Agone n° 29/30 - pdf - Atheles
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FRANCK POUPEAU & SANDRINE GARCIA 31<br />
pesant sur l’école publique a commencé à la fin des années 1990 sous le<br />
ministère de Claude Allègre, dont les déclarations dans les médias<br />
avaient constitué autant d’avertissements pour les enseignants : « Je<br />
veux instiller l’esprit d’entreprise dans le système éducatif », affirmait-il<br />
[Les Échos, 03.02.98] ; tandis qu’un texte, titré « Ce que je veux », [Le Monde,<br />
06.02.98], réactivait le « combat pour la République » au profit du « défi<br />
technologique » permettant de « former des citoyens capables d’affirmer<br />
leur place au sein de la grande compétition internationale ». Il reprenait<br />
aussi les arguments de la Table ronde des entrepreneurs européens 2 et<br />
de la Commission européenne pour affirmer : « Il faut admettre que<br />
désormais l’éducation, tout comme la formation, ne se réduira plus à la<br />
phase initiale de l’école ou de l’université, mais que l’on apprendra tout<br />
au long de la vie. 3 » Ces déclarations, amplement relayées par une<br />
presse acquise à la cause de celui qui avait déclaré, dès son arrivée au<br />
ministère en 1997, vouloir « dégraisser le mammouth » de l’Éducation<br />
nationale, lui ont attiré les foudres des syndicats enseignants, l’accusant<br />
de « mettre l’école en péril » et de la livrer aux forces économiques libérales<br />
dont l’unique souci serait de privatiser l’Éducation nationale. L’harmonisation<br />
européenne constituerait alors le prétexte pour « habituer<br />
les gens à créer des entreprises en étant jeune » et « inventer de nouvelles<br />
technologies » : « Je voudrais plus d’innovateurs et moins de<br />
savants passifs », affirmait le ministre [Les Échos, 03.0<strong>29</strong>8].<br />
Face aux réformes managériales légitimées par ces déclarations, le<br />
discours syndical et militant repose bien souvent sur les mêmes catégories<br />
d’analyse que le discours d’inspiration libérale. Quelques ouvrages<br />
récents témoignent d’un désir d’objectivation des rapports de force à<br />
l’œuvre, contribuant ainsi à faire connaître les menaces de marchandisation<br />
de l’éducation 4 . Mais l’efficacité symbolique redoutable de la<br />
2. L’ERT (European Rountable of Industrialists) est une commission constituée<br />
par les représentants des plus grandes entreprises européennes ; son texte Education<br />
for Europeans, Towards the Learning Society (1995) fut présenté en France<br />
par Gérard de Sélys dans Le Monde diplomatique, juin 1998) et son livre, Tableau<br />
noir, co-écrit avec Nico Hirtt (EPO, 1998).<br />
3. Commission des communautés européennes, Accomplishing Europe through<br />
Education and Learning, 1996.<br />
4. Yves Careil, École libérale, école inégale, Syllepse, 2002 ; Christian Laval &<br />
Louis Weber (dir.), Le Nouvel Ordre éducatif mondial, Syllepse, 2002; Christian<br />
Laval, L’École n’est pas une entreprise, La Découverte, 2003.