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LE LANGAGE EST-IL UN INSTINCT ? UNE CRITIQUE DU ... - Texto

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<strong>Texto</strong>! octobre 2008, vol. XIII, n°4<br />

Cette description correspond bien à l’idée d’une construction collective. Mais elle contredit par<br />

ailleurs d’autres déclarations parlant de “créolisation abrupte” (en une génération) du LSN<br />

(Senghas et al. 1999 : 211). A l’évidence, les auteurs n’embrassent pas complètement le<br />

nativisme : ils considèrent certes que la systématisation et la complexification du LSN est l’œuvre<br />

d’enfants dans leur période critique, mais ils voient bien aussi que l’ISN est une construction<br />

collective qui partage bien des traits du LSN, lui-même issu des signes spontanés d’individus<br />

isolés. Ainsi peut-on expliquer que Kegl parle non de GU innée mais plus vaguement, d’un cerveau<br />

prédisposé au langage (language-ready brain).<br />

On voit donc que les affirmations de Pinker citées plus haut (“a creole, invented in one leap”) sont<br />

soumises à caution et même contredisent les affirmations de Senghas et al. (2005) que j’ai citées<br />

à l’instant (“no single age cohort can progress through the developmental stages in the order<br />

necessary to create a language in a single pass”). L’ISN fait plutôt apparaître le caractère collectif<br />

et transgénérationnel de l’invention linguistique.<br />

D.3.5 L’argument de la sous-exposition (suite) : le cas Simon<br />

Dans The Language Instinct, le cas Simon suit immédiatement la discussion consacrée à l’ISN<br />

(1994 : 37).<br />

Ce cas a une importance spéciale. Il présente cet avantage que la “créolisation” en question ne<br />

peut être présentée comme le fruit d’échanges collectifs, à la différence du créole Hawaïen ou de<br />

l’ISN :<br />

“But ISN was the collective product of many children communicating with one another. If we are to<br />

attribute the richness of language to the mind of the child, we really want to see a single child adding<br />

some increment of grammatical complexity to the input the child has received” (Pinker 1994 : 37).<br />

Pinker se réfère en l’occurrence à une étude préliminaire due à Jenny Singleton et Elissa Newport<br />

(1993), qu’il résume dans des termes que je rappellerai ici.[30]<br />

Simon est un enfant ayant appris l’American Sign Language de parents sourds eux-mêmes, mais<br />

qui ont acquis l’ASL à un âge assez tardif (15 et 16 ans), communément considéré comme hors de<br />

la période critique d’apprentissage (voir infra section D.5, sur cette notion de période critique).<br />

Selon Pinker, la pratique de l’ASL des parents de Simon est mauvaise (“they acquired it badly”, ditil<br />

; 1994 : 38). Pire, elle viole des règles de la GU chomskyenne :<br />

“Simon’s father once tried to sign the thought My friend, he thought my second child was deaf. It came<br />

out as My friend thought, my second child, he thought he was deaf — a bit of a sign salad that violates<br />

not only ASL grammar, but according to Chomsky’s theory, the Universal Grammar that governs all<br />

naturally [sic] acquired human languages” (1994 : 38).<br />

Pourtant, en dépit de ces DLP déficientes, Simon parvient à une maîtrise bien supérieure. Il n’a<br />

ainsi pas de difficulté à discerner les topiques mélangés à cette macédoine paternelle (1994 : 39).<br />

Bref, Simon aurait, selon les mots de Pinker, créolisé le pidgin de ses parents (ibid.).<br />

L’étude en question (et les publications postérieures qui la prolongent : par ex. Ross & Newport<br />

1996 ; Singleton & Newport 2004) n’est pas menée dans un esprit nativiste. Cependant, les<br />

auteurs tiennent pour acquis que Chomsky a “démontré” que l’acquisition d’une langue ne peut<br />

découler de façon déterministe des DLP (ce qui est trivialement évident au sens fort de<br />

déterministe ; cf. 2004 : 372). Ils endossent donc l’idée que les DLP, même dans le cas de<br />

l’apprentissage normal, sont déficitaires (impoverished ; ibid.). Selon les auteurs, ce déficit ne peut<br />

résider dans le fait que certaines constructions de la langue seraient absentes des DLP, ou<br />

seraient bruitées. En effet, ils affirment que<br />

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