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On croyait que
«Regards affligés...»
était le chef d'œuvre
de Pigalle, (e disque de
référence, (a pierre angulaire
d’un rock particulier,
nourri d’instruments traditionnels
et de guitares
grasses, il n’en est rien :
Pigalle a placé la barre
très haut et réussi un coup
de maître avec le tout nouveau
«Alors...», un disque
particulièrement sombre...
p a r B erth
Habituellement, dans chaque disque de Pigalle on
retrouve des rendez-vous réguliers dans différents
quartiers de Paris, là rien...
C ’est vrai, m ais que ce soit dans les disques
des Garçons Bouchers ou de Pigalle, on a souvent
aussi des allusions au vin, et là il n’y en a
pas. C’est en fait l’envie de ne pas recommencer
toujours la même chose.
On a l'impression, puisque les lieux ne sont plus du
tout définis, que tu te préoccupes beaucoup plus des
personnages que des lieux.
Quand j ’ai écrit «Sophie de Nantes», c’était
forcément à Nantes. Là, les personnages restent
proches de ce que je faisais avant, la perception
des choses est la même. Je cherche à
la fois à garder un langage, et en même temps
à ne pas utiliser toujours les mêmes termes et
les mêmes phrases.
L'humanité est une grande victime, tes personnages
ne se disent-ils pas finalement : «A quoi bon lutter,
puisqu'il n'y a pas d'espoir» ?
Oui m ais en même temps, le premier titre,
«Geindre», dit que se plaindre ne sert à rien.
Tout ça c ’est aussi une question d’âge, de recul
par rapport aux années qui passent. J ’ai pas
envie de jouer les éternels adolescents, je suis
un adulte, j’ai des enfants et je m'inquiète.
L'album s'appelle «A lors...», et la question
pourrait être : «Alors, que faire ?».
Néanmoins, tu dénonces une certaine apathie des
gens vis à vis de tout ça, je pense à la chanson «Faut
pas s'inquiéter».
C'est vrai que moi j'ai toujours eu, que ce soit
à Boucherie ou en général, une démarche non
pas militante, parce que le terme est un peu
trop précis, mais la volonté de dire : «Bougez-
vous». Je viens d’une famille très politisée,
mes grands-parents étaient des communistes
de la première heure, je reste dans une vision
assez sociale des choses.
Musicalement, tu appartiens à une tradition post-réa-
liste. Est-ce que la crise de la société a favorisé le
retour de cette tendance qui a connu ses heures de
gloire dans les années 30-50 ?
Je ne sais pas si ça a favorisé un retour à cette
tendance puisqu’on est, je crois, à peu près les
RENCONTRE
seuls à le faire. Mais c'est vrai que durant la
période d'avant guerre et qui a duré un peu
après guerre, la chanson réaliste, qui offrait
une vision au microscope de la vie quotidienne,
était souvent passionnante. Alors que les
paroles des chansons depuis les années 70
sont plus que nulles.
Est-ce que Pigalle aurait pu marcher dans les années
70 ou dans les années «fric» du début des années 80 ?
Je crois, parce que, qu’on le veuille ou non,
dans les périodes dites de grand bien-être, il y
avait quand même toute une partie de la
population qui ne vivait pas bien. Mais ça ne
correspond pas aussi seulement à des aspects
sociaux, il y a aussi des aspects psychologiques.
De qui te sens-tu proche actuellement, dans la chanson
ou dans le rock ?
Pas grand monde ; que ce soit au niveau groupe
ou au niveau maison de disques, on est
marginalisé ; marginalisé dans le bon sens du
terme, parce que Boucherie arrive à tenir le
coup par rapport à tous les labels qui ont coulé
ou qui ont été rachetés ou qui se sont vendus.
Quant aux Garçons Bouchers, Pigalle ou les
autres groupes de Boucherie, ça marche plutôt
moins pire que les autres. Il faut dire que le
marché du disque et le marché
des concerts se sont écroulés,
les gens n’ont plus d'argent, les
m unicipalités et les associations
non plus. Il y a bien sûr
des cas particuliers. Par
exemple, je suis assez admiratif
qu’un groupe com m e Noir
Désir, qui n'est pas un groupe
commercial, marche à ce point
et vende autant de disques.
Malheureusement, c ’est un cas
exceptionnel. Sinon, systématiquement
il y a une forme de
démagogie, de compromission.
On assiste aussi souvent à la
copie conforme de tout ce qui
est américain ; le mec quand il
chante en français, c'est avec
un mauvais accent américain,
et quand tu l’entends parler il a
l’accent du Berry, c ’est grave.
Comment travailles-tu ? J'ai cru
comprendre que tu composais avec
des machines, à l'ordinateur.
A l’époque des Garçons Bouchers,
on a été parmi les premiers
avec les Béruriers Noirs à
travailler avec des boîtes à
rythmes. Les premiers à travailler
en même temps avec
des machines et avec de l'accordéon.
Ce qui m’intéresse,
c'est le mélange des sampling,
des sons saturés, ou des vieux
sons analogiques de synthés,
tous ces trucs un peu bizarres...
... Alors qu’on a de Pigalle l’image
d'un groupe essentiellement préoccupé
par l'apport d'instruments traditionnels...
La technologie va dans ce sens.
On peut maintenant rentrer de
façon acoustique les instruments
et la voix dans l’ordinateur.
On peut alors mieux se
m
j p
rendre compte comment sonne un instrument
par rapport à des instruments synthétiques.
On peut de plus en plus faire de vrais cocktails
de sons naturels et de sons trafiqués. Je trouve
ça passionnant. Et moi j'ai un avantage :
j'ai commencé par le folk et comme tout de
suite, dès d’arrivée de la technologie, ça m ’a
intéressé, je mélange les genres plutôt bien. Le
problème, c ’est par exemple le roi de la technologie
qui va vouloir faire de la mandoline, il
va avoir du m al. Llinverse est valable aussi. Il
faut avoir un certain nombre d’années de pratique.
De combien d'instruments joues-tu ?
Sur scène, j'en joue à peu près une dizaine,
sinon en tout, j’en joue à peu près vingt cinq.
Tu en apprends de nouveaux, tu en découvres
d'autres ?
Ca commence à se tasser ; il n'y a qu'un instrument
que j'ai essayé mais que j ’ai abandonné,
c’est le bandonéon, un instrument de
tango. Ca ressemble à l’accordéon mais c ’est
pas du tout la même technique. J ’en ai deux
magnifiques que j ’ai achetés aux Etats Unis,
m ais je ne sais pas pourquoi, j’arrive pas à en
jouer. _
i p r
Fr.ciin(Ç'0)ÎS’HI/\D)Ji(-!LÀ\ZAR(0) • photo .* Antoine Giacomoni
Hiver 97 [ Q