The Project Gutenberg EBook of Cheri, by Colette Copyright ... - Umnet
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l'amusèrent, après le déjeuner, et elle accueillit avec une courte joie un coup de téléphone<br />
de la baronne de la Berche, puis un autre de Spéleïeff, son ancien amant, le beau<br />
maquignon, qui l'avait vue passer la veille et <strong>of</strong>frit de lui vendre une paire de chevaux.<br />
Il y eut ensuite une longue heure de silence total à faire peur.<br />
"Voyons, voyons...."<br />
Elle marchait, les mains aux hanches, suivie par la traîne magnifique d'une grande chape<br />
brodée d'or et de roses qui laissait ses bras nus.<br />
"Voyons, voyons... tâchons de nous rendre compte. Ce n'est pas au moment où ce gosse<br />
ne me tient plus au coeur que je vais me laisser démoraliser. Il y a six mois que je vis<br />
seule. Dans le Midi, je m'en tirais très bien. D'abord, je changeais de place. Et ces<br />
relations de Riviera ou des Pyrénées avaient du bon, leur départ me laissait une telle<br />
impression de fraîcheur.... Des cataplasmes d'amidon sut une brûlure : ça ne guérit pas,<br />
mais ça soulage à condition de les renouveler tout le temps. Mes six mois de<br />
déplacements, c'est l'histoire de l'horrible Sarah Cohen, qui a épousé un monstre :<br />
"Chaque fois que je le regarde, dit-elle, je crois que je suis jolie."<br />
"Mais avant ces six mois-là, je savais ce que c'était que de vivre seule. Comment est-ce<br />
que j'ai vécu, après que j'ai quitté Spéleïeff, par exemple? Ah oui, on s'est baladés ferme<br />
dans des bars et des bistrots avec Patron, et tout de suite j'ai eu Chéri. Mais avant<br />
Spéleïeff, le petit Lequellec m'a été arraché par sa famille qui le mariait... pauvre petit,<br />
ses beaux yeux pleins de larmes.... Après lui, je suis restée seule quatre mois, je me<br />
rappelle. Le premier mois, j'ai bien pleuré! Ah! non, c'est pour Bacciocchi que j'ai tant<br />
pleuré. Mais quand j'ai eu fini de pleurer, on ne pouvait plus me tenir tant j'étais contente<br />
d'être seule. Oui! Mais à l'époque de Bacciocchi j'avais vingt-huit ans, et trente après<br />
Lequellec, et entre eux, j'ai connu... peu importe. Après Spéleïeff, j'étais dégoûtée de tant<br />
d'argent mal dépensé. Tandis qu'après Chéri, j'ai... j'ai cinquante ans, et j'ai commis<br />
l'imprudence de le garder sept ans."<br />
Elle fronça le front, s'enlaidit par une moue maussade.<br />
"C'est bien fait pour moi, on ne garde pas un amant sept ans à mon âge. Sept ans! Il m'a<br />
gâché ce qui restait de moi. De ces sept ans-là, je pouvais tirer deux ou trois petits<br />
bonheurs si commodes, au lieu d'un grand regret.... Une liaison de sept ans, c'est comme<br />
de suivre un mari aux colonies : quand on en revient, personne ne vous reconnaît et on ne<br />
sait plus porter la toilette."<br />
Pour ménager ses forces, elle sonna Rose et rangea avec elle la petite armoire aux<br />
dentelles. La nuit vint, qui fit éclore les lampes et rappela Rose aux soins de la maison.<br />
"Demain, se dit Léa, je demande l'auto et je file visiter le haras normand de Spéleïeff.<br />
J'emmène la mère La Berche si elle veut, ça lui évoquera ses anciens équipages. Et, ma<br />
foi, si le cadet Spéleïeff me fait de l'oeil, je ne dis pas que...."<br />
Elle se donna la peine de sourire d'un air mystérieux et tentateur, pour abuser les<br />
fantômes qui pouvaient errer autour de la coiffeuse et du lit formidable qui brillait dans<br />
l'ombre. Mais elle se sentait toute froide, et pleine de mépris pour la volupté d'autrui.<br />
Son dîner de poisson fin et de pâtisseries fut une récréation. Elle remplaça le bordeaux<br />
par un champagne sec et fredonna en quittant la table. Onze heures la surprirent comme<br />
elle mesurait, avec une canne, la largeur des panneaux entre-fenêtres de sa chambre, où<br />
elle projetait de remplacer tous les grands miroirs par des toiles anciennes, peintes de<br />
fleurs et de balustres. Elle bâilla, se gratta la tête et sonna pour sa toilette de nuit. Pendant<br />
que Rose lui enlevait ses longs bas de soie, Léa considérait sa journée vaincue, effeuillée