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“Ecrire quand le réel est ignoble»<br />
Boris Cyrulnik est convaincu que l’homme peut sur monter<br />
les pires tragédies. La théorie de la «résilience» lui a valu<br />
la célébrité – et quelques inimitiés.<br />
La résilience est votre maître-mot:<br />
c’est la capacité que nous avons<br />
de rebondir après une épreuve, un<br />
malheur. Quel lien avec l’écriture?<br />
Quand je pense à la blessure qui<br />
m’est arrivée, c’est tellement<br />
intense que je suis déchiré, je ne<br />
peux plus comprendre, je suis<br />
hébété. Ou bien je reste dans cet<br />
état et dans ce cas je vais souffrir<br />
d’un syndrome psychotraumatique.<br />
Je ne parviens pas à inscrire la<br />
déchirure traumatique dans mon<br />
histoire, elle vit en moi comme si<br />
c’était aujourd’hui.<br />
Les gens disent : «J’y pense tout le<br />
temps ; tout me la rappelle ; des<br />
flashs d’images me reviennent ;<br />
et la nuit quand je m’endors, des<br />
cauchemars mettent en scène<br />
l’horreur que j’ai vécue». Si je reste<br />
dans cet état, la vie va perdre son<br />
goût, je vais être prisonnier de<br />
l’horreur. Je ne peux plus faire de<br />
projet, je ne peux plus établir de<br />
relation, je n’ai plus la distance qui<br />
m’offre la légèreté de vivre avec des<br />
amis et des gens que j’aime.<br />
53<br />
«La résilience, ce n’est pas<br />
une théorie de l’espoir, c’est<br />
une théorie de la bagarre<br />
Pour reprendre possession de<br />
mon monde intime, je peux parler<br />
à quelqu’un. Mais dans un premier<br />
temps, l’hébétude m’empêche de<br />
parler. Ce que j’ai à dire, l’émotion<br />
m’empêche de le dire ; et vous, les<br />
«normopathes», les gens anormalement<br />
normaux, ce que j’essaie de<br />
vous faire entendre, vous ne pouvez<br />
pas l’entendre parce que cela sort<br />
de votre entendement. Vous avez<br />
mille manières de me faire taire : ou<br />
bien vous ne me croyez pas; ou bien<br />
vous avez une gourmandise sadique<br />
de ce qui m’est arrivé ; ou bien vous<br />
me comprenez de travers, vous<br />
me posez des questions qui me<br />
paraissent absurdes ; ou bien vous<br />
avez pitié de moi et vous me dites<br />
: «Avec ce qui t’est arrivé, tu ne<br />
pourras jamais t’en remettre» ; j’en<br />
conclus que ce n’est pas la peine de<br />
vous parler.