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•9•<br />
Le blues de l'arrêt de bus<br />
Assises sur le banc en bois de la gare routière, tante Libby et moi attendions le car de 20 heures. Il<br />
n’y en avait qu’un par jour au départ de Hipsterville, et il partait juste avant le coucher du soleil.<br />
J’avais hâte de retrouver Dullsville et, avec un peu de chance, Alexander, mais j’étais triste de<br />
quitter tante Libby. J’avais adoré visiter la ville avec elle et je l’admirais vraiment. Elle n’avait jamais<br />
abandonné son rêve de devenir actrice ; indépendante, elle cultivait un style, des goûts et une vision de la<br />
vie qui lui étaient propres. Elle voyait en moi quelqu’un de spécial, unique, et non pas un monstre. Plus<br />
important encore, elle me traitait comme une personne normale.<br />
L’animation de Hipsterville me manquerait aussi, de même que le <strong>Ce</strong>rcueil Club, où la jeunesse<br />
gothique pouvait se retrouver pour danser, et Sexy Gothique, la boutique de mes rêves où il était possible<br />
d’acheter des vêtements noirs, des bijoux à pointes et des tatouages.<br />
Libby me serra dans ses bras, et je posai la tête sur son épaule tandis que le car s’arrêtait devant<br />
nous.<br />
— Tu vas beaucoup me manquer, tante Libby, dis-je en la serrant aussi fort que je le pouvais.<br />
Puis je montai dans le véhicule.<br />
En remontant l’allée centrale, j’ouvris mon miroir de poche pour examiner les autres passagers.<br />
Comme tout le monde s’y reflétait, y compris deux jeunes gothiques blottis l’un contre l’autre, je décidai<br />
de m’asseoir. Tante Libby me fit « au revoir » de la main, et nous attendîmes que le car démarre. Je<br />
voyais dans ses yeux que je lui manquerais autant qu’elle me manquerait. Elle continua à agiter la main<br />
tandis que le car s’éloignait. Dès que la station eut disparu, je poussai un soupir de soulagement. Je<br />
laissais derrière moi Jagger, l’adolescent infâme, mystérieux et agressif. Avec un peu de chance, je<br />
trouverais vite un nouveau moyen de contacter Alexander, mon séduisant prince gothique.<br />
Le trajet jusqu’à Dullsville fut interminable. J’appelai Becky avec mon téléphone portable, mais<br />
elle était au cinéma avec Matt. Je griffonnai des notes sur ma rencontre avec Jagger dans mon journal<br />
« Olivia Outcast », mais le fait d’écrire dans le car me donna la nausée. Je tentai d’imaginer pour quelles<br />
raisons Jagger était à la recherche d’Alexander. Peut-être leurs familles respectives se disputaient-elles<br />
le manoir de Benson Hill ? <strong>Ce</strong>la n’aurait rien de rassurant. Je rêvai de retrouvailles avec Alexander, mais<br />
je ne pouvais m’empêcher de penser aux cartes dépliées sur le sol de l’appartement de Jagger.<br />
Une éternité plus tard, le car s’arrêta enfin à Dullsville. Je me surpris même à rêver qu’Alexander<br />
apparaîtrait comme par magie à la station, au lieu de quoi je fus accueillie par maman, papa, Billy Boy et<br />
son copain Henry.<br />
— Quoi, tu nous quittes déjà ? demanda papa alors que, de retour à la maison, je jetai ma valise sur<br />
mon lit et me préparai à ressortir. On aimerait bien que tu nous racontes ton séjour.<br />
Je n’avais pas le temps de répondre aux questions de mes parents, fussent-elles bien intentionnées.<br />
— Comment as-tu trouvé tante Libby ? Qu’as-tu pensé de sa performance dans Dracula ? Tu as<br />
aimé ses sandwichs au t<strong>of</strong>u ?