QUI EST L'AUTRE - Eric Vincent
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LE LUTIN BLOND<br />
aurait voulu qu'ils rentrent tous à pied, sans commettre de bévue, sans risquer autre chose<br />
qu'un renversement de poubelle bien bénin. Mais non…<br />
Les deux kilomètres nécessaires pour rejoindre leurs domiciles, tous situés aux Couronneries,<br />
le quartier le plus glauque de Poitiers, seraient parcourus en camionnette. Charles connaissait<br />
le chemin par cœur ; comme tous les alcooliques du monde, il était persuadé de contrôler son<br />
véhicule, il était convaincu de respecter les limitations de vitesse, il était assuré de s'arrêter à<br />
temps en cas d'urgence.<br />
Lorsqu'il s'engagea dans la rue de la Cathédrale, étroite, à sens unique, bordée de véhicules en<br />
stationnement des deux côtés, il enfonça brusquement la pédale de droite, maîtrisant mal le<br />
dosage de l'accélération. Il manqua d'emboutir plusieurs véhicules, le cap devenant trop<br />
compliqué à garder.<br />
Tout à coup, un homme traversant la rue surgit dans la lumière des phares. Charles mit trop<br />
de temps à réagir ; le choc fut inévitable. Trois longs hurlements s'en suivirent durant deux<br />
secondes avant de cesser. La camionnette s'était évaporée dans un mur de lumière noire.<br />
L'obstacle avait surgi instantanément, presque par pur réflexe, de la main d'un inconnu.<br />
Haletant, le visage parcouru par des spasmes de frayeur, ce dernier releva la tête et admira le<br />
résultat de son geste. Il était prêt à tout.<br />
* *<br />
*<br />
Le quartier général n'était autre que les appartements de Martin Lemur. Des six compères, il<br />
était le plus aimé, le plus gâté par ses parents, y compris dans l'attribution d'un espace de vie<br />
estudiantine. Les réunions avaient lieu le plus souvent dans ces murs mais elles prenaient<br />
parfois le chemin de la bibliothèque du campus universitaire, voire l'adresse du restaurant<br />
universitaire. Leurs identités n'avaient rien de secret ; cependant, ils cachaient soigneusement<br />
l'existence de leur famille respective (lorsqu'ils en avaient une) à l'exception d'Hubert dont<br />
tous les membres du clan Tannenbaum étaient célèbres en France et au-delà des frontières<br />
pour leur force légendaire et leur appétit démesuré. Mais quel idiot costumé aurait pu avoir<br />
l'idée saugrenue de s'attaquer à cette famille massive et armée de poings capables d'assommer<br />
un bœuf ?<br />
Les mines étaient plutôt grises, les corps étaient sans force, le moral était en baisse. Dans la<br />
journée, les K avaient appris que le commissariat de police avait fait l'objet d'une attaque en<br />
règle d'un véritable commando. Les six policiers présents sur les lieux avaient subi un<br />
mitraillage nourri et avaient dû battre en retraite. Acculés au sous-sol, tenu en respect par les<br />
individus embusqués dans l'escalier, ils n'avaient pas pu entraver le pillage de l'armurerie, le<br />
vol de gilets pare-balles et l'incendie provoqué pour couvrir la fuite.<br />
Selon les dires de Désiré Prosper, le commissaire, la voix percluse d'émotion et de rage, les<br />
dégâts étaient considérables, malgré l'intervention rapide des pompiers. Le coup porté aux<br />
forces de l'ordre était important et portait la signature des "flambeurs", un groupuscule aux<br />
objectifs obscurs, agissant à la vitesse de l'éclair, flambant des voitures à tour de bras.