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46<br />
Dossier : <strong>le</strong> hors-champ<br />
26 Roger Caillois, Les jeux et <strong>le</strong>s hommes. Le<br />
masque et <strong>le</strong> vertige, Gallimard, Paris, 1967<br />
[1958].<br />
27 Pour une histoire de la télé-réalité et des<br />
genres télévisuels, lire François Jost, La télévision<br />
du quotidien. Entre réalité et fiction,<br />
De Boeck Université, Bruxel<strong>le</strong>s, 2001.<br />
28 Michel Foucault, Surveil<strong>le</strong>r et punir, op. cit.,<br />
p. 218.<br />
29 Roger Caillois, Les jeux et <strong>le</strong>s hommes,<br />
op. cit.<br />
entre deux époques ou traditions : d’une part la tradition des spectac<strong>le</strong>s<br />
antiques fondée, entre autres, sur <strong>le</strong> goût du simulacre et de la compétition<br />
26, et d’autre part la tradition moderne de « spectac<strong>le</strong>s » de surveillance<br />
dirigés par un Etat interventionniste appliquant une logique<br />
sécuritaire. En effet, si Michel Foucault repère une transition historique<br />
avec <strong>le</strong> passage, au tournant du XIX e sièc<strong>le</strong>, d’une forme de spectac<strong>le</strong><br />
héritée de l’Antiquité – où la vision d’un nombre réduit de choses est<br />
rendue possib<strong>le</strong> à une multitude de spectateurs – vers une configuration<br />
spectaculaire moderne qui vise à procurer à une minorité de personnes<br />
la vue simultanée d’un nombre é<strong>le</strong>vé d’objets, il nous faut toutefois<br />
remarquer que cette tentation du spectac<strong>le</strong> de masse, consommé autour<br />
d’une minorité d’individus chargés de distraire cet immense et informe<br />
corps spectatoriel, semb<strong>le</strong> connaître un regain de faveur avec l’avènement<br />
de la télé-réalité 27.<br />
Au spectac<strong>le</strong> antique, <strong>le</strong> Loft emprunte <strong>le</strong> rapport quantitativement<br />
inégal entre public et acteurs, l’interactivité, « l’intensité des fêtes, la<br />
proximité sensuel<strong>le</strong> » à l’œuvre dans des « rituels où coulait <strong>le</strong> sang »,<br />
permettant ainsi à la société de retrouver vigueur en formant « un grand<br />
corps unique » 28. Au flot de sang a fait place un flot de larmes systématiquement<br />
déc<strong>le</strong>nché à l’annonce so<strong>le</strong>nnel<strong>le</strong> de l’expulsion du candidat<br />
pourtant « nominé » un peu plus tôt par ceux-là mêmes qui <strong>le</strong> p<strong>le</strong>urent<br />
et <strong>le</strong> regrettent déjà, et ceci tout en favorisant chez <strong>le</strong> public <strong>le</strong> processus<br />
d’une catharsis col<strong>le</strong>ctive. De plus, <strong>le</strong>s jeux d’imitation, de simulation,<br />
de relookage, de travestisme au sein du Loft sont légion et rappel<strong>le</strong>nt<br />
l’omniprésence de la mimicry (simulacre) propre aux sociétés primitives<br />
où règnent <strong>le</strong> masque et la pantomime 29. Néanmoins, Loft Story présente<br />
une forme fortement dégénérée de la mimicry primitive puisque,<br />
avec <strong>le</strong> passage à la civilisation moderne, <strong>le</strong>s fonctions de métamorphose<br />
et <strong>le</strong>s va<strong>le</strong>urs religieuses rattachées au masque ont été progressivement<br />
neutralisées et apprivoisées pour <strong>le</strong>s vider de tout <strong>le</strong>ur sens.<br />
Au spectac<strong>le</strong> panoptique de l’ère moderne, <strong>le</strong> Loft reprend l’idée<br />
d’une rationalisation de l’espace favorisant la domestication d’individus<br />
qui se plient de bonne grâce à une logique concentrationnaire visant, entre<br />
autres choses, une mutation mora<strong>le</strong> et physique des êtres incarcérés.<br />
Le Loft réalise donc une sorte de synthèse idéologique entre <strong>le</strong>s spectac<strong>le</strong>s<br />
antiques et <strong>le</strong> panoramisme moderne avec l’appui des technologies<br />
de communication modernes qui autorisent, non seu<strong>le</strong>ment <strong>le</strong> déploiement<br />
d’un regard englobant, mais aussi la diffusion d’un programme<br />
« plus-que-parfait », puisque ses concepteurs garantissent au public,<br />
non pas simp<strong>le</strong>ment une illusion de réalité (comme c’etait <strong>le</strong> cas avec<br />
<strong>le</strong> panorama du XIX e sièc<strong>le</strong>), mais une illusion de vérité procurée par des<br />
candidats qui ne jouent qu’à être eux-mêmes. Ainsi, la télé-réalité apparaît