong><br />

termes Medée, renomée, amenée <strong>et</strong> forsenée s’opposent à porté, obligé, refusé, pité <strong>et</strong> tué.<br />

19 Traité anonyme édité par Langlois (1902: 264).<br />

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