fc* / s î«8
Nécessairem<strong>en</strong>t moralistes «Une féministe n'est pas nécessairem<strong>en</strong>t militante, mais el<strong>le</strong> est nécessairem<strong>en</strong>t moraliste. Il faut <strong>le</strong> savoir et il faut savoir <strong>le</strong> rev<strong>en</strong>diquer.» I ne vague odeur de moralisme», I dit-on. De quelque manière I I qu'on la formu<strong>le</strong>, la question I jM du moralisme féministe est I *'• dans l'air du temps - comme • ; /l une odeur, justem<strong>en</strong>t-depuis ••••^1 quelques années. Et il devi<strong>en</strong>t ^^L ^^H urg<strong>en</strong>t de lui donner une exis- ^^^fe^^^r '' P' us heures, nous décidions, pour m<strong>en</strong>er à bi<strong>en</strong> par Nancy Huston ce projet, de former des «groupes de travail». Aussitôt dit, aussitôt fait. Tel groupe Cette conviction peut être formulée à peu explorerait l'aspect historique de la ques- près comme suit : toute fil<strong>le</strong> et toute femme, tion, tel autre l'aspect philosophique, tel quel<strong>le</strong> que soit son appart<strong>en</strong>ance nationa<strong>le</strong>, autre l'aspect légal, et ainsi de suite. Très culturel<strong>le</strong>, racia<strong>le</strong>, etc. doit être respectée dans bi<strong>en</strong>. Mais - par une sorte de prémonition son intégrité et considérée comme la proprié- diffici<strong>le</strong> à expliquer- j'avais la certitude, à concrète. À travers taire exclusive de son corps Ce corps ne peut et la fin de cette soirée-là, que ce <strong>numéro</strong> ne ^^^^^^ oui. Mais des mots ne doit être ni v<strong>en</strong>du, ni acheté, ni échangé, ni verrait jamais <strong>le</strong> jour. qui ont du poids, et qui produis<strong>en</strong>t des battu ni mutilé, ni pénétré de force, ni obligé de C'était exact. La raison <strong>en</strong> était peut-être effets... Qu'on me permette de raconter une porter un <strong>en</strong>fant du seul fait de son apparte- l'état plus général du mouvem<strong>en</strong>t des fem- expéri<strong>en</strong>ce personnel<strong>le</strong> (et donc parinance au sexe féminin mes <strong>en</strong> France à ce mom<strong>en</strong>t-là : <strong>le</strong>s joursi<strong>en</strong>ne), parce qu'el<strong>le</strong> me semb<strong>le</strong> édifiante. naux et revues mourai<strong>en</strong>t comme des mou- En 1981, l'idée du féminisme comme Une idée <strong>en</strong> l'air ches, <strong>le</strong>s querel<strong>le</strong>s <strong>en</strong>tre groupes s'étai<strong>en</strong>t moralisme, à force de flotter dans l'air, com- Dit comme ça, ça paraissait simp<strong>le</strong>, et <strong>en</strong>v<strong>en</strong>imées... Peu importe; ce n'est pas m<strong>en</strong>ce à me trotter dans la tête. J'<strong>en</strong> par<strong>le</strong> même tout à fait déf<strong>en</strong>dab<strong>le</strong>. Fortes de ce mon propos ici. avec deux amies. La première, Leila Sebbar. premier cons<strong>en</strong>sus esquissé <strong>en</strong>tre nous, Le groupe auquel je m'étais associée, avait écrit un livre intitulé Le Pédophi<strong>le</strong> et la nous avons contacté d'autres amies et con- avec Leila et Anne-Marie, s'appelait «Fan- maman, paru peu après mon propre livre naissances, liées de près ou de loin au moutasmes alternatifs». L'idée <strong>en</strong> était que Jouer au papa et à l'amant; il se trouve que, vem<strong>en</strong>t des femmes, pour <strong>le</strong>ur demander si nous ne pouvions pas passer notre temps à toutes deux, nous dénoncions la pédophi- la question du «féminisme comme mora- dénoncer <strong>le</strong>s fantasmes phallocratiques si lie et que, toutes deux, nous avions été lisme» <strong>le</strong>s intéressait, el<strong>le</strong>s aussi. À notre nous n'avions ri<strong>en</strong> à «mettre à la place», traînées dans la boue par <strong>le</strong> pédophi<strong>le</strong>-star grand étonnem<strong>en</strong>t. el<strong>le</strong>s ont toutes répon- comme on dit. Ce groupe s'est réuni p<strong>en</strong>- de Paris. Gabriel Matzneff. dans <strong>le</strong> journal du que oui. C'était une idée dans l'air, dant un an et demi - longtemps après que homosexuel Le Gai Pied Matzneff filait une comme je vous ai dit. Alors, nous sommes l'idée même d'un <strong>numéro</strong> des Temps Moder- longue et pénib<strong>le</strong> métaphore sur nos mé- allées voir Simone de Beauvoir pour lui nes se fut volatilisée. À cinq ou six, nous thodes policières, nous traitant respective- proposer un <strong>numéro</strong> spécial des Temps nous voyions tous <strong>le</strong>s quinze jours ou tous m<strong>en</strong>t de «commissaire» Sebbar et d'«ins- Modernes consacré à ce thème. El<strong>le</strong> a immé- <strong>le</strong>s mois, et nous nous sommes vite r<strong>en</strong>du pecteur» Huston, sous prétexte que nous diatem<strong>en</strong>t compris l'<strong>en</strong>jeu de la question, compte que nous ne parlions pas du tout avions toutes deux émis des réserves à el<strong>le</strong> nous a écoutées att<strong>en</strong>tivem<strong>en</strong>t, mais des «fantasmes alternatifs». Nous parlions l'égard de la libération-des-<strong>en</strong>fants-grâce- pour <strong>le</strong> <strong>numéro</strong> spécial el<strong>le</strong> a dit : «Travail- des mêmes fantasmes que d'habitude - aux-rapports-sexuels-avec-des-adultes. La <strong>le</strong>z, écrivez, al<strong>le</strong>z-y, et nous v<strong>en</strong>ons après si phallocratiques. patriarcaux, aliénants -, deuxième amie, c'était Anne-Marie Dardi- la quantité et la qualité des textes <strong>le</strong> <strong>en</strong> essayant de compr<strong>en</strong>dre pourquoi cergna, auteure d'une remarquab<strong>le</strong> remise <strong>en</strong> justifi<strong>en</strong>t». El<strong>le</strong> avait raison d'être prutains d'<strong>en</strong>tre eux continuai<strong>en</strong>t de nous cause de 1 «érotisme noir» <strong>en</strong> littérature : d<strong>en</strong>te, comme vous al<strong>le</strong>z voir. fasciner Les Châteaux d'Éros Étape suivante : grande réunion dans À ce mom<strong>en</strong>t, nous sommes rev<strong>en</strong>ues au À trois, donc, nous avons discuté plu- mon studio de 25 mètres carrés ; nous «féminisme comme moralisme», mais par sieurs fois de ce «problème» du moralisme. étions une tr<strong>en</strong>taine <strong>en</strong>tassées là-dedans. un autre biais : nous nous apercevions que Et il nous est apparu clairem<strong>en</strong>t que <strong>le</strong>s Des femmes de plusieurs horizons diffé- ce g<strong>en</strong>re de discussion était plus ou moins prises de position féministes étai<strong>en</strong>t très r<strong>en</strong>ts : <strong>le</strong>s responsab<strong>le</strong>s de la chronique du tabou dans <strong>le</strong> mouvem<strong>en</strong>t des femmes, et souv<strong>en</strong>t, indiscutab<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t, moralistes. Pas «Sexisme ordinaire» des Temps Modernes. que nous nous étions souv<strong>en</strong>t autoc<strong>en</strong>su- moy<strong>en</strong> de <strong>le</strong> nier : condamner la pornogra- justem<strong>en</strong>t ; des histori<strong>en</strong>nes ; des écrirées afin de correspondre à limage idéa<strong>le</strong> phie, la prostitution, l'excision, lutter <strong>en</strong> vaines ; Simone Iff du Planning familial ; que nous avions de la «bonne» féministe. faveur de l'avortem<strong>en</strong>t ou pour la recon- plusieurs collaboratrices de la Revue d'<strong>en</strong> naissance du viol comme crime - tous ces face Discussion hou<strong>le</strong>use, passionnée, Nancy Huston est romancière et essayiste, efforts s'<strong>en</strong>racinai<strong>en</strong>t dans une seu<strong>le</strong> et désordonnée, foisonnante, comme dans auteure des Variations Goldberg (Seuil. 1981 ) et de unique conviction mora<strong>le</strong> qui. pour être <strong>le</strong>s bons vieux temps des débuts du mouve- Mosaïque de la pornographie (D<strong>en</strong>oël. 1982) Alber- implicite, n'<strong>en</strong> était pas moins exprimab<strong>le</strong>. m<strong>en</strong>t, dix ans plus tôt. Au bout de quelques taine d'origine, el<strong>le</strong> vit aujourd'hui à Paris mars 1985 49 LA VIE EN ROSE