14.02.2014 Views

LE LANGAGE EST-IL UN INSTINCT ? UNE CRITIQUE DU ... - Texto

LE LANGAGE EST-IL UN INSTINCT ? UNE CRITIQUE DU ... - Texto

LE LANGAGE EST-IL UN INSTINCT ? UNE CRITIQUE DU ... - Texto

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

<strong>Texto</strong>! octobre 2008, vol. XIII, n°4<br />

l’encontre du principe de semantic bootstrapping, auquel Pinker a eu recours par ailleurs pour<br />

expliquer le “décollage” de la syntaxe (voir la section E.1 ci-dessous). Rien n’empêcherait en effet<br />

de supposer que la structure en constituants est acquise à partir des cas sémantiquement “pleins”,<br />

et est calculée ensuite de façon distributionnelle.<br />

Du point de vue empirique, l’argument pose problème. L’objection la plus dirimante vient des<br />

études longitudinales. Selon ces études, il apparaît peu probable que les enfants appliquent<br />

immédiatement une règle d’inversion, que Crain et Nakayama supposent être innée. D’après les<br />

observations de Tomasello (2003 : 111 et 159), 30% des énoncés entendus par des enfants de<br />

deux ans sont des questions avec inversion et l’ordre SVO est minoritaire. Les enfants semblent<br />

acquérir l’inversion item par item : tel enfant emploiera systématiquement l’inversion avec how, et<br />

dira tout aussi systématiquement what she can…, what she will… Tout paraît suggérer que<br />

l’inversion est abstraite progressivement, par analogie (Tomasello 2003 : 163).<br />

Bref, en exploitant l’argument de la sélectivité, Pinker accepte l’hypothèse d’une génération<br />

incontrôlée des formes et des constructions, que seuls des principes syntaxiques innés viendraient<br />

restreindre. Pourtant, ses autres travaux illustrent une toute autre démarche. Ils soulignent<br />

l’importance des contraintes sémantiques dans l’acquisition des formes et des constructions (1979,<br />

1984 et 1989). Apparemment, dans The Language Instinct, Pinker entend faire flèche de tout bois,<br />

quitte à s’éloigner de sa propre vision de l’acquisition.<br />

D.3 L’argument de la sous-exposition<br />

Cet argument fait appel à plusieurs types de preuves : celles qu’on trouve chez Chomsky, et que<br />

nous avons déjà examinées. Mais aussi celles qui proviennent de cas d’acquisition d’une langue<br />

dans des conditions de sous-exposition forte. Ces derniers cas visent à convaincre le sceptique,<br />

que les arguments fondés sur l’apprentissage “normal” auraient pu laisser de marbre.<br />

D.3.1 L’argument des cultures taciturnes<br />

L’affirmation par Chomsky que l’input dont dispose l’enfant est dégénéré et ne peut expliquer<br />

l’acquisition a suscité en réaction une vague d’études qui se sont employées à la mettre à<br />

l’épreuve des faits (voir Ochs & Schieffelin 1984 : 279 pour des références). Aux arguments<br />

chomskyens sur la pauvreté du stimulus, on a objecté que les énoncés adressés à l’enfant étaient<br />

non seulement bien formés mais devaient contenir des indices facilitateurs. On a cherché dans le<br />

“parler bébé” ou “mamanais” (Motherese en anglais) de tels indices.<br />

Mais aujourd’hui, il n’y a plus guère que le magazine Parents pour croire que le mamanais peut (je<br />

cite) “booster le langage de votre enfant”. En matière de grammaire, nous explique Pinker, le<br />

mamanais est superflu, en particulier pour la raison que “in some cultures, parents do not talk to<br />

their children until the children are capable of keeping up their end of the conversation (though<br />

other children might talk to them).” (1994 : 279 ; mes italiques). Il s’agit d’un raisonnement a<br />

fortiori : l’absence d’échange avec les parents n’empêchant pas l’acquisition, a fortiori l’absence<br />

des traits soi-disant facilitateurs du mamanais ne l’empêche pas non plus. Dans ces cultures, les<br />

interlocuteurs de l’enfant sont d’autres enfants, ce qui sous-entend que les DLP sont aussi<br />

imparfaites qu’on pouvait l’espérer.<br />

Dans The Language Instinct, l’affirmation de Pinker citée à l’instant est basée sur l’étude de Heath<br />

(1983), et plus spécialement sur le témoignage (1994 : 40) d’Aunt Mae, une informatrice<br />

appartenant à une petite communauté noire de Caroline du Sud. Aunt Mae s’y étonne de la manie<br />

qu’ont les Blancs de demander des éclaircissements à leurs enfants comme s’ils étaient nés<br />

omniscients.[25]<br />

20

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!