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CHARENTON - Histoire de la psychiatrie en France

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FIN DU XIX E SIÈCLE<br />

En 1900 <strong>la</strong> Maison <strong>de</strong> Char<strong>en</strong>ton était équipée d’un bil<strong>la</strong>rd, d’un théâtre, d’une<br />

bibliothèque, d’une salle <strong>de</strong> bal où STRAUSS décrit une soirée avec <strong>de</strong>s annotations<br />

très réalistes 42 :<br />

« Tout autour <strong>de</strong>s salons, les hommes, les dames, les jeunes filles, <strong>en</strong> groupe<br />

séparés, gagn<strong>en</strong>t invariablem<strong>en</strong>t les mêmes p<strong>la</strong>ces, gar<strong>de</strong>nt l’immobilité p<strong>en</strong>dant<br />

toute <strong>la</strong> soirée, acceptant, sans quitter leur siège, les gâteaux et les<br />

rafraîchissem<strong>en</strong>ts qui leur sont offerts. Les dames n’<strong>en</strong>treti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t aucune<br />

conversation <strong>en</strong>tre elles ; <strong>la</strong> généralité <strong>de</strong>s hommes les imite ; si une voix se<br />

fait <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre, c’est le soliloque <strong>de</strong> quelque halluciné ou l’éc<strong>la</strong>t <strong>de</strong> rire <strong>de</strong><br />

quelque hi<strong>la</strong>rante extatique. Cette attitu<strong>de</strong> n’est pas particulière aux soirées ;<br />

à table, le même mutisme <strong>en</strong>tre voisins et voisines, même régu<strong>la</strong>rité dans<br />

le choix <strong>de</strong> <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce à occuper. Dans les parcs, c’est aussi le même banc,<br />

le même arbre, le même coin <strong>de</strong> pelouse, <strong>la</strong> même allée que rejoint le p<strong>en</strong>sionnaire<br />

; assis, adossé, ét<strong>en</strong>du sur l’herbe, accroupi contre un tronc, droit,<br />

immobile, on le retrouve dans l’attitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> veille. Aucune re<strong>la</strong>tion <strong>en</strong>tre<br />

les p<strong>en</strong>sionnaires ne naît <strong>de</strong> leur séjour ; nous les avons vus quelquefois r<strong>en</strong>trer<br />

du parc, sous un ciel éc<strong>la</strong>tant, l’allure harassée, le pas lourd, pressés,<br />

confondus, tel un noir troupeau sous le souffle <strong>de</strong>s Erynnies. »<br />

Cette <strong>de</strong>scription, particulièrem<strong>en</strong>t évocatrice <strong>de</strong> ce que nous appelons aujourd’hui<br />

le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> psychose et <strong>de</strong> l’autisme, correspond tout aussi bi<strong>en</strong> aux<br />

scènes <strong>de</strong> bals <strong>de</strong> Noël, <strong>de</strong> Sainte Catherine, etc. auxquelles nous pouvons assister<br />

aujourd’hui <strong>en</strong> cette fin du XX e siècle. Tout se passe comme si un univers parallèle<br />

à celui <strong>de</strong>s bi<strong>en</strong>-portants s’était recréé à l’asile, univers clos, marginal, resserré et<br />

conc<strong>en</strong>tré sur sa souffrance psychique, mais qui s’acharne à mimer, souv<strong>en</strong>t d’une<br />

façon grotesque et tragique, les gestes <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie <strong>de</strong>s « normaux », pour oublier et<br />

abolir <strong>la</strong> différ<strong>en</strong>ce. Et il est vrai aussi que ceux qui sont <strong>de</strong> « <strong>de</strong> l’autre côté »,<br />

comme STRAUSS l’était ou comme le personnel peut l’être, support<strong>en</strong>t parfois<br />

difficilem<strong>en</strong>t cette vision d’une « Autre scène » parodique, lointaine et proche à<br />

<strong>la</strong> fois. D’une façon plus nuancée, ce désir <strong>de</strong> se calquer sur le mon<strong>de</strong> extérieur<br />

répond à <strong>la</strong> visée thérapeutique <strong>de</strong> <strong>la</strong> réinsertion dans <strong>la</strong> société, même si bi<strong>en</strong><br />

souv<strong>en</strong>t on aboutit à un résultat contraire, à savoir au r<strong>en</strong>forcem<strong>en</strong>t d’une vie asi<strong>la</strong>ire<br />

qui se chronicise. STRAUSS perçoit d’ailleurs avec beaucoup <strong>de</strong> finesse les<br />

difficultés <strong>de</strong> cette vie qui essaie <strong>de</strong> faire « illusion », quand il décrit <strong>la</strong> coutume<br />

alors <strong>en</strong> vigueur <strong>de</strong> faire déjeuner certains p<strong>en</strong>sionnaires particulièrem<strong>en</strong>t calmes<br />

à <strong>la</strong> table <strong>de</strong>s autorités <strong>de</strong> l’établissem<strong>en</strong>t, et ce<strong>la</strong> non pas seulem<strong>en</strong>t démagogiquem<strong>en</strong>t<br />

comme on pourrait le conclure trop rapi<strong>de</strong>m<strong>en</strong>t :<br />

« Tous les jours, un certain nombre <strong>de</strong> p<strong>en</strong>sionnaires sont appelés à pr<strong>en</strong>dre<br />

p<strong>la</strong>ce à <strong>la</strong> table dite “d’administration”, installée avec un grand confort, <strong>en</strong><br />

<strong>de</strong>hors <strong>de</strong>s quartiers, dans une salle qui donne par l’élégance <strong>de</strong> sa décoration,<br />

l’illusion d’une salle <strong>de</strong> fêtes. »<br />

42 Ibid., p. 140-141.<br />

31 copyleft A<strong>de</strong>line FRIDE

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