LE LANGAGE EST-IL UN INSTINCT ? UNE CRITIQUE DU ... - Texto
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<strong>Texto</strong>! octobre 2008, vol. XIII, n°4<br />
période, à acquérir normalement une langue. Les travaux et les cas cités sont unilatéralement en<br />
faveur de la période critique, interprétée en outre comme la maturation d’une faculté.<br />
Pinker (1994 : 291) mentionne en particulier une étude de Newport (1990), reprenant sous forme<br />
abrégée celle de Johnson et Newport (1989), et visant à montrer que la maîtrise d’une langue<br />
seconde (l’anglais américain chez des locuteurs du coréen) décline au-delà de la puberté (censée<br />
être la limite supérieure de la période critique). Reprenant les données fournies par Johnson et<br />
Newport (1989), Bialystok et Hakuta (1994 : 67-72) relèvent plusieurs problèmes[45]. Tous les<br />
aspects testés ne font pas apparaître un déclin avec l’âge d’exposition, ce qui impliquerait un<br />
fractionnement de la grammaire, certains aspects étant soumis à la maturation et d’autres non.<br />
Ensuite, le déclin observé est régulier jusqu’à un âge d’exposition à l’anglais inférieur à vingt ans.<br />
Au-delà de l’âge de vingt ans, la corrélation âge/maîtrise est observée mais elle est moins<br />
significative, et les performances sont nettement plus variables. Seuls les enfants arrivés avant<br />
sept ans témoignaient d’une maîtrise native. Bialystok et Hakuta remarquent que ces résultats<br />
pourraient s’expliquer par l’âge des sujets : le test est exigeant (il contient 276 items), et il pourrait<br />
tout simplement être fatigant pour les sujets plus âgés, c’est-à-dire ceux qui ont été exposés à<br />
l’anglais après vingt ans. Ensuite, les sujets plus jeunes ont appris l’anglais à l’école américaine. Il<br />
est même possible que les enfants exposés avant sept ans se comportent comme des locuteurs<br />
natifs parce qu’ils sont en effet des locuteurs natifs, la proportion de coréen dans leurs échanges<br />
étant incertaine.<br />
Johnson et Newport ont aussi tenté de mesurer (grossièrement) les facteurs de motivation et de<br />
volonté d’identification à la culture américaine ; or, ils ont trouvé une corrélation positive de ces<br />
facteurs avec le degré de maîtrise de l’anglais. Ils les excluent cependant au prétexte qu’une fois<br />
contrôlés, l’âge demeure prédictif ; or, l’âge est supposé refléter une détermination cognitive ou<br />
biologique, par conséquent, c’est cette détermination qui est prééminente. Le procédé attire les<br />
critiques sévères de Bialystok et Hakuta (1994 : 83-84), qui accusent Johnson et Newport d’avoir<br />
mesuré lesdits facteurs de façon cavalière[46], et d’avoir identifié a priori le facteur âge avec une<br />
causalité cognitive ou biologique. Comme Bialystok et Hakuta le remarquent (ibid. : 83) : “age is a<br />
variable that signifies anything that correlates with age, from biological to social development.”<br />
Enfin, et assez ironiquement, si Newport elle-même croit en un déclin des capacités d’acquisition,<br />
elle ne lie pas ce déclin à la maturation de la faculté de langage.[47]<br />
Supposons néanmoins que la période critique résulte de la maturation du cerveau. Il reste à établir<br />
que cette maturation met en place des structures cérébrales génétiquement prédestinées à traiter<br />
spécifiquement le langage. Mais comment le démontrer ? Doit-on supposer qu’au-delà de cette<br />
période critique des principes fondamentaux de la grammaire universelle sont inaccessibles ? Mais<br />
comment justifier que des adultes aient accès, par exemple, au principe de sous-jacence dans une<br />
langue seconde (White & Genesee 1992, cité par Bialystok et Hakuta 1994) ? Ce principe est-il<br />
accessible seulement par le biais de la langue première, une fois la période critique close ?<br />
En outre, l’hypothèse de la période critique doit être compatible avec le fait que l’acquisition d’une<br />
langue première puisse se poursuivre à l’âge adulte (pour un état de la question, voir Singleton &<br />
Ryan, 2004 : 55-60).<br />
Existe-t-il néanmoins des preuves plus convaincantes ? Singleton (2005 ; Singleton & Ryan 2004)<br />
dresse un état des lieux où prévaut un certain scepticisme ; l’hypothèse de la période critique est<br />
diversement interprétée, son existence est débattue, la définition de la période et sa délimitation<br />
varient, et les causes demeurent indécises. Je ne donnerai ici qu’un aperçu de l’étendue des<br />
divergences.<br />
L’hypothèse est diversement interprétée, dans la mesure où certains la bornent au développement<br />
phonologique, et d’autres à la morphologie et à la syntaxe. L’existence même de la période critique<br />
est débattue. Ses causes demeurent indécises, parce que la maturation cérébrale pourrait tout<br />
autant déterminer le décours de l’acquisition, que l’acquisition déterminer la maturation (maturation<br />
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