vampire kisses T2 Ce.. - Index of

sable comme si nous étions des balles de golf.
Alexander et moi nous assîmes sur le green du troisième trou qui surplombait un étang orné d’une
fontaine illuminée. Quelques saules, plantés pour mettre l’étang en valeur, semblaient pleurer non pas des
feuilles, mais de la dentelle noire. Le parcours était tellement calme. On n’entendait que les criquets et le
clapotis de quelques chutes d’eau.
— J’adore être entouré d’un décor magnifique, mais ta beauté éclipse très largement celui-ci.
Je l’embrassai furtivement.
— Et puis, j’aime bien danser dans des endroits inhabituels, poursuivit-il.
Il ouvrit son sac à dos et en sortit un lecteur de CD portable. Il l’alluma, et Marilyn Manson se mit à
gémir.
— M’accorderez-vous cette danse ? demanda-t-il en m’offrant sa main.
Au début, nous dansâmes un genre de slow sur une chanson d’une lenteur morbide. Quel spectacle
étonnant que le nôtre à ce moment-là : deux ados gothiques dansant sur un parcours de golf !
Comme le tempo des chansons s’accélérait, nous nous tournâmes autour et dansâmes autour du
drapeau jusqu’à épuisement.
Nous courûmes jusqu’à l’étang et prîmes de l’eau dans nos mains. Grâce à la lumière de la fontaine,
j’aperçus mon reflet. Là où nous avions plongé nos mains et où aurait dû se trouver celui d’Alexander, il
n’y avait que des vaguelettes et des ondulations. Je levai les yeux vers lui. Il souriait d’un air joyeux,
innocent. J’eus mal pour lui et me demandai à quoi pouvait ressembler une vie vide de tout reflet.
Essoufflés, nous nous affalâmes sur le gazon et contemplâmes les étoiles. Le ciel était dégagé à
l’exception de quelques modestes nuages lointains. Couchés au milieu du parcours de golf, sans arbres
pour gêner notre vue, loin de toute pollution lumineuse, nous contemplions un million d’étoiles qui
scintillaient juste pour nous.
Alexander se redressa et sortit deux boissons de son sac.
— Des bonbons vers, araignées ou lézards ? demanda-t-il en fouillant de nouveau dans son sac.
— Des vers, s’il te plaît.
Nous bûmes en mâchant nos insectes fluorescents.
— Comment vis-tu le fait de ne jamais voir ton reflet ? demandai-je, obnubilée par l’absence de
son visage dans l’eau.
— Je n’ai jamais connu autre chose.
— Comment sais-tu à quoi tu ressembles, alors ?
— Grâce à des peintres. Quand j’ai eu cinq ans, mes parents ont commandé un portrait de nous à un
des artistes avec qui ils travaillaient. Ce tableau est suspendu au-dessus de la cheminée, dans notre
maison de Roumanie. C’était la plus belle chose que j’avais jamais vue. La manière dont l’artiste avait
capturé la lumière, reproduit les fossettes de ma mère, la joie dans les yeux de mon père… Tout ça avec
sa palette et de petits coups de pinceau. Le peintre avait fait de moi un garçon plein de vie, alors que je
me sentais seul et triste. Mais lui m’avait vu différemment. C’est à ce moment-là que j’ai pris la décision
de peindre moi aussi.
— Tu t’es trouvé beau, quand tu t’es vu ?
— L’artiste m’avait probablement arrangé un peu, répondit-il avec passion, comme s’il exposait
ses pensées pour la première fois. J’ai toujours ressenti beaucoup de peine pour les humains qui passent
tellement de temps devant leur miroir. Se coiffer, se maquiller, s’habiller…
Et tout ça pour impressionner les autres. Est-ce réellement eux qu’ils voient dans le miroir ? ou bien ce
qu’ils aimeraient y voir ? Cela leur fait-il du bien ou du mal ? Et, plus important encore, l’image qu’ils
ont d’eux-mêmes est-elle influencée par leur reflet ?