The Project Gutenberg EBook of Cheri, by Colette Copyright ... - Umnet
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evoyait, plus pâle au grand soleil, un Chéri exténué qui se traînait sous les charmilles<br />
normandes, s'endormait sur les margelles chaudes des pièces d'eau. Léa le réveillait pour<br />
le gaver de fraises, de crème, de lait mousseux et de poulets de grain. Comme assommé,<br />
il suivait d'un grand œil vide, à dîner, le vol des éphémères autour de la corbeille de roses,<br />
regardait sur son poignet l'heure d'aller dormir, tandis que Léa, déçue et sans rancune,<br />
songeait aux promesses que n'avait pas tenues le baiser de Neuilly et patientait<br />
bonnement :<br />
"Jusqu'à fin août, si on veut, je le garde à l'épinette. Et puis, à Paris, ouf! je le rends à ses<br />
chères études...."<br />
Elle se couchait miséricordieusement de bonne heure pour que Chéri, réfugié contre elle,<br />
poussant du front et du nez, creusant égoïstement la bonne place de son sommeil,<br />
s'endormît. Parfois, la lampe éteinte, elle suivait une flaque de lune miroitante sur le<br />
parquet. Elle écoutait, mêlés au clapotis du tremble et aux grillons qui ne s'éteignent ni<br />
nuit ni jour, les grands soupirs de chien de chasse qui soulevaient la poitrine de Chéri.<br />
"Qu'est-ce que j'ai donc que je ne dors pas? se demandait-elle vaguement. Ce n'est pas la<br />
tête de ce petit sur mon épaule, j'en ai porté de plus lourdes.... Comme il fait beau.... Pour<br />
demain matin, je lui ai commandé une bonne bouillie. On lui sent déjà moins les côtes.<br />
Qu'est-ce que j'ai donc que je ne dors pas? Ah! oui, je me rappelle, je vais faire venir<br />
Patron le boxeur, pour entraîner ce petit. Nous avons le temps, Patron d'un côté, moi de<br />
l'autre, de bien épater Madame Peloux.... "<br />
Elle s'endormait, longue dans les draps frais, bien à plat sur le dos, la tête noire du<br />
nourrisson méchant couchée sur son sein gauche. Elle s'endormait, réveillée<br />
quelquefois--mais si peu!--par une exigence de Chéri, vers le petit jour.<br />
Le deuxième mois de retraite avait en effet amené Patron, sa grande valise, ses petites<br />
haltères d'une livre et demie et ses trousses noires, ses gants de quatre onces, ses<br />
brodequins de cuir lacés sur les doigts de pieds;--Patron à la voix de jeune fille, aux longs<br />
cils, couvert d'un si beau cuir bruni, comme sa valise, qu'il n'avait pas l'air nu quand il<br />
retirait sa chemise. Et Chéri, tour à tour hargneux, veule, ou jaloux de la puissance<br />
sereine de Patron, commençait l'ingrate et fructueuse gymnastique des mouvements lents<br />
et réitérés.<br />
"Un...sss... deux...sss.... je vous entends pas respirer... trois...sss... Je le vois, votre genou<br />
qui trich...sss...."<br />
Le couvert de tilleuls tamisait le soleil d'août. Un tapis rouge épais, jeté sur le gravier,<br />
fardait de reflets violets les deux corps nus du moniteur et de l'élève. Léa suivait des yeux<br />
la leçon, très attentive. Pendant les quinze minutes de boxe, Chéri, grisé de ses forces<br />
neuves, s'emballait, risquait des coups traîtres et rougissait de colère. Patron recevait les<br />
swings comme un mur et laissait tomber sur Chéri, du haut de sa gloire olympique, des<br />
oracles plus pesants que son poing célèbre.<br />
"Heu là! que vous avez l'oeil gauche curieux. Si je ne l'aurais pas empêché, il venait voir<br />
comment qu'il est cousu, mon gant gauche.<br />
--J'ai glissé, rageait Chéri.<br />
--Ça ne provient pas de l'équilibre, poursuivait Patron. Ça provient du moral. Vous ne<br />
ferez jamais un boxeur.<br />
--Ma mère s'y oppose, quelle tristesse!<br />
--Même si votre mère ne s'y opposerait pas, vous ne feriez pas un boxeur, parce que vous<br />
êtes méchant. La méchanceté, ça ne va pas avec la boxe. Est-ce pas, madame Léa?"