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mimpliquer ail<strong>le</strong>urs», raconte Sylvie Trudel,<br />

20 ans, étudiante à l'université <strong>en</strong><br />

sci<strong>en</strong>ces politiques.<br />

Féministes, <strong>le</strong>s fil<strong>le</strong>s de féministes "> Oui.<br />

Non. Je ne sais pas. Tout dép<strong>en</strong>d de <strong>le</strong>ur âge<br />

ou presque. Pour Emmanuel<strong>le</strong> et J<strong>en</strong>nifer,<br />

1 5 et 16 ans, <strong>le</strong> féminisme demeure <strong>en</strong>core<br />

abstrait, même si el<strong>le</strong>s convi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t que des<br />

luttes rest<strong>en</strong>t à m<strong>en</strong>er, qu'il «va toujours<br />

falloir un mouvem<strong>en</strong>t des femmes sinon on<br />

va recu<strong>le</strong>r». «Je n'ai pas à être féministe <strong>en</strong><br />

ce mom<strong>en</strong>t, lance Emmanuel<strong>le</strong> Berthou. Je<br />

sais que je vais lavoir, ma job de mécanici<strong>en</strong>ne<br />

sur un cargo. Je ne me s<strong>en</strong>s pas<br />

concernée par ce pour quoi <strong>le</strong>s féministes<br />

gueu<strong>le</strong>nt À l'éco<strong>le</strong>, on <strong>le</strong>ur réplique aux<br />

gars.»<br />

Étonnées<br />

Mais on ne relègue pas si faci<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t aux<br />

oubliettes l'héritage maternel. Pour Nathalie<br />

Jean la rebel<strong>le</strong>, qui a «<strong>en</strong>voyé prom<strong>en</strong>er<br />

tout ce que maman représ<strong>en</strong>tait» <strong>en</strong> arborant<br />

sa mini-jupe de cuir rouge et ses larges<br />

bouc<strong>le</strong>s d'oreil<strong>le</strong> dans <strong>le</strong>s corridors de<br />

l'Éco<strong>le</strong> d'architecture, <strong>le</strong> féminisme a frappé<br />

à la porte cet été quand, dans <strong>le</strong> cadre d'un<br />

emploi d'inspecteur <strong>en</strong> bâtim<strong>en</strong>t, el<strong>le</strong> a été<br />

confrontée à des «femmes à la maison qui<br />

ne lui faisai<strong>en</strong>t pas confiance parce qu'el<strong>le</strong><br />

était une femme dans une job d'homme».<br />

«Je ne compr<strong>en</strong>ais plus Ma mère s'était<br />

tel<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t battue. Je croyais que tout était<br />

réglé Je ne compr<strong>en</strong>ais pas comm<strong>en</strong>t ces<br />

femmes-là avai<strong>en</strong>t pu ne pas être exposées<br />

aux idées féministes. Je trouve <strong>en</strong>core<br />

qu'el<strong>le</strong>s ont été trop loin, ma mère pis sa<br />

gang, mais cet été, avec mes bonnes femmes,<br />

je ne manquais pas une occasion de<br />

<strong>le</strong>ur dire ce que <strong>le</strong>s femmes peuv<strong>en</strong>t faire. »<br />

Pour d'autres, comme Dominique Jean,<br />

23 ans. <strong>le</strong> choix du féminisme s'est refait au<br />

quotidi<strong>en</strong>, à mesure que «<strong>le</strong>s idées de<br />

maman, pourtant acceptées et partagées»,<br />

sont véritab<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t dev<strong>en</strong>ues <strong>le</strong>s si<strong>en</strong>nes.<br />

«Maint<strong>en</strong>ant, c'est mon choix,» raconte<br />

cel<strong>le</strong> qui, toute jeune, faisait des dessins<br />

pour ce qui allait être la voix du féminisme<br />

radical des années 70. <strong>le</strong> journal des Têtes<br />

de Pioche<br />

Outillées<br />

Mère féministe ou non. <strong>le</strong>s luttes à m<strong>en</strong>er<br />

d'ici l'an 2000 ne sont pas plus évid<strong>en</strong>tes '<br />

Bi<strong>en</strong> sûr, comme <strong>le</strong> rappel<strong>le</strong> Sylvie Trudel, il<br />

y a la légalisation de l'avortem<strong>en</strong>t, l'accès<br />

des femmes à de meil<strong>le</strong>urs emplois et de<br />

meil<strong>le</strong>urs salaires, «mais c'est <strong>en</strong> chemin,<br />

c'est inévitab<strong>le</strong>», semb<strong>le</strong>nt-el<strong>le</strong>s dire.<br />

Chose certaine, même peu <strong>en</strong>clines à<br />

participer à des luttes col<strong>le</strong>ctives, el<strong>le</strong>s se<br />

dis<strong>en</strong>t mieux outillées pour bâtir <strong>le</strong>ur destin,<br />

', plus int<strong>en</strong>ses, plus agressives lorsque vi<strong>en</strong>t<br />

; <strong>le</strong> mom<strong>en</strong>t de déf<strong>en</strong>dre <strong>le</strong>ur autonomie.<br />

«J'ai jamais p<strong>en</strong>sé que je pourrais dép<strong>en</strong>dre<br />

i d'un homme. Ça ne se négocie même pas.»<br />

I lance Dominique Jean.<br />

El<strong>le</strong>s sont d'ail<strong>le</strong>urs unanimes, <strong>le</strong>s fil<strong>le</strong>s<br />

mars 1985<br />

des féministes, sur la question de l'autonomie<br />

financière. «Mes bébel<strong>le</strong>s. mes sous,<br />

mon indép<strong>en</strong>dance économique.» comme<br />

<strong>le</strong> dit si bi<strong>en</strong> Dominique, bachelière <strong>en</strong><br />

histoire, «à 50-50 dans tout» avec l'homme<br />

qui partage sa vie. «C'est comme <strong>le</strong>s sept<br />

fil<strong>le</strong>s avec qui je travail<strong>le</strong> l'été comme guide<br />

au canal Lachine. Sept fil<strong>le</strong>s avec des<br />

destins très forts, qui ont des passions et <strong>le</strong><br />

courage de se donner ce qu'el<strong>le</strong>s veu<strong>le</strong>nt,<br />

qui ne sont pas des militantes féministes<br />

mais qui ne par<strong>le</strong>nt pas que de chums et de<br />

recettes »<br />

Admiratives<br />

La question de la «féminité» est toute <strong>en</strong><br />

mouvance chez ces femmes des années 80,<br />

auxquel<strong>le</strong>s <strong>le</strong>urs mères ont appris à changer<br />

l'hui<strong>le</strong> du moteur et à réparer <strong>le</strong>s fusib<strong>le</strong>s.<br />

«J'avais sept ans quand une femme avec la<br />

tête rasée est v<strong>en</strong>ue chez nous. J'ai dit à ma<br />

mère que j'étais pus capab<strong>le</strong>. Je trouvais ça<br />

épouvantab<strong>le</strong>», raconte J<strong>en</strong>nifer Al<strong>le</strong>yn.<br />

Quoique consci<strong>en</strong>tes des raisons de la<br />

révolte de <strong>le</strong>urs mères contre <strong>le</strong>s stéréotypes<br />

féminins de beauté et/ou d'élégance, el<strong>le</strong>s<br />

ne veu<strong>le</strong>nt pas être <strong>le</strong>s «féministes mal<br />

habillées, pas maquillées», mais plutôt<br />

el<strong>le</strong>s-mêmes, avec <strong>le</strong>ur s<strong>en</strong>sualité, <strong>le</strong>ur<br />

goût de se plaire à el<strong>le</strong>s-mêmes «Je me<br />

trouve souv<strong>en</strong>t plus ard<strong>en</strong>te, plus convaincue.<br />

Mais c'est diffici<strong>le</strong> de savoir si c'est<br />

moi ou si c'est parce que ma mère était<br />

féministe.» s'interroge Sylvie.<br />

Moi. El<strong>le</strong>. Diffici<strong>le</strong> de faire la différ<strong>en</strong>ce<br />

pour ces fil<strong>le</strong>s qui ont <strong>en</strong>tret<strong>en</strong>u et <strong>en</strong>treti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t<br />

<strong>en</strong>core avec <strong>le</strong>urs mères des rapports<br />

privilégiés. «J'ai toujours vu la différ<strong>en</strong>ce<br />

<strong>en</strong>tre el<strong>le</strong> et <strong>le</strong>s autres mères qui<br />

restai<strong>en</strong>t à la maison, raconte Sylvie. Ça me<br />

plaisait. Je m'<strong>en</strong> faisais même une fierté.»<br />

Plutôt admirées, <strong>le</strong>s mères, pour <strong>le</strong>ur autonomie,<br />

<strong>le</strong>ur audace, ce qu'el<strong>le</strong>s ont osé dire<br />

ou faire. «Des fois, j'ai des mini-jalousies,<br />

raconte doucem<strong>en</strong>t Dominique Jean, devant<br />

<strong>le</strong> monde qui se font faire de la bouffe<br />

par <strong>le</strong>ur mère, qui reçoiv<strong>en</strong>t des gâteaux<br />

faits à la maison. Bi<strong>en</strong> sûr, maman cousait<br />

nos boutons et el<strong>le</strong> a repassé ma jupe <strong>le</strong> jour<br />

de ma graduation, mais c'était pas une<br />

«vraie» mère Pourtant, jamais je dirai<br />

qu'el<strong>le</strong> s'est trompée. Je suppose qu'on<br />

pourrait dire que je marche sur ses traces.»<br />

Optimistes<br />

«Sur <strong>le</strong>s traces de <strong>le</strong>ur mère», ces femmes<br />

de moins de 25 ans march<strong>en</strong>t avec beaucoup<br />

d'optimisme, particulièrem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> ce<br />

qui a trait à <strong>le</strong>ur rapport avec <strong>le</strong>s hommes<br />

«Notre génération d'hommes est plus correcte,»<br />

dis<strong>en</strong>t-el<strong>le</strong>s à l'unisson «C'est<br />

important que je fasse att<strong>en</strong>tion à ne pas<br />

avoir <strong>le</strong>s mêmes attitudes que ma mère, qui<br />

a un background très différ<strong>en</strong>t Autour de<br />

moi. il y a des hommes intéressants,» explique<br />

Sylvie. Mais tout n'est pas <strong>en</strong>core<br />

gagné. «C'est aberrant. Si tu voyais <strong>le</strong><br />

nombre de mes amies qui se cherch<strong>en</strong>t un<br />

43<br />

homme pour la vie. s'indigne Nathalie.<br />

Pourtant ces fil<strong>le</strong>s-là ont planifié des super<br />

carrières. El<strong>le</strong>s ont des bourses pour al<strong>le</strong>r se<br />

perfectionner aux États-Unis mais el<strong>le</strong>s<br />

p<strong>en</strong>s<strong>en</strong>t à se caser ! Moi aussi, je veux être<br />

deux mais pas à tout prix.»<br />

Pour <strong>le</strong>s plus âgées, qui ont établi de<br />

solides relations de coup<strong>le</strong>s, la question<br />

des <strong>en</strong>fants ramène sur <strong>le</strong> tapis toute la<br />

différ<strong>en</strong>ce du «rapport au monde» qu'expérim<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t<br />

<strong>le</strong>s femmes. «C'est compliqué de<br />

réfléchir à ma vie avec des <strong>en</strong>fants Quel<br />

temps ça va me pr<strong>en</strong>dre 9 Est-ce que je<br />

handicape' mais projets"> La question<br />

revi<strong>en</strong>t beaucoup aux femmes, moins aux<br />

hommes qui dis<strong>en</strong>t souv<strong>en</strong>t «si ma blonde<br />

veut». Je ne sais pas <strong>en</strong>core quoi <strong>en</strong> faire.<br />

C'est un bug' que ma mère n'avait pas. El<strong>le</strong><br />

nous a eues C'est tout.»<br />

Autonomes<br />

Non. el<strong>le</strong>s ne sont pas des super-femmes,<br />

<strong>le</strong>s fil<strong>le</strong>s des féministes. Non, el<strong>le</strong>s n'ont<br />

pas lu tous <strong>le</strong>s classiques du féminisme qui<br />

traînai<strong>en</strong>t dans <strong>le</strong>s appartem<strong>en</strong>ts de <strong>le</strong>urs<br />

par<strong>en</strong>ts et n'ont pas <strong>en</strong> mémoire tous <strong>le</strong>s<br />

grands mom<strong>en</strong>ts du féminisme québécois.<br />

Et el<strong>le</strong>s ont <strong>en</strong>core toutes «peur dans la<br />

rue». «Il y a des conditions objectives qui<br />

n'ont pas changé : la vio<strong>le</strong>nce, <strong>le</strong> harcè<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t<br />

sexuel, l'insuffisance du réseau de<br />

garderies. Nous vivons dans ce contexte-là,<br />

réfléchit tout haut Dominique D'ail<strong>le</strong>urs<br />

plus j'avance, plus je trouve que <strong>le</strong>s problèmes<br />

sont profonds On a beau partager <strong>le</strong>s<br />

tâches domestiques, ça va plus loin, comme<br />

une façon différ<strong>en</strong>te d'être au monde.»<br />

Farouchem<strong>en</strong>t autonomes, porteuses<br />

d'un féminisme qui semb<strong>le</strong> délaisser <strong>le</strong>s<br />

luttes organisées pour investir avec assurance<br />

<strong>le</strong>s multip<strong>le</strong>s espaces de notre société,<br />

<strong>le</strong>s fil<strong>le</strong>s des féministes mèn<strong>en</strong>t cette vie<br />

qui, comme <strong>le</strong>urs mères <strong>le</strong> voulai<strong>en</strong>t, «ne<br />

serait plus ce qu'el<strong>le</strong> était» 1<br />

Derrière Dominique, la boulimique d'in<strong>format</strong>ion,<br />

«<strong>en</strong> 'break' de militance. <strong>en</strong> démarche<br />

personnel<strong>le</strong>» ; derrière Sylvie, qui<br />

dit ne plus s<strong>en</strong>tir <strong>en</strong> el<strong>le</strong> «ces re<strong>le</strong>nts de<br />

devoir-sacrifice» avec <strong>le</strong>squels se déf<strong>en</strong>d<br />

<strong>en</strong>core sa mère ; derrière Nathalie. Emmanuel<strong>le</strong>,<br />

J<strong>en</strong>nifer... il m'a semblé souv<strong>en</strong>t<br />

Suite à la page 58<br />

Caro<strong>le</strong> Beaulieu est journaliste au Devoir <strong>en</strong> plus<br />

de collaborer régulièrem<strong>en</strong>t à La Vie <strong>en</strong> rose<br />

1/ Le slogan «Québécoises debout<strong>le</strong> !». dev<strong>en</strong>u<br />

revue, a été lancé <strong>en</strong> 1971 par <strong>le</strong>s militantes du<br />

Front de libération des femmes (FLF).<br />

2/ L'Histoire des femmes au Québe< depuis quatre<br />

sièc<strong>le</strong>s Michè<strong>le</strong> Dumont. Marie I augne. Michè<strong>le</strong><br />

Jean et J<strong>en</strong>nifer Stoddart Coll Idëel<strong>le</strong>s. Éd.<br />

Quinze. 1982 Les auteures id<strong>en</strong>tifi<strong>en</strong>t <strong>le</strong>s années<br />

i haudes du féminisme .i la période 1965-<br />

1979<br />

3/ I rs Têtes de Pioche 1976-1979, réédité aux Êd<br />

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