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Bateson et l'épistémologie - SFTF

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<strong>Bateson</strong> <strong>et</strong> l’épistémologie – Jacques Miermont<br />

même pharmakon, la frontière entre le remède <strong>et</strong> le poison est plus ou moins ténue. Et le<br />

grand psychiatre Georges Daumézon définissait la psychothérapie comme l’induction<br />

d’une maladie artificielle préférable à la maladie naturelle… On conçoit dès lors qu’entre<br />

l’abstention thérapeutique <strong>et</strong> l’excès de zèle, la marge de manœuvre soit particulièrement<br />

étroite. Mais les eff<strong>et</strong>s de la récursivité en matière de psychothérapie ne s’arrêtent pas là.<br />

La tendance à l’auto-validation d’un modèle, d’une méthode ou d’une technique<br />

thérapeutiques peut conduire à en renforcer le bien-fondé, tout particulièrement devant<br />

des constats d’échec… On peut même considérer que dans les situations où la mise en<br />

échec est patente, la psychothérapie commence par ce constat d’échecs partagés,<br />

obligeant à rem<strong>et</strong>tre en question les diverses pré-conceptions thérapeutiques.<br />

<strong>Bateson</strong> poursuit en affirmant que la théorie du double bind « n’est pas normative,<br />

encore moins Ŗpragmatiqueŗ ». Elle n’est pas spécifique de la schizophrénie, <strong>et</strong> se révèle<br />

tout autant pertinente pour aborder l’humour, la poésie, l’art, la religion, l’hypnose, les<br />

états de conscience modifiés <strong>et</strong> le rêve. C’est là où le point de vue de <strong>Bateson</strong> diverge de<br />

celui du Dr. Stevens. Pour c<strong>et</strong>te dernière, la schizophrénie est exclusivement une<br />

maladie du cerveau, <strong>et</strong> non de la famille. Pour le premier, elle est l’un <strong>et</strong> / ou l’autre, l’un<br />

« autant » que l’autre. <strong>Bateson</strong> prend soin de m<strong>et</strong>tre « autant » en italiques <strong>et</strong> « maladie<br />

de la famille » entre guillem<strong>et</strong>s, en précisant que le terme « autant » n’est pas à prendre<br />

au pied de la l<strong>et</strong>tre, <strong>et</strong> que « l’humour, l’art, la poésie <strong>et</strong> la religion sont également des<br />

Ŗmaladiesŗ du Ŗcerveauŗ ou de la Ŗfamilleŗ, ou des deux ». « Ce à quoi je ne donnerai pas<br />

mon accord, c’est à un usage malheureux du langage qui séparerait la psychose du reste<br />

du large spectre des bouffonneries humaines Ŕ à la fois grandeur <strong>et</strong> misère. Tout comme<br />

je ne donnerai pas mon aval à c<strong>et</strong>te prémisse monstrueuse de l’épistémologie médiévale<br />

qui sépare l’ ŗespritŗ du Ŗcorpsŗ » (<strong>Bateson</strong>, 1978, p. 211).<br />

Ajouterais-je mon grain de sel ? Ce qu’on appelle « la schizophrénie » est une<br />

généralisation fallacieuse de troubles, de souffrances, voire de maladies fort<br />

hétérogènes, dont les lignes de démarcation fluctuent beaucoup selon les écoles<br />

psychiatriques. Certaines formes de « schizophrénies » peuvent être préférentiellement<br />

la manifestation de singularités génétiques <strong>et</strong> / ou neuro-développementales, d’autres la<br />

résultante d’expériences malheureuses <strong>et</strong> <strong>et</strong> de contextes environnementaux délétères,<br />

d’autres enfin un mélange des deux.<br />

Et, pour prolonger le monisme du « corps » <strong>et</strong> de l’ « esprit » auquel <strong>Bateson</strong> se réfère,<br />

je soulignerais volontiers que les « familles » sont dans notre « cerveau » Ŕ <strong>et</strong> dans notre<br />

« corps » Ŕ ; elles sont « la chair de notre chair, le sang de notre sang » <strong>et</strong> relèvent du<br />

« self matériel » (William James), tout autant que les « cerveaux » <strong>et</strong> les « corps » sont<br />

dans la famille…<br />

Pour <strong>Bateson</strong>, la compréhension de la théorie du double bind peut être utile à certains<br />

patients, de même que certains thérapeutes se sentent aidés par sa compréhension<br />

intellectuelle. Ce faisant, il souligne que l’intelligence du cœur est souvent plus pertinente<br />

que celle de l’intellect pour guérir.<br />

Alors que j’adhère à l’importance de l’intelligence du cœur, je préfère considérer ici<br />

qu’elle peut perm<strong>et</strong>tre de soulager la souffrance <strong>et</strong> d’atténuer les angoisses <strong>et</strong> les<br />

débordements émotionnels plutôt que d’aboutir à la guérison : lorsque des patients<br />

souffrent de formes plus ou moins graves de schizophrénies, il arrive fréquemment que<br />

leur « guérison » les conduise à une issue mortelle.<br />

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