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•12•<br />
Réunion risquée<br />
La poitrine secouée de sanglots, je m’enfuis du cimetière le plus vite possible. Je voyais à peine le<br />
trottoir derrière le voile de mes yeux. Sous une pluie battante, je traversai le centre de Dullsville, où des<br />
conducteurs de Saab, Mercedes et autres Jeep regardèrent avec étonnement cette fille au look gothique<br />
trempée et éplorée.<br />
Je remontai la rue principale en courant, zigzaguai entre les passants munis de parapluies, bousculai<br />
un couple qui sortait du cinéma et évitai de peu un groupe d’amis se précipitant dans un restaurant en<br />
essayant de passer entre les gouttes.<br />
Le moindre battement d’ailes d’oiseau, le plus faible coup de Klaxon me faisaient sursauter et<br />
accélérer encore pour échapper à Jagger.<br />
Je ne voulais pas rentrer à la maison. J’avais besoin d’être seule, loin de ma famille. Je ne voulais<br />
pas parler ; personne, pas même Becky, ne pourrait comprendre l’expérience inhumaine que j’avais<br />
vécue. Je n’avais d’autres choix que de chercher le réconfort du seul endroit où je m’étais jamais sentie à<br />
mon aise.<br />
Les jambes engourdies et les pieds endoloris, j’arrivai au pas de course devant le manoir. Je<br />
longeai l’allée sinueuse et contournai la demeure. Je me retournai furtivement vers le kiosque pour<br />
vérifier qu’aucun regard malfaisant ne me surveillait. Comme le kiosque était désert, je me glissai par la<br />
fenêtre ouverte du sous-sol et traversai la maison déserte. Mes larmes tombaient entre mes bottes sur le<br />
parquet grinçant, et mes semelles mouillées couinaient à chaque pas. Je m’essuyai les yeux en gravissant<br />
l’escalier d’honneur, puis fonçai dans la chambre d’Alexander.<br />
J’effleurai le chevalet… Regardai son lit aux draps froissés, témoignage de sa présence ici<br />
quelques jours plus tôt… Pris dans mes mains le pull en laine noire abandonné sur le fauteuil élimé.<br />
Je me rapprochai de la lucarne et plongeai mon regard dans le paysage nocturne désolé. La pluie<br />
avait cessé. J’étais épuisée, je me sentais abandonnée, idiote. Si j’étais restée à Dullsville, Alexander<br />
serait revenu me chercher. Par mon impatience, je nous avais mis tous les deux en danger. Alors qu’il se<br />
cachait tranquillement à Hipsterville, j’avais conduit sa Némésis assoiffée de vengeance jusqu’à lui. Moi<br />
qui me croyais maligne, je m’étais laissé manipuler par Jagger.<br />
Le parquet craqua derrière moi. Je me retournai lentement. Une silhouette se découpait dans<br />
l’encadrement de la porte.<br />
— Jagger…, lâchai-je dans un souffle.<br />
Le parquet craqua de nouveau comme l’ombre faisait un pas en avant.<br />
— Va-t’en ! criai-je en reculant.<br />
Je n’avais nulle part où aller. Le visiteur mystérieux bloquait la sortie. Seule l’étroite lucarne était<br />
libre d’accès.<br />
Je reculai encore, peu enthousiaste à l’idée de tenter une manœuvre trop dangereuse.<br />
— Je vais appeler la police ! menaçai-je.<br />
La silhouette se rapprocha encore. Je décidai d’essayer de la contourner. Je pris une pr<strong>of</strong>onde<br />
inspiration et comptai dans ma tête. Un. Deux. Trois.