Dossier documentaire et pédagogique du service éducatif

n'exclut pas les modulations «climatiques» propres au génie de Schubert (en particulier à la tierce),
confère à ces lieder une dimension humaine et poétique sans équivalence. Alors que La Belle
Meunière s'ouvre, une fois encore, sur le thème du voyage (Das Wandern) dans le style simpliste et
la méthode répétitive du volkslied, le Wanderers Nachtlied (n° 1) met remarquablement en valeur le
texte de Goethe, par une déclamation d'un naturel qui confond, tant le renoncement à tous les
artifices courants et à l'éloquence ne saurait trahir les moindres nuances du texte. Dans Le Voyage
d'hiver enfin (1827) le périple s'inscrit comme une fuite de l'amour déçu, où tout signe extérieur (la
girouette, les larmes glacées, le tilleul, le dégel, la poste...) ramène l'obsession, le souvenir qui ravive
la plaie. Dans ce dernier cheminement, il ne s'agit plus d'apprendre, mais de guetter la mort qui
approche —Schubert le sait, qui disparaîtra l'année ante. La solitude, si bénéfique au mûrissement et
à l'élévation de esprit, se monnaie ici en pleurs, avec les images navrantes de la corneille, de la chute
de la dernière feuille, de la tempête ou du poteau indicateur qui désigne le cimetière comme
l'enseigne de l'auberge prend la forme d'une couronne mortuaire. Ne restent plus que les trois soleils
noirs et la vielle mécanique et lugubre du ménétrier. Comment ne pas songer à l'Arbre aux corbeaux
ou à la Cabane en hiver de Friedrich, illustration exacte de la poésie de Wilhelm Müller et de la
musique de Schubert ?
Ainsi cette absolue sincérité qui veut que l'introspection soit menée jusqu'à son plus cruel
aboutissement, se révèle comme une des épreuves obligées sans lesquelles il n'est guère reconnu de
valeur à une œuvre. À ce jeu, les plus modestes apparaissent aujourd'hui comme les plus
appréciables, tant la postérité a opéré une impitoyable sélection entre mensonge (désespoir
«littéraire», boursouflures) et vérité (sentiment exprimé sans décorum, tact dans l'expression), un art
qui persiste à toucher en dépit des modes et du temps.
l'Arbre aux corbeaux
Caspar David Friedrich, 1822
Huile sur toile, 59 x 73 cm
Musée du Louvre, Paris
Service éducatif MCA /Jean Courtin / en résonance avec le Concert de Matthias GOERNE 57
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