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En définissant trop brièvement la<br />
résilience comme la capacité de<br />
rebondir, j’ai sans doute commis<br />
un contresens …<br />
Ce n’est pas un rebond. On<br />
surinvestit d’autres lignes de développement,<br />
d’autres «tuteurs de<br />
développement». On reprend un<br />
développement humain qui n’est<br />
pas le développement qu’on aurait<br />
connu si on n’avait pas été blessé.<br />
La résilience, c’est une couture : je<br />
recouds tant bien que mal ce que<br />
le traumatisme a déchiré en moi.<br />
Certaines coutures sont excellentes,<br />
la plupart sont correctes et<br />
certaines sont mauvaises – là, il n’y<br />
a pas de résilience.<br />
La résilience, c’est finalement une<br />
théorie de l’espoir, non ?<br />
Lors d’une réunion de travail,<br />
quelqu’un a dit, comme vous : «La<br />
résilience, c’est une théorie de<br />
l’espoir». Et un gars qui apportait à<br />
boire, est intervenu tout d’un coup :<br />
«Non, pas du tout, c’est une théorie<br />
de la bagarre. Je sais de quoi je<br />
parle».<br />
Est-ce une force qu’on a en soi<br />
ou une force que les autres nous<br />
donnent ?<br />
Votre formulation est typiquement<br />
occidentale, vous distinguez entre<br />
l’intérieur et l’extérieur, entre l’inné<br />
et l’acquis … Les théories de la<br />
résilience essaient de ne pas raisonner<br />
comme cela. Je répondrai<br />
55<br />
à votre question en trois temps:<br />
un, l’acquisition des ressources<br />
internes ; deux, la signification du<br />
traumatisme ; et trois, la disposition<br />
des ressources externes.<br />
Il y a une force en soi, une ressource<br />
interne qui est imprégnée par les<br />
autres. Si un bébé est abandonné,<br />
il n’a pas de force en lui-même,<br />
alors qu’il est biologiquement sain.<br />
Et s’il n’y a pas un autre autour de<br />
lui, il n’acquerra pas de force en<br />
soi. Il a besoin d’un autre, avant<br />
la parole, dès ses premiers jours,<br />
pour acquérir cette force en soi. J’ai<br />
beaucoup travaillé avec les enfants<br />
abandonnés : s’il n’y a pas d’altérité<br />
autour d’un enfant aban-donné, il ne<br />
développe rien, il n’acquiert aucune<br />
ressource interne.<br />
Pour illustrer ce que j’appelle la<br />
signification du traumatisme, je<br />
prends toujours l’exemple de Tim<br />
Guénart, qui a notamment écrit<br />
«Plus fort que la haine» (Presses de<br />
la Renaissance – J’ai Lu). Il est une<br />
illustration de la résilience puisqu’il<br />
est plein d’amour alors qu’il en a<br />
incroyablement manqué. Enfant, il<br />
est invraisemblablement maltraité<br />
par ses parents ; il devient enfant<br />
des rues, à Paris : il est malheureux<br />
; il vole, se bagarre ; c’est<br />
un délinquant. Un jour, en plein<br />
désespoir, il s’assoit sur un banc et<br />
un clochard lui dit : Veux-tu que je<br />
te lise «Le Monde»? Et le clochard<br />
lui commente une escarmouche<br />
guerrière au Honduras. Le