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Mais il ya des gens qui sont formés<br />
pour entendre…<br />
C’est exact. Mais on ne peut pas<br />
faire parler les gens immédiatement<br />
après un traumatisme.<br />
Certains le veulent, mais la majorité<br />
ne le veut pas. Ils sont recroquevillés<br />
sur la douleur et ils parleront<br />
plus tard. C’est là qu’intervient<br />
l’écriture. Si j’écris, je m’adresse au<br />
lecteur parfait à l’ami invisible, celui<br />
qui va comprendre. Je vais donc<br />
faire l’effort de me représenter ce<br />
qui m’est arrivé. Avec ma main,<br />
qui m’oblige à une certaine lenteur<br />
– comme disait Sartre, on ne pense<br />
pas de la même manière avec<br />
la main que quand on parle - , je<br />
vais chercher, dans mon passé,<br />
à me représenter des images de<br />
l’horreur de la blessure, je vais<br />
chercher les mots pour le dire, les<br />
agencer pour en faire une représentation,<br />
un roman, un essai, un<br />
témoignage, un discours politique<br />
… que je vais adresser à cet ami<br />
invisible. Ce travail de la main, de<br />
la pensée écrite me permet, petit<br />
à petit, de donner à mon monde<br />
bousculé par le traumatisme une<br />
forme cohérente. Ainsi, je reprends<br />
progressivement possession de<br />
mon monde.<br />
Il s’agit donc de se libérer de son<br />
passé horrible. Quels sont les<br />
facteurs de résilience ?<br />
54<br />
Enfant, j’ai, autour de moi, ma<br />
mère, mon père, ma famille, l’école,<br />
la culture … et je me développe le<br />
mieux que je peux le long de ces<br />
«tuteurs de développement». Quand<br />
certains «tuteurs» ont été cassés<br />
par un traumatisme – la guerre,<br />
l’agression sexuelle, la maltraitance,<br />
la misère, la mort de la mère… -,<br />
tout une partie de mon psychisme<br />
s’éteint ; il y a une escarre, une<br />
mort partielle à l’origine de mon<br />
psychique. Tous les patients qui ont<br />
été traumatisés, disent : «J’ai été<br />
mort». Et quand ils commencent un<br />
processus de résilience, ils disent :<br />
«Je sens que je reviens à la vie» ou<br />
«La vie revient en moi». Après un<br />
traumatisme, je suis contraint de<br />
me développer avec ce qui reste de<br />
vivant en moi : la rêverie, l’attirance<br />
vers l’autre, la sublimation, l’humour<br />
… Et tous ces mécanismes me<br />
permettent, comme l’écriture, de<br />
reprendre petit à petit possession<br />
de mon monde intime. C’est un<br />
facteur de résilience. Le fait d’être<br />
blessé me fait surinvestir l’école,<br />
l’amitié, la famille ou l’écriture, que<br />
je n’aurais peut-être pas investis si<br />
je n’avais pas été blessé.<br />
La résilience est donc le refus de la<br />
résignation à la fatalité du malheur<br />
– du genre : «Tu as été maltraité,<br />
tu seras un parent maltraitant».<br />
Mot à mot.