L'Hétérométrie “faible”, l'hétérométrie “forte” et l'isométrie “pure”: les ...

plus court. C’est surtout le cas dans la strophe layée 38 , dont on peut donner cette définition moderne 39 :
“la strophe layée représente une forme particulière de l’hétérométrie où celle-ci est réduite au
minimum. Un vers court marque la transition du clos à l’oultrepasse; il introduit toujours une rime
nouvelle”. Toutes les ballades en hétérométrie forte de Deschamps sont en strophes layées 40 . Le vers
court y apparaît toujours à la troisième rime, au cinquième ou au sixième vers selon les pièces 41 . Chez
Guillaume de Machaut et Christine de Pizan, la strophe layée est plus variée. Elle se définit 42 par un
unique vers court, à l’apparition de la troisième rime, en alternance avec un seul autre type de vers
plus long. Le vers court compte 4 à 8 syllabes, et le vers long 7 à 10 syllabes: l’important, c’est la
différence entre les deux vers, qu’elle corresponde à deux ou six syllabes. Les formes irrégulières sont
très rares 43 . Il semble bien que dans les ballades à strophe layée, s’instaure habituellement, au
changement de rythme et de rime, une coupure médiane – qui s’ajoute à celle du refrain entre les
strophes – dont le fonctionnement au sein de l’argumentation reste à étudier 44 .
La strophe layée n’est pas le seul modèle hétérostrophique utilisé par Guillaume de Machaut et
Christine de Pizan, contrairement à leurs contemporains. Les autres ballades en hétérométrie forte ne
font jamais alterner un seul vers court avec d’autres plus longs. Les formes sont presque toujours
uniques 45 et leur variété suscite l’admiration. Pour classer ces pièces, on peut tout au plus distinguer le
nombre de types de vers utilisés et une certaine tendance soit à alterner les longueurs, soit au contraire
à les faire se succéder. La structure métrique de la strophe peut être rigoureusement symétrique,
opposant quatre décasyllabes à quatre octosyllabes par exemple, ou enchaînant quatre fois un
heptasyllabe et un vers de cinq syllabes; mais elle peut aussi bien faire apparaître ça et là deux ou trois
vers plus courts, sans ordre apparent.
Or la pratique de l’hétérométrie faible correspond plutôt à ce deuxième type d’hétérométrie forte.
En effet jamais un vers n’est isolé par une rime orpheline dans une strophe: plusieurs vers à rimes
masculines alternent avec plusieurs vers à rimes féminines, en se mêlant de différentes manières. Les
rapports rythmiques ne peuvent plus être proportionnels (7/8, 8/9, 10/11). Les possibilités sont
particulièrement riches, puisque le poète combine le choix du genre de la rime (M ou F) avec celui du
nombre de rimes et de leurs dispositions dans la strophe. Les schémas rythmiques strophiques sont
donc nombreux, et il serait fastidieux de les énumérer ici.
Isométrie pure H. faible Hétérométrie forte
Auteur (total) M F Soit M/F Soit M F M/F Soit
Machaut (254) 30 2 13% 119 47% 18 0 85 40%
préférence le décasyllabe, l’octosyllabe ou le septenaire; la durée de l’autre sera rarement inférieur à la
moitié du vers-thème” (1978: 226-227). D’autres arts poétiques que L’Art de dictier citent des strophes
hétérométriques associant des vers de 7 et 5, 8 et 3 ou 10 et 4 syllabes en dehors du modèle de la strophe
layée.
38 Dans les arts poétiques, l’adjectif lai renvoie soit au mélange de vers courts et longs,
sans règle particulière de disposition, soit à la présence d’une rime intérieure, qui construit une sorte de
petit vers dans le grand. Voir la table des termes techniques d’Ernest Langlois (1902: 449).
39 Bliggenstorfer (2005: 198).
40 Sur les 114 pièces, seule la pièce 1114 (Queux de Saint-Hilaire et Raynaud 1878-
1903, 6: 24-25) fait exception, puisqu’elle est construite sur des vers de trois et sept syllabes en
alternance.
41 Seule la ballade 852 (Queux de Saint-Hilaire et Raynaud 1878-1903, 5: 26-27)
n’introduit pas de nouvelle rime lorsque l’unique heptasyllabe apparaît dans la strophe, parce que la
rime C est équivalente à la rime A, d’où une disposition de rimes en ababaacac.
42 On compte 66 ballades de Guillaume de Machaut répondant à cette définition, et
44 ballades de Christine de Pizan, soit les deux tiers de l’ensemble de leurs ballades en hétérométrie forte.
43 Une fois chez Guillaume, deux fois chez Christine, le vers plus court ne correspond
pas à l’apparition de la troisième rime.
44 Une étude de la perception de la strophe de la ballade en dehors des compositions
musicales fondées sur l’ouvert et sur le clos pourrait être réalisée sur le modèle de l’article de Jean-Louis
Aroui (2005) à propos du sonnet.
45 On compte dans l’œuvre de Guillaume de Machaut 37 ballades en hétérométrie forte
qui ne répondent pas à la définition de la strophe layée, développant en tout 30 modèles différentes; chez
Christine de Pizan on compte 19 ballades de ce type, toutes différentes.
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