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LVR : Étiez-vous rebel<strong>le</strong> ?<br />

PL : Je n'aimais pas qu'on me dise quoi<br />

faire. Mais rebel<strong>le</strong>, non. Plutôt très gaie,<br />

indép<strong>en</strong>dante, solitaire... et je n'ai jamais<br />

s<strong>en</strong>ti <strong>le</strong> besoin de plaire, pour obt<strong>en</strong>ir des<br />

choses par exemp<strong>le</strong>. Je ne sais pas pourquoi.<br />

Mais je sais que j'étais beaucoup<br />

aimée. Pas tel<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t par mon père, mais par<br />

ma mère et par <strong>le</strong>s amis de la famil<strong>le</strong>.<br />

LVR : Vous êtes d'une famil<strong>le</strong> juive, est-ce que<br />

la religion était importante ?<br />

PL : Non. c'était plutôt une tradition. Mon<br />

père trouvait important, pour être civilisé,<br />

d'appart<strong>en</strong>ir à des traditions. La famil<strong>le</strong> et la<br />

religion <strong>en</strong> étai<strong>en</strong>t de très fortes. Je p<strong>en</strong>se<br />

que deux choses ont marqué ma vie : une<br />

appart<strong>en</strong>ance à une longue histoire et une<br />

culture id<strong>en</strong>tifiab<strong>le</strong> On me racontait la<br />

sortie des Juifs d'Egypte et je me voyais<br />

dans cette continuité. L'autre message de la<br />

religion était: «You care about others.»<br />

Nous ne sommes pas seuls mais dans une<br />

communauté, d'où la notion de solidarité,<br />

de responsabilité socia<strong>le</strong>.<br />

_ n 1957, l'édifice Seagram est<br />

terminé, qualifié de «chefd'oeuvre<br />

dune beauté formel<strong>le</strong><br />

et fonctionnel<strong>le</strong>» par <strong>le</strong> New<br />

_ Yorker et... Phyllis Lambert a<br />

décidé d'être architecte. De ses<br />

quatre ans de travail avec Mies<br />

van der Rohe, el<strong>le</strong> gardera <strong>le</strong><br />

goût d'une architecture de la<br />

• sobriété, aux formes pures et<br />

rigoureuses.<br />

El<strong>le</strong> étudie donc l'architecture, d'abord à<br />

Ya<strong>le</strong>. puis à l'Illinois Institute of Technology,<br />

promotion 1963. Son premier gros<br />

projet sera <strong>en</strong>suite la construction à Montréal<br />

du C<strong>en</strong>tre Saidye Bronfman (du nom de<br />

sa mère), pour <strong>le</strong>quel el<strong>le</strong> recevra <strong>le</strong> prix<br />

Massey d'architecture <strong>en</strong> 1970. D'autres<br />

réalisations aux États-Unis et au Canada lui<br />

vaudront <strong>en</strong>core des prix prestigieux et. <strong>en</strong><br />

1981. la médail<strong>le</strong> du mérite de l'Ordre des<br />

architectes du Québec.<br />

Droguée de l'architecture depuis plus de<br />

20 ans. Phyllis Lambert <strong>en</strong> a cep<strong>en</strong>dant une<br />

conception assez inusitée. Ainsi, el<strong>le</strong> lit<br />

Roland Barthes et <strong>le</strong>s structuralistes : la<br />

sémantique dans l'histoire de l'art l'intéresse<br />

parce que «l'architecture n'est pas<br />

isolée des idées, nous ne sommes pas que<br />

des façonneurs sans p<strong>en</strong>sée...»<br />

«Je lis beaucoup <strong>en</strong> histoire de l'architecture,<br />

pour compr<strong>en</strong>dre la continuité des<br />

idées. Vous savez, <strong>en</strong> ce mom<strong>en</strong>t, il y a une<br />

crise <strong>en</strong> architecture. On revi<strong>en</strong>t <strong>en</strong> arrière<br />

pour se demander : qu'est-ce qu'on fait ?<br />

Quel<strong>le</strong> est la base de l'architecture ~> On est<br />

là. à fabriquer des élém<strong>en</strong>ts commerciaux<br />

mais y a-t-il plus que ça 7 Je p<strong>en</strong>se que oui.<br />

C'est pourquoi <strong>le</strong>s philosophes et <strong>le</strong>s histori<strong>en</strong>s<br />

m'intéress<strong>en</strong>t. J'ai découvert Michel<br />

Foucault, par exemp<strong>le</strong>, avant qu'il ne devi<strong>en</strong>ne<br />

la rage des architectes. Mais je lis<br />

aussi Italo Calvino. c'est magnifique, et<br />

LA VIE EN ROSE<br />

Michel Tremblay. Quand j'ai donné un<br />

cours <strong>en</strong> urbanisme, j'ai même demandé<br />

aux étudiants de comparer la perception<br />

des quartiers dans Michel Tremblay (La<br />

Grosse Femme) et Gabriel<strong>le</strong> Roy (Bonheur<br />

d'occasion) !»<br />

LVR : Vous considérez-vous comme une intel<strong>le</strong>ctuel<strong>le</strong><br />

-il y a une forte part de réf<strong>le</strong>xion chez<br />

vous - ou une femme d'action ?<br />

PL : Comm<strong>en</strong>t peut-on agir sans se poser la<br />

question du s<strong>en</strong>s de ce qu'on fait 7 Mais<br />

intel<strong>le</strong>ctuel<strong>le</strong> ~> Je ne sais pas. Einstein <strong>en</strong><br />

était un... Moi. j'aime trop l'action : je ne<br />

pourrais pas rester dans une chambre à lire<br />

et à écrire tout <strong>le</strong> temps. Même si j'aime<br />

beaucoup écrire... sur l'architecture, uniquem<strong>en</strong>t.<br />

LVR : Jamais de fiction ?<br />

PL : Pourquoi la fiction ?<br />

LVR : (Anne-Marie) Parce que moi, j'<strong>en</strong> fais !<br />

PL : Mais vous ne faites pas d'architecture<br />

! ! !<br />

LVR : P<strong>en</strong>sez-vous que vous êtes quelqu'un de<br />

moderne ?<br />

PL : Qu'est-ce que ça veut dire "> Je ne suis<br />

pas rétro, je ne vis pas dans <strong>le</strong> passé Je me<br />

souvi<strong>en</strong>s d'avoir parlé à quelqu'un qui ne<br />

savait pas si <strong>le</strong>s Romains étai<strong>en</strong>t v<strong>en</strong>us<br />

avant ou après <strong>le</strong>s Égypti<strong>en</strong>s. Je lui ai dit :<br />

«Mais comm<strong>en</strong>t pouvez-vous ne pas savoir<br />

ça, vivre sans <strong>le</strong> savoir, sans voir la suite des<br />

choses, et où l'on s'inscrit dans la vie ?» Cet<br />

homme de 60 ans m'a répondu : «J'ai vécu<br />

très bi<strong>en</strong> sans savoir ça.» Pour moi, c'est<br />

une image.<br />

Évidemm<strong>en</strong>t, on est moderne, dans la<br />

mesure où l'on se débat avec la vie. <strong>en</strong><br />

architecture par exemp<strong>le</strong>. P<strong>en</strong>dant l'<strong>en</strong>tredeux<br />

guerres, on a essayé de casser avec <strong>le</strong><br />

passé, et là, c'était du modernisme. Mais<br />

cela a créé d'autres problèmes : est-ce<br />

qu'on avait rompu trop vite ?<br />

Dhyllis Lambert el<strong>le</strong>-même,<br />

depuis 15 ans, est passée «de<br />

la conception d'édifices modernes<br />

à la préservation du<br />

patrimoine urbain 2 ». Après<br />

avoir travaillé à New York, Chicago,<br />

Los Ange<strong>le</strong>s et Toronto,<br />

el<strong>le</strong> r<strong>en</strong>tre à Montréal <strong>en</strong> 1972,<br />

à la mort de son père, au mom<strong>en</strong>t<br />

où <strong>le</strong>s développeurs immobiliers<br />

démoliss<strong>en</strong>t de plus <strong>en</strong> plus de<br />

vieux édifices montréalais, comme la maison<br />

Van Horne, rue Sherbrooke. Des comités<br />

de citoy<strong>en</strong>s ont déjà comm<strong>en</strong>cé à réagir<br />

et Phyllis Lambert se joint à eux. El<strong>le</strong> devi<strong>en</strong>dra<br />

administratrice de Sauvons Montréal<br />

<strong>le</strong> regroupem<strong>en</strong>t de ces organismes, auquel<br />

on doit la survie et <strong>le</strong> classem<strong>en</strong>t historique<br />

de plusieurs vieux bâtim<strong>en</strong>ts.<br />

En 1975. el<strong>le</strong> fonde avec d'autres Héritage<br />

Montréal qu'el<strong>le</strong> présidera jusqu'<strong>en</strong> 1984,<br />

une fondation qui recueil<strong>le</strong> des fonds,<br />

finance <strong>le</strong>s groupes de pression et intervi<strong>en</strong>t<br />

auprès des promoteurs et des pouvoirs<br />

publics. El<strong>le</strong> sera aussi présid<strong>en</strong>te de<br />

18<br />

la Société du patrimoine urbain, coordonnatrice<br />

du projet coopératif de rénovation<br />

des 600 logem<strong>en</strong>ts de Milton Park. El<strong>le</strong><br />

créera <strong>le</strong> Groupe de recherche sur <strong>le</strong>s bâtim<strong>en</strong>ts<br />

<strong>en</strong> pierres grises de Montréal (une<br />

autre de ses vieil<strong>le</strong>s passions) et, <strong>en</strong> 1979, <strong>le</strong><br />

C<strong>en</strong>tre canadi<strong>en</strong> d'architecture.<br />

Celui-ci abritera bi<strong>en</strong>tôt, dans la vieil<strong>le</strong><br />

maison Saughnessy, sauvée el<strong>le</strong> aussi des<br />

démolisseurs, la plus grande col<strong>le</strong>ction de<br />

photos et de dessins d'architecture au<br />

monde. C'est <strong>le</strong> projet favori de Phyllis<br />

Lambert, qui veut aussi continuer d'interv<strong>en</strong>ir<br />

<strong>en</strong> préservation du patrimoine.<br />

«Si l'on pouvait faire c<strong>en</strong>t fois Milton<br />

Park, c<strong>en</strong>t fois McGill Collège... Les coopératives<br />

d'habitation, par exemp<strong>le</strong>, sont des<br />

initiatives importantes pour que <strong>le</strong>s citoy<strong>en</strong>s<br />

ai<strong>en</strong>t plus de contrô<strong>le</strong> sur <strong>le</strong>ur<br />

<strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t. Selon moi, ri<strong>en</strong> n'est plus<br />

horrib<strong>le</strong> que d'être soumis à un gouvernem<strong>en</strong>t,<br />

à une autorité extérieure, sans pouvoir<br />

élaborer son jugem<strong>en</strong>t soi-même et<br />

réagir. Si <strong>le</strong>s g<strong>en</strong>s sont abrutis et abîmés et<br />

que quelqu'un arrive de l'extérieur pour<br />

<strong>le</strong>ur dire de sortir de <strong>le</strong>ur maison, qu'on va<br />

élargir <strong>le</strong>ur rue, etc. là, ils sont <strong>en</strong> exil, puisqu'ils<br />

n'ont pas de contrô<strong>le</strong> sur <strong>le</strong>ur quartier,<br />

sur <strong>le</strong>ur vil<strong>le</strong>, donc sur <strong>le</strong>ur vie. Ce<br />

contrô<strong>le</strong> v<strong>en</strong>u de l'extérieur, je trouve ça<br />

abominab<strong>le</strong>.»<br />

LVR : Est-ce qu'un changem<strong>en</strong>t du pouvoir<br />

politique municipal changerait quelque chose ?<br />

PL : Je ne sais pas. Cette volonté politique<br />

de contrô<strong>le</strong>r n'est pas unique à la Vil<strong>le</strong> de<br />

Montréal. Dans <strong>le</strong>s arts aussi, toute notre<br />

énergie passe à combattre l'État, qui devrait<br />

plutôt nous stimu<strong>le</strong>r. Je me demande<br />

si on ne devi<strong>en</strong>t pas fasciste dans ce pays.<br />

Et je ne p<strong>en</strong>se pas au gouvernem<strong>en</strong>t du<br />

Québec, l'un des meil<strong>le</strong>urs au Canada.<br />

LVR : Cela ne vous donne pas <strong>en</strong>vie de faire de<br />

la politique, pour changer <strong>le</strong>s règ<strong>le</strong>s, comme on<br />

dif><br />

PL : C'est diffici<strong>le</strong>, si vous avez déjà une<br />

passion pour ce que vous faites. Parce que<br />

du mom<strong>en</strong>t où vous êtes au pouvoir, vous<br />

avez l'obligation d'écouter tout <strong>le</strong> monde et<br />

d'agir avec beaucoup de g<strong>en</strong>s, donc vous<br />

négligez ce que vous préférez. Et puis,<br />

j'aime bi<strong>en</strong> une société composée de<br />

groupes de pression.<br />

Je suis moi-même une «femme de pression»<br />

et j'adore ça, comme moy<strong>en</strong> d'influer<br />

sur <strong>le</strong>s gestes posés à Montréal. Aux États-<br />

Unis, <strong>le</strong> lobbying est vraim<strong>en</strong>t institutionnalisé,<br />

chaque compagnie a son lobbyiste.<br />

Ce qui n'est pas <strong>le</strong> cas au Québec, malheureusem<strong>en</strong>t...<br />

LVR : Selon vous, cela offre plus de chances de<br />

succès que <strong>le</strong> pouvoir lui-même ?<br />

PL : Si l'on veut pr<strong>en</strong>dre <strong>le</strong> pouvoir, il n'y a<br />

qu'un poste à chercher : celui de «boss».<br />

Sinon c'est trop diffici<strong>le</strong>. J'ai eu cette<br />

expéri<strong>en</strong>ce avec la Bi<strong>en</strong>na<strong>le</strong> des arts de la<br />

rue. J'avais un certain pouvoir mais je<br />

n'étais pas commissaire. Si je l'avais été,<br />

cela aurait marché.<br />

Suite à la page 59<br />

mars 1985

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