The Project Gutenberg EBook of Cheri, by Colette Copyright ... - Umnet
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irrégulièrement.<br />
"Comment, tu ne dors pas?"<br />
Elle le sentit tressaillir contre elle, et il se retourna tout entier d'un seul mouvement.<br />
"Mais toi non plus tu ne dormais pas, Nounoune?"<br />
Il étendit la main vers la table de chevet et atteignit la lampe; une nappe de lumière rose<br />
couvrit le grand lit, accusant les reliefs des dentelles, creusant des vallons d'ombre entre<br />
les capitons dodus d'un couvre-pieds gonflé de duvet. Chéri, étendu, reconnaissait le<br />
champ de son repos et de ses jeux voluptueux. Léa, accoudée près de lui, caressait de la<br />
main les longs sourcils qu'elle aimait et rejetait en arrière les cheveux de Chéri. Ainsi<br />
couché et les cheveux dispersés autour de son front, il sembla renversé par un vent<br />
furieux.<br />
La pendule d'émail sonna. Chéri se dressa brusquement et s'assit.<br />
"Quelle heure est-il?<br />
--Je ne sais pas. Qu'est-ce que ça peut bien nous faire?<br />
--Oh! je disais ça...."<br />
Il rit brièvement et ne se recoucha pas tout de suite. La première voiture de laitier secoua<br />
au-dehors un carillon de verrerie, et il eut un mouvement imperceptible vers l'avenue.<br />
Entre les rideaux couleur de fraise, une lame froide de jour naissant s'insinuait. Chéri<br />
ramena son regard sur Léa, et la contempla avec cette force et cette fixité qui rend<br />
redoutables l'attention de l'enfant perplexe et du chien incrédule. Une pensée illisible se<br />
levait au fond de ses yeux dont la forme, la nuance de gir<strong>of</strong>lée très sombre, l'éclat sévère<br />
ou langoureux ne lui avaient servi qu'à vaincre et non à révéler. Son torse nu, large aux<br />
épaules, mince à la ceinture, émergeait des draps froissés comme d'une houle, et tout son<br />
être respirait la mélancolie des oeuvres parfaites.<br />
"Ah! toi..." soupira Léa avec ivresse.<br />
Il ne sourit pas, habitué à recevoir simplement les hommages.<br />
"Dis-moi, Nounoune....<br />
--Ma beauté?"<br />
Il hésita, battit des paupières en frissonnant :<br />
"Je suis fatigué.... Et puis demain, comment vas-tu pouvoir...."<br />
D'une poussée tendre Léa rabattit sur l'oreiller le torse nu et la tête alourdie.<br />
"Ne t'occupe pas. Couche-toi. Est-ce que Nounoune n'est pas là? Ne pense à rien. Dors.<br />
Tu as froid, je parierais.... Tiens, prends ça, c'est chaud...."<br />
Elle le roula dans la soie et la laine d'un petit vêtement féminin ramassé sur le lit et<br />
éteignit la lumière. Dans l'ombre, elle prêta son épaule, creusa son flanc heureux, écouta<br />
le souffle qui doublait le sien. Aucun désir ne la troublait, mais elle ne souhaitait pas le<br />
sommeil. "A lui de dormir, à moi de penser", se répéta-t-elle. "Notre départ, je<br />
l'organiserai très chic, très discret; mon principe est de causer le minimum de bruit et de<br />
chagrin.... C'est encore le Midi qui au printemps nous plaira le mieux. Si je ne consultais<br />
que moi, j'aimerais mieux rester ici, tout tranquillement. Mais la mère Peloux, mais<br />
madame Peloux fils...." L'image d'une jeune femme en costume de nuit, anxieuse et<br />
debout près d'une fenêtre, ne retint Léa que le temps de hausser l'épaule avec une froide<br />
équité : "Ça, je n'y peux rien. Ce qui fait le bonheur des uns...."<br />
La tête soyeuse et noire bougea sur son sein, et l'amant endormi se plaignit en rêve. D'un<br />
bras farouche Léa le protégea contre le mauvais songe, et le berça afin qu'il demeurât<br />
longtemps--sans yeux, sans souvenirs et sans desseins,--ressemblant au "nourrisson