26.06.2013 Views

Catalogue des personnages de l'œuvre filmique de Jean Renoir ...

Catalogue des personnages de l'œuvre filmique de Jean Renoir ...

Catalogue des personnages de l'œuvre filmique de Jean Renoir ...

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

Tous ses gestes sont calculés dans l’intention <strong>de</strong> séduire et <strong>de</strong> mettre en valeur ses charmes.<br />

Nana n’est jamais elle-même, elle crée sans cesse <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>personnages</strong>. Sa vulgarité est sans aucun<br />

doute le résultat d’un manque d’éducation, mais elle signale aussi une forme <strong>de</strong> soumission à<br />

un ordre naturel non socialisé qui la fait recevoir ses admirateurs en déshabillé dans sa loge à<br />

côté d’une cuvette remplie d’eau souillée.<br />

Elle est tour à tour femme, histrionne, semi-mondaine et fait passer sur son visage tous les<br />

sentiments sans souci <strong>de</strong> moralité. Elle est successivement vénale, intéressée, jalouse,<br />

hypocrite, amoureuse, sentiments qu’elle traduit par une gestuelle et <strong><strong>de</strong>s</strong> mimiques exagérées.<br />

Sa vulgarité est une arme. Elle a une vertu hypnotique sur ses partenaires masculins, qui<br />

appartiennent tous à la société aristocratique <strong>de</strong> son temps. Peut-être faut-il voir dans son<br />

apparence vulgaire une parenté ontologique entre le « vulgus » qui renvoie à la double<br />

acception <strong>de</strong> populaire et <strong>de</strong> publique et la prostituée (celle qui se place <strong>de</strong>vant, qui s’expose<br />

aux yeux, qui va et vient – étymologie <strong>de</strong> péripatéticienne – vulgairement appelée fille publique).<br />

La clé serait donnée par une confi<strong>de</strong>nce <strong>de</strong> <strong>Renoir</strong> en 1969, avenue Frochot, à Roger Viry-<br />

Babel : « Je crois que les femmes se maquillent en <strong>de</strong>ux occasions, le théâtre et a prostitution… Mais c’est sans<br />

doute la même chose… si vous écrivez cela, prenez <strong><strong>de</strong>s</strong> précautions. » 5<br />

Il n’y a pas un personnage <strong>de</strong> Nana, il y a <strong>de</strong> multiples femmes qui transforment toutes les<br />

circonstances <strong>de</strong> la vie en spectacle. Dans son hôtel particulier où elle reçoit ses amants qui la<br />

couvrent <strong>de</strong> bijoux et <strong>de</strong> ca<strong>de</strong>aux, elle transforme chaque pièce <strong>de</strong> la maison en différentes<br />

scènes <strong>de</strong> théâtre en fonction <strong><strong>de</strong>s</strong> amants qui viennent au même moment. Avant d’entrer dans<br />

une pièce et d’affronter son public (l’amant en question), Nana se compose un visage, une<br />

personnalité et un physique différent : « Et Nana changeant <strong>de</strong> batteries prit une attitu<strong>de</strong> angélique »<br />

(carton du film).<br />

Et lorsque Muffat arrive à l’improviste, elle se recompose un rôle, celui <strong>de</strong> la femme<br />

scandalisée qu’on puisse douter <strong>de</strong> son honorabilité : « Est-ce qu’une honnête femme n’est pas toujours<br />

visible ? «<br />

Nana profite <strong>de</strong> ses amants, mais ce profit n’est-il pas dans le fond la seule possibilité pour elle<br />

d’acquérir une i<strong>de</strong>ntité multiple et changeante ? <strong>Renoir</strong> multiplie les dialogues sous forme <strong>de</strong><br />

cartons ce qui est peu courant dans un film muet. Sans doute faut-il y voir là un respect et une<br />

référence systématique au texte <strong>de</strong> Zola ? Mais le simple relevé <strong><strong>de</strong>s</strong> cartons permet aux<br />

spectateurs-lecteurs d’épuiser la complexité <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>personnages</strong>.<br />

“ »Espèce <strong>de</strong> panné, tu ne penses pas que je vais t’entretenir ! » (à Van<strong>de</strong>uvres qui la <strong>de</strong>man<strong>de</strong> en<br />

mariage)<br />

« Toi Bébé, on te tordrait le nez, il en sortirait du lait » (à Georges)<br />

« Ah zut ! L’oncle et le neveu et leur mistoufle, j’en ai soupé. »<br />

« Tu veux un bonbon... Fais le beau gros toutou... Couché. » (à Muffat)<br />

Lorsqu’elle est abandonnée, le <strong>de</strong>rnier échange avec Muffat clarifie la situation :<br />

« Et c’est à moi que tu viens faire <strong><strong>de</strong>s</strong> reproches, à moi qui ai le cœur sur la main !<br />

- Tu ne penses qu’au plaisir. Décidément tu es effrayante d’inconscience. Adieu Nana. »<br />

En fait, Nana appartient beaucoup plus à la catégorie <strong><strong>de</strong>s</strong> actrices qu’à celle <strong><strong>de</strong>s</strong> prostituées.<br />

<strong>Renoir</strong>, en transposant cinématographiquement le personnage <strong>de</strong> Zola annonce avec vingtcinq<br />

ans d’avance la constatation désabusée du Carrosse d’or : « Tu n’es pas faite pour ce qu’on<br />

appelle la vie… ta vraie place est ici sur la scène. »<br />

Seule restriction au personnage c’est que contrairement à Camilla, Nana est une bien piètre<br />

actrice.<br />

Catherine HESSLING :<br />

Se reporter à la fiche <strong>de</strong> Catherine dans le film Catherine, p. 7.<br />

5 <strong>Jean</strong> <strong>Renoir</strong>, Films/textes/références, éd. Presses Universitaires <strong>de</strong> Nancy, Nancy, 1989, p. 11.<br />

26

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!