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ÉCRITURES EN LIGNE: PRATIQUES ET COMMUNAUTÉS - Arald

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classiques de cohérence et de nouveauté de la pensée, mais doit être à même d’apprécier la<br />

valeur relative des propositions par rapport à l’ensemble.<br />

On voit bien que derrière ces questions s’en cache une autre, bien plus vaste et délicate, celle<br />

de la valeur intrinsèque d’un dispositif critique collectif dont les capacités transcendantales<br />

elles-mêmes sont sujettes à caution. En effet, au fondement du genre critique réside le<br />

dialogue entre deux subjectivités, celle du texte et celle du critique, Gracq estimant même que<br />

l’activité de commentaire littéraire est un acte créateur unique. On peut certes considérer que<br />

la théorie de Gracq est excessivement immanente, mais il n’en reste pas moins vrai, comme<br />

l’explique Starobinski, que la faiblesse épistémologique de la critique qui « ne peut pas<br />

demeurer dans les limites du savoir vérifiables » est en quelque sorte compensée par l’apport<br />

de la subjectivité d’une « personne […] qui aura passé par l’ascèse impersonnelle du savoir<br />

objectif et des techniques scientifiques. [l’acte critique] sera un savoir sur la parole repris dans<br />

une autre parole » 233 . Dès lors que cette parole unique disparaît, au profit d’une réunion de<br />

subjectivités différentes, il est possible que le lecteur soit profondément déstabilisé par un<br />

énoncé ou une série d’énoncés où il ne retrouvera plus une mais plusieurs paroles,<br />

concurrentielles ou complémentaires, mais qui ne s’avèrent plus à même de délivrer une<br />

parole sur le texte. Et ce n’est pas la pluralité des approches critiques qui est ici en cause, car<br />

on sait que le lecteur peut tout à fait s’accommoder de la cohabitation de différentes méthodes<br />

critiques, qui, fussent-elles contradictoires, concourent toujours à faire émerger le ou les sens<br />

du texte 234 . Ecrit par plusieurs auteurs qui ne sauraient tous partager la même vision du texte,<br />

l’hypertexte critique, faute de logique herméneutique unitaire, cohérente et sensible, perdrait<br />

son unité. Dans cette hypothèse extrême, la raison d’être de l’ouvrage critique est dissoute<br />

puisque l’on ne donne plus « le résultat de sa lecture afin que d’autres, plus pressés ou moins<br />

disponibles pendant leur parcours du texte, trouvent occasion de lire autrement, sous-<br />

entendu : un peu mieux, vers plus de richesse » 235 . Perdre son lecteur faute de cohérence<br />

interne, tel est le danger que court l’hypertexte critique, danger qui, en un sens, pèse sur toutes<br />

les formes de cyberlittérature et d’écriture collective. Mais, dans le cas qui nous intéresse, il<br />

est un autre risque, tout aussi grave. Réduit à une sorte de base de données difficilement<br />

lisible, l’hypertexte critique pourrait disséminer le texte littéraire de référence, qui, environné<br />

233 Jean Starobinski, La Relation critique, L’œil vivant II, Paris, Gallimard, 1970, p. 33.<br />

234 On sait que Todorov condamne dans Critique de la critique cette tendance, inhérente à la critique<br />

contemporaine selon lui, à vouloir croiser différentes approches critiques sur un même texte. Il s’oppose ainsi<br />

aux thèses défendues par R.E. Jones qui estime qu’advient l’ère du critique total qui doit « combiner le meilleur<br />

de la critique historique, ,de la critique esthétique, de la critique scientifique réunissant tous ces éléments en une<br />

synthèse qui réduise l’écart entre critique et lecteur, d’une part, et l’œuvre, de l’autre — tout en accroissant notre<br />

connaissance et de l’œuvre et des processus créateurs qui conduisent à l’œuvre », in Panorama de la critique cité<br />

par Fabrice Thumerel, La Critique littéraire, Paris, Armand Colin, 1998, p. 98.<br />

235 Jean Bellemin-Noël, « Entre lanterne sourde et lumière noire. Du style en critique. », Littérature, n°100, déc<br />

95, p.19.<br />

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