Agone n° 29/30 - pdf - Atheles

FRANCK POUPEAU & SANDRINE GARCIA 47
donné à la constitution d’une « situation critique », via le label ZEP, ou
de projets d’établissements, en fonction de leur recrutement local. La
grille horaire des enseignements nationaux a été supprimée au profit
d’une marge de modulation locale – la « DHG » (dotation horaire globale)
dont les baisses récurrentes sont à l’origine de nombre de contestations
enseignantes depuis les années 1990. Dans le même temps, le
nombre d’heures obligatoires de français au collège a été réduit de
manière substantielle. Ainsi, les procédures de remédiation visant à
faciliter la réussite scolaire des élèves issus de catégories défavorisées
ont été octroyées trop souvent non pas en plus, mais à la place d’enseignements
dans le cadre du collège pour tous. Plus que la transmission
des savoirs, la lutte contre la visibilité de l’échec scolaire est ainsi devenue
la finalité de l’institution scolaire et non pas quelque chose qui
vient réaliser plus complètement l’idéal républicain.
Une forme de dérégulation morale résulte de la socialisation institutionnelle
qui consiste à tolérer dans le système scolaire des transgressions
de l’ordre scolaire qui seraient intolérables dans des lieux effectivement
réservés à la transmission de savoirs. Ce qu’on appelle « les problèmes
de discipline », et qui ont été médiatisés à travers la question de la violence
scolaire, nuit de fait à l’activité intellectuelle des élèves en réduisant
le temps « d’exposition à l’apprentissage » 41 . Ils ont évidemment bien
plus de chances de se produire dans les lieux qui condensent toutes les
inégalités liées à la division sociale de l’espace. Mais ces problèmes, souvent
mis sur le compte des classes de niveau et du fonctionnement pédagogique
de l’institution ou de la « mauvaise éducation » donnée par les
parents – en « banlieue » –, résultent aussi de ce que l’institution définit
comme transgression, c’est-à-dire comme comportement susceptible
d’être sanctionné. Or, on constate là deux tendances : d’une part une
« juridicisation » des modes de résolution des problèmes, avec des
modalités de coopération entre justice, police et Éducation nationale
plus élaborés, dont les contrats locaux de sécurité constituent la manifestation
la plus exemplaire 42 . D’autre part, une tolérance de fait à
l’égard des transgressions mineures de l’ordre scolaire, laissant les
41. Selon l’expression utilisée par D. Meuret à propos des déterminants de
l’échec scolaire dans les ZEP. Lire « L’efficacité de la politique des zones d’éducation
prioritaire dans les collèges », Revue française de pédagogie, 1994, n° 109.
42. Lire Franck Poupeau, « La “peur du gendarme’’. Notes sur la politique sécuritaire
d’une ville ordinaire », Société et représentations, 2003, 15, p. 391-407.