dossier - La Ligue de l'Enseignement
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éducation<br />
Jean-Christophe <strong>de</strong> Biseau et José-Luis Wolfs, Faculté <strong>de</strong>s Sciences - ULB<br />
Bien que la théorie <strong>de</strong><br />
l’évolution soit considérée<br />
par la communauté<br />
scientifi que internationale<br />
comme l’une <strong>de</strong>s théories<br />
actuelles les plus soli<strong>de</strong>s<br />
et bien qu’elle constitue<br />
le fi l conducteur<br />
<strong>de</strong> toute la pensée<br />
biologique mo<strong>de</strong>rne, son<br />
enseignement rencontre<br />
encore d’importantes<br />
diffi cultés.<br />
150 ans après Darwin<br />
Les enjeux <strong>de</strong> l’enseignement <strong>de</strong><br />
l’évolution dans nos écoles<br />
Aux Etats-Unis, le créationnisme,<br />
qui se décline sous différentes<br />
formes, a encore <strong>de</strong> beaux<br />
jours <strong>de</strong>vant lui puisque 40% <strong>de</strong>s<br />
personnes interrogées en 2010<br />
considèrent que Dieu a créé<br />
l’être humain à peu près dans sa<br />
forme actuelle au cours <strong>de</strong>s 10<br />
000 <strong>de</strong>rnières années ! Ceux qui<br />
pensent que l’homme est le fruit<br />
d’une longue évolution naturelle<br />
qui ne nécessite pas l’intervention<br />
d’un Dieu atteignent péniblement<br />
16% (www.gallup.com). Les attaques<br />
créationnistes contre l’enseignement<br />
<strong>de</strong> l’évolution se sont<br />
succédées, le <strong>de</strong>rnier procès en<br />
la matière datant <strong>de</strong> 2005 (Picq,<br />
2007).<br />
En Europe, la situation est certes<br />
moins critique. Soulignons toutefois<br />
plusieurs attitu<strong>de</strong>s politiques<br />
récentes qui montrent que notre<br />
enseignement n’est pas à l’abri<br />
<strong>de</strong>s interventions anti-évolutionnistes.<br />
En 2004, le gouvernement<br />
italien <strong>de</strong> Berlusconi d’une part,<br />
et le ministre serbe <strong>de</strong> l’Education<br />
d’autre part, proposaient <strong>de</strong> supprimer<br />
l’enseignement <strong>de</strong> l’évolution<br />
biologique <strong>de</strong>s programmes<br />
scolaires. En 2006, le vice-ministre<br />
<strong>de</strong> l’Education polonais affirmait<br />
que l’évolution est un mensonge,<br />
tandis que, plus proche <strong>de</strong> nous,<br />
la ministre <strong>de</strong> l’Éducation <strong>de</strong>s<br />
Pays-Bas déclarait « intéressante »<br />
la théorie du <strong>de</strong>ssein intelligent, une<br />
version mo<strong>de</strong>rne <strong>de</strong> créationnisme<br />
qui admet l’évolution <strong>de</strong>s<br />
êtres vivants mais considère qu’il<br />
existe <strong>de</strong>s preuves scientifiques<br />
démontrant que cette évolution<br />
est dirigée par une intelligence<br />
supérieure.<br />
Une résolution contre les<br />
dérives<br />
Outre ces positions politiques<br />
pour le moins inquiétantes, l’événement<br />
qui a incontestablement<br />
cristallisé les craintes est la parution,<br />
en 2007, <strong>de</strong> l’Atlas <strong>de</strong> la création,<br />
rédigé par le fondamentaliste<br />
turc Harun Yahya, sa traduction<br />
en plus <strong>de</strong> 10 langues et sa distribution<br />
à grands frais dans <strong>de</strong><br />
nombreux établissements d’enseignement<br />
<strong>de</strong> divers pays européens.<br />
En réaction, le 4 octobre<br />
2007, le Conseil <strong>de</strong> l’Europe a<br />
adopté une résolution qui « s’oppose<br />
fermement à l’enseignement<br />
du créationnisme en tant que discipline<br />
scientifique… ». Cette résolution<br />
n’a toutefois été votée,<br />
après un parcours difficile au<br />
sein <strong>de</strong> l’Assemblée parlementaire,<br />
que par 48 voix « pour » et 25<br />
voix « contre »… dont une belge !<br />
Que le Conseil <strong>de</strong> l’Europe estime<br />
nécessaire <strong>de</strong> proposer une telle<br />
résolution témoigne d’une réelle<br />
crainte vis-à-vis d’une dérive <strong>de</strong><br />
notre enseignement. Qu’un tiers<br />
<strong>de</strong>s membres <strong>de</strong> ce Conseil vote<br />
contre cette résolution démontre<br />
par ailleurs très clairement<br />
que l’Europe est loin d’être à<br />
l’abri d’un retour du dogmatisme<br />
au sein même <strong>de</strong> nos cours<br />
<strong>de</strong> sciences.<br />
En Belgique, une première<br />
étu<strong>de</strong> menée à l’ULB a montré<br />
qu’un quart <strong>de</strong>s élèves et <strong>de</strong>s<br />
étudiants interrogés privilégiait<br />
l’explication créationniste <strong>de</strong><br />
l’origine <strong>de</strong> l’homme et que les<br />
convictions religieuses <strong>de</strong>s répondants<br />
semblaient influencer<br />
négativement leur compréhension,<br />
leur acceptation et leur<br />
opinion vis-à-vis <strong>de</strong> la théorie<br />
<strong>de</strong> l’évolution (Perbal et al.,<br />
2006). A la suite <strong>de</strong> ce travail,<br />
une équipe <strong>de</strong> l’ULB comprenant<br />
<strong>de</strong>s chercheurs en didactique<br />
<strong>de</strong> la biologie et en sciences<br />
<strong>de</strong> l’éducation a réalisé une<br />
étu<strong>de</strong> principalement centrée<br />
sur le secondaire supérieur.<br />
Cette recherche, financée par<br />
la Communauté française, avait<br />
pour objectifs d’analyser les difficultés<br />
<strong>de</strong>s élèves et <strong>de</strong>s enseignants<br />
vis-à-vis <strong>de</strong> l’évolution<br />
biologique et <strong>de</strong> développer <strong>de</strong>s<br />
outils pédagogiques permettant<br />
<strong>de</strong> répondre à ces difficultés.<br />
Globalement, ces difficultés<br />
peuvent avoir trois origines non<br />
exclusives : (1) incompréhension<br />
<strong>de</strong>s principaux concepts<br />
scientifiques <strong>de</strong> la théorie <strong>de</strong><br />
l’évolution, (2) maîtrise insuffisante<br />
<strong>de</strong> l’épistémologie <strong>de</strong>s<br />
sciences et (3) interférences<br />
avec les croyances religieuses<br />
<strong>de</strong>s élèves. Voyons brièvement<br />
les principales conclusions <strong>de</strong> la<br />
recherche concernant ces trois<br />
axes (Carette et al., 2010).<br />
n° 87 | février 2012 éduquer 15