The Project Gutenberg EBook of Cheri, by Colette Copyright ... - Umnet
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"Tu ris?"<br />
Il se mit debout devant elle et lui renversa la tête, d'une main qu'il lui posa sur le front.<br />
"Tu ris? Tu te moques de moi? Tu as.... Tu as un amant, toi? Tu as quelqu'un?"<br />
Il se penchait à mesure qu'il parlait et lui collait la nuque sur le dossier de la chaise<br />
longue. Elle sentit sur ses paupières le souffle d'une bouche injurieuse, et ne fit pas<br />
d'effort pour se délivrer de la main qui froissait son front et ses cheveux.<br />
"Ose donc le dire, que tu as un amant!"<br />
Elle battit des paupières, éblouie par l'approche du visage éclatant qui descendait sur elle,<br />
et dit enfin d'une voix sourde :<br />
"Non. Je n'ai pas d'amant. Je t'aime...."<br />
Il la lâcha et commença de retirer son smoking, son gilet; sa cravate siffla dans l'air et<br />
s'enroula au cou d'un buste de Léa sur la cheminée. Cependant il ne s'écartait pas d'elle et<br />
la maintenait, genoux contre genoux, assise sur la chaise longue. Lorsqu'elle le vit<br />
demi-nu, elle lui demanda, presque tristement :<br />
"Tu veux donc?... Oui?..."<br />
Il ne répondit pas, absorbé par l'idée de son plaisir proche et le désir qu'il avait de la<br />
reprendre. Elle se soumit et servit son jeune amant en bonne maîtresse, attentive et grave.<br />
Cependant elle voyait avec une sorte de terreur approcher l'instant de sa propre défaite,<br />
elle endurait Chéri comme un supplice, le repoussait de ses mains sans force et le retenait<br />
entre ses genoux puissants. Enfin elle le saisit au bras, cria faiblement, et sombra dans cet<br />
abîme d'où l'amour remonte pâle, taciturne et plein du regret de la mort.<br />
Ils ne se délièrent pas, et nulle parole ne troubla le long silence où ils reprenaient vie. Le<br />
torse de Chéri avait glissé sur le flanc de Léa, et sa tête pendante reposait, les yeux clos,<br />
sur le drap, comme si on l'eût poignardé sur sa maîtresse. Elle, un peu détournée vers<br />
l'autre côté, portait presque tout le poids de ce corps qui ne la ménageait pas. Elle haletait<br />
tout bas, son bras gauche, écrasé, lui faisait mal, et Chéri sentait s'engourdir sa nuque,<br />
mais ils attendaient l'un et l'autre, dans une immobilité respectueuse, que la foudre<br />
décroissante du plaisir se fût éloignée d'eux.<br />
"Il dort", pensa Léa. Sa main libre tenait encore le poignet de Chéri, qu'elle serra<br />
doucement. Un genou, dont elle connaissait la forme rare, meurtrissait son genou. A la<br />
hauteur de son propre coeur, elle percevait le battement égal et étouffé d'un coeur. Tenace,<br />
actif, mélange de fleurs grasses et de bois exotiques, le parfum préféré de Chéri errait. "Il<br />
est là", se dit Léa. Et une sécurité aveugle la baigna toute. "Il est là pour toujours",<br />
s'écria-t-elle intérieurement. Sa prudence avisée, le bon sens souriant qui avaient guidé sa<br />
vie, les hésitations humiliées de son âge mûr, puis ses renoncements, tout recula et<br />
s'évanouit devant la brutalité présomptueuse de l'amour. "Il est là! Laissant sa maison, sa<br />
petite femme niaise et jolie, il est revenu, il m'est revenu! Qui pourrait me l'enlever?<br />
Maintenant, maintenant je vais organiser notre existence.... Il ne sait pas toujours ce qu'il<br />
veut, mais moi je le sais. Un départ sera sans doute nécessaire. Nous ne nous cachons pas,<br />
mais nous cherchons la tranquillité.... Et puis il me faut le loisir de le regarder. Je n'ai pas<br />
dû le bien regarder, au temps où je ne savais pas que je l'aimais. Il me faut un pays où<br />
nous aurons assez de place pour ses caprices et mes volontés.... Moi, je penserai pour<br />
nous deux,--à lui le sommeil...."<br />
Comme elle dégageait avec précaution son bras gauche fourmillant et douloureux et sou<br />
épaule que l'immobilité ankylosait, elle regarda le visage détourné de Chéri, et elle vit<br />
qu'il ne dormait pas. Le blanc de son oeil brillait, et la petite aile noire de ses cils battait