26.06.2013 Views

Catalogue des personnages de l'œuvre filmique de Jean Renoir ...

Catalogue des personnages de l'œuvre filmique de Jean Renoir ...

Catalogue des personnages de l'œuvre filmique de Jean Renoir ...

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

Catherine est enfin heureuse. Il existe entre elles une vraie complicité. Madame Laisné se<br />

confie à elle : « Catherine, Monsieur Maurice est malheureux. Il est très mala<strong>de</strong>, je crains qu’il ne passe pas<br />

l’hiver.»<br />

Depuis son arrivée chez les Laisné, qu’elle soit assise ou <strong>de</strong>bout, la caméra <strong>de</strong> <strong>Renoir</strong> filme<br />

Catherine à hauteur d’homme. Les contre-plongées écrasantes ont disparu.<br />

Chez les Laisné dès qu’elle dispose d’un instant <strong>de</strong> répit, elle ouvre un livre. Son sourire<br />

enfantin et sa jolie frimousse redonnaient joie et sourire à Monsieur Mallet. Ils ont les mêmes<br />

vertus sur le cœur <strong>de</strong> Maurice. Mais ce sourire n’est plus celui d’une enfant mais celui d’une<br />

femme qui prend conscience <strong>de</strong> la détresse d’un homme : « Maurice voulut lui aussi vivre dans cette<br />

fausse mais exubérante gaieté <strong><strong>de</strong>s</strong> nuits <strong>de</strong> Carnaval. »<br />

C’est Catherine qui sera pour une nuit la complice <strong>de</strong> la fête. Le baiser que Maurice dépose<br />

sur ses cheveux (tout aussi innocent en apparence que celui <strong>de</strong> Monsieur Mallet) ne lui fait<br />

plus le même effet. Elle ferme les yeux, se serre un peu plus contre lui. Son regard <strong>de</strong> petite<br />

fille se transforme en regard <strong>de</strong> femme que le désir pousse vers son partenaire. La mort<br />

brutale <strong>de</strong> Maurice remet tout en question. La société bourgeoise lui « vole » sa détresse : « Assez<br />

<strong>de</strong> comédie, ma fille, ce chagrin est anormal et indécent. Vous allez partir immédiatement. »<br />

Catherine passe <strong>de</strong> Mallet et Maurice à Adolphe. Elle pourrait tomber dans la prostitution,<br />

mais elle conserve une sorte <strong>de</strong> pureté qui émeut même les plus durs : « T’es trop jeunette. Le bel<br />

Adolphe a pitié <strong>de</strong> toi. »<br />

Elle n’est pas quitte <strong>de</strong> la méchanceté <strong><strong>de</strong>s</strong> bourgeois pour autant. Aperçue par <strong><strong>de</strong>s</strong> bourgeoises<br />

en voiture dans le quartier mal famé <strong>de</strong> Nice, elle est poursuivie <strong>de</strong> nouveau par les calomnies<br />

« Voyez-vous ma chère cette “espèce...” avec un homme... dans un hôtel. »<br />

Elle est déplacée dans ce lieu <strong>de</strong> mauvaise vie. Elle se cache comme un animal traqué, à<br />

chaque apparition <strong>de</strong> l’homme, tourne comme une bête en cage : l’endroit est fermé, noir,<br />

sans issue et lorsqu’elle est dans la cage d’escalier, les barreaux <strong>de</strong> la rampe forment une sorte<br />

<strong>de</strong> prison symbolique sans échappatoire. Dans ce lieu elle paraît encore plus perdue, plus<br />

vulnérable. Avec sa petite natte, assise bien sagement sur le banc, Catherine ferait plutôt<br />

penser à une innocente écolière aux côtés <strong>de</strong> ces femmes <strong>de</strong> petite vertu qui se laissent<br />

embrasser et caresser par les hommes, dans la fumée, l’alcool, le jeu, les rires. Elle ne<br />

comprend pas les règles <strong>de</strong> ce mon<strong>de</strong> pas plus qu’elle ne comprenait “les règles du jeu” <strong>de</strong> la<br />

bourgeoisie. Catherine s’enfuit.<br />

Elle rencontre par hasard Monsieur Mallet, son bienfaiteur. Il la recueille et l’emploie comme<br />

secrétaire. Elle recouvre un équilibre grâce à la tendresse <strong>de</strong> Mallet, celle <strong>de</strong> Madame Laisné<br />

qu’elle a également retrouvée. Catherine a délaissé les vêtements sombres pour <strong>de</strong> jolies robes<br />

claires. Cela traduit son état d’esprit, elle est enfin heureuse.<br />

Cette présence est intolérable pour les bourgeois. Elle risque <strong>de</strong> compromettre la carrière<br />

politique <strong>de</strong> Mallet à la veille <strong><strong>de</strong>s</strong> élections. Son propre beau-frère prend la tête <strong>de</strong> la croisa<strong>de</strong><br />

moralisatrice : « Je consentirais à retirer ma candidature si Mallet rappelle ma sœur et chasse cette fille <strong>de</strong><br />

chez lui. La présence <strong>de</strong> Ma<strong>de</strong>moiselle Ferrand chez vous est un scandale pour notre ville. »<br />

Catherine s’enfuit <strong>de</strong> nouveau non sans expliquer par écrit sa décision : « J’ai pour vous trop <strong>de</strong><br />

reconnaissance et d’admiration pour être un obstacle à votre bonheur et à votre carrière politique. Je pars. Adieu.<br />

Catherine. »<br />

Elle pourrait <strong>de</strong>venir le propre maître <strong>de</strong> son <strong><strong>de</strong>s</strong>tin, elle pourrait avoir le pouvoir <strong>de</strong> choisir.<br />

Il faut l’artifice <strong>de</strong> la séquence finale – elle est prisonnière d’un tramway fou qui dévale <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

collines en l’entraînant vers la mort – pour qu’elle retrouve Monsieur Mallet qui lui sauve la<br />

vie et qui renonce à tout pour partir avec elle vers un happy end <strong>de</strong> circonstance : « Dans un<br />

sleeping, <strong>de</strong>ux êtres qui se comprennent partent loin ... très loin, pour le pays <strong>de</strong> l’oubli et <strong>de</strong> la tendresse. »<br />

Ce premier personnage renoirien, s’il emprunte certains traits à la Célestine du Journal d’une<br />

femme <strong>de</strong> chambre d’Octave Mirbeau, est un personnage <strong>de</strong> femme qui accomplit le trajet<br />

classique <strong>de</strong> la jeune servante à la femme libre, sans jamais perdre <strong>de</strong> son innocence, malgré<br />

les dangers et l’hypocrisie ambiants. C’est le premier personnage « catalyseur » <strong>de</strong> son œuvre.<br />

6

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!