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L'ENFER DU BAGNE 45<br />
et jouissait en prison comme maître artisan, d'une<br />
liberté relative. Ainsi, il semblait s'y trouver presque<br />
bien : il ne désirait pas d'aisances, il ne regrettait<br />
pas son ancien métier trop fatiguant de campagnard,<br />
il ne .pensait pas aux femmes. Toutes ses<br />
tendresses, il les réservait maintenant à un petit<br />
oiseau qu'il avait pu recueillir encore sans plumes,<br />
et qu'il avait élevé avec des soins d'affection infinis<br />
: une fauvette, que la bonhomie <strong>du</strong> directeur,<br />
surprise dans un moment opportun, n'avait pas su<br />
lui refuser. Pour défendre cette bestiole, maître Pa<br />
aurait tué un homme sans hésiter; pour elle, il<br />
trouvait des paroles tendres, des sourires affectueux,<br />
des caresses enfantines. Elle était devenue la seule,<br />
la grande joie de sa vie. Pour elle, il dépensait les<br />
quelques centimes dont i,l pouvait disposer, il acquérait<br />
<strong>du</strong> sucre, et, toujours préoccupé de la rendre<br />
heureuse, lui faisait une douce pâtée à base de jaune<br />
d'oeuf. Pour elle, également, il vivait les heures<br />
les plus tristes de sa misérable existence. Il suffisait,<br />
en effet, que le cher petit animal se montrât<br />
un jour moins éveillé, ou qu'il ne chantât pas, pour<br />
qu'aussitôt maître Pa fût tout inquiet à la seule<br />
pensée de le voir mourir.<br />
La tendresse de cet homme rude et violent pour<br />
ce pauvre oisillon, qui n'était que douceur et grâce<br />
naturelle, avait des nuances de bonté et de passion<br />
qu'un homme libre ne pourrait jamais imaginer,<br />
parce qu'incapable de les sentir. A peine maître<br />
Pa avait-il une heure de loisir, il peinait à attraper<br />
des mouches pour en nourrir sa petite Rici; puis,<br />
quand il l'avait rassasiée de choses friandes, il la<br />
berçait et la caressait, ramassée dans le creux de sa<br />
main, et l'endormait dans un pli de sa chemise,<br />
entre l'étoffe et la peau, avec une douceur infinie,<br />
sans ne jamais la négliger, sans ne jamais l'oublier.