LE LANGAGE EST-IL UN INSTINCT ? UNE CRITIQUE DU ... - Texto
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<strong>Texto</strong>! octobre 2008, vol. XIII, n°4<br />
L’impression globale est celle d’un Simon “empiriste” extrayant des régularités des DLP. Les<br />
auteurs, cependant, posent une discontinuité entre la langue de Simon et celle de ses parents.<br />
C’est que Simon ferait passer la langue instable (aux corrélations formes / sens “probabilistes”) à<br />
un modèle conforme aux langues humaines : “Simon ends up with a highly systematic grammar,<br />
while his input was ‘‘semi-linguistic’’ at best” (Singleton & Newport 2004 : 402). Mais, malgré cette<br />
discontinuité, la conclusion de Singleton et Newport (2004) n’est pas celle de Pinker et n’est pas<br />
nativiste (au sens où le nativisme implique la modularité) : elle se contente d’envisager l’hypothèse<br />
de plusieurs modes inductifs d’acquisition, selon que l’acquisition a lieu durant ou au-delà de la<br />
période critique. Surtout, elle laisse ouverte la possibilité d’un apprentissage inductif, opérant selon<br />
des procédures non spécifiques au langage.[31]<br />
Revenons maintenant à la présentation par Pinker du cas Simon. Plusieurs précisions et<br />
rectifications doivent être apportées.<br />
Simon ne créolise pas un pidgin et on ne peut pas dire non plus (et Singleton, Ross et Newport ne<br />
le disent pas) qu’il accroît la “complexité grammaticale” de la langue à laquelle il a été confronté : il<br />
amplifie les régularités observées dans la production de ses parents, ou reste à leur niveau.[32]<br />
On pourrait même dire que Simon simplifie la langue de ses parents en la systématisant, puisqu’il<br />
emploie souvent une seule forme là où ses parents en utilisaient plusieurs. Peut-être Pinker<br />
identifie-t-il systématicité et complexité parce qu’il a en tête son modèle dual de traitement des<br />
verbes, où la formation des verbes réguliers est opéré par un calcul et celle des verbes irréguliers<br />
par la mémoire (Pinker 1999b). Selon son modèle, les verbes réguliers sont donc à la fois<br />
systématiques et plus complexes du point de vue computationnel, et leur systématicité n’émerge<br />
pas d’un mode purement inductif d’apprentissage (cf. son opposition aux modèles<br />
connexionnistes ; Pinker & Prince 1988).<br />
D’autre part, l’affirmation selon laquelle les DLP de Simon sont déficientes ou appauvries ne prend<br />
pas en compte un facteur dont les études convoquées ne permettent pas d’apprécier la portée. Il<br />
faut noter en effet que Simon n’a pas été exposé qu’à l’ASL. Singleton et Newport mentionnent<br />
qu’il a acquis un code manuel calqué sur l’anglais :<br />
“His teacher is hearing and communicates with her students by using a manual code for English<br />
simultaneously articulated with spoken English (called Total Communication or Simultaneous<br />
Communication). Manual codes for English contain no ASL morphology. They are comprised of basic<br />
(uninflected) sign vocabulary borrowed from ASL, and rely upon a set of invented ‘‘signs’’ to represent<br />
the details of English morphology” (2004 : 380-381).<br />
Or, Simon, nous disent-elles ailleurs,<br />
“appears to be normal with respect to his social and emotional development. From classroom<br />
observations we could see that Simon was bright, motivated, and was treated as the class leader by<br />
his peers. With only few exceptions, Simon led the games being played and was the first to raise his<br />
hand when the teacher asked the class a question” (2004 : 381).<br />
Simon semble donc être un communicateur accompli, dans un système distinct de l’ASL, et dont<br />
on ne sait quel bénéfice il a pu retirer pour l’acquisition de l’ASL, même si on nous assure que<br />
l’anglais et l’ASL sont trop différents pour qu’il y ait eu transfert (Newport 1999). Mais ce<br />
raisonnement me semble risqué, surtout lorsqu’on ne discute pas des éléments qui auraient pu<br />
faire l’objet d’un tel transfert.<br />
De même, que veut dire Pinker exactement, quand il qualifie de “salade” l’énoncé paternel cité<br />
plus haut ? En anglais (et Simon doit bien connaître des faits structuraux de l’anglais, par le biais<br />
du code manuel mentionné) chacun des 3 sous-énoncés est régulier. La structure de l’énoncé<br />
complet laisserait plutôt penser que des contraintes de traitement s’imposent au père de Simon :<br />
deux sous-énoncés introduisent un élément nouveau et un seul énoncé en introduit deux (my<br />
friend thought). Or, à l’oral, les locuteurs ont pour habitude de minimiser le nombre d’éléments<br />
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