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LE LANGAGE EST-IL UN INSTINCT ? UNE CRITIQUE DU ... - Texto

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<strong>Texto</strong>! octobre 2008, vol. XIII, n°4<br />

D.3.4 L’argument de la sous-exposition (suite) : la langue des signes nicaraguayenne<br />

Selon Pinker (1994 : 36-7), nous avons la chance d’être les témoins d’un événement qui nous met<br />

à l’abri des problèmes méthodologiques qui affectent la théorie de Bickerton, et la confirment de<br />

façon éclatante : il s’agit de l’invention d’une nouvelle langue des signes, observée in vivo au<br />

Nicaragua (l’Idioma de Señas Nicaragüense ou ISN). Voici comment Pinker résume cette<br />

invention : “ISN appears to be a creole, invented in one leap when the younger children were<br />

exposed to the pidgin signing of the older children — just as Bickerton would have expected”<br />

(ibid.). Qu’en est-il exactement ?<br />

En 1977, au Nicaragua, 25 sourds isolés, enfants de parents entendants, sont réunis pour la<br />

première fois dans une école. Les effectifs croissent, atteignent 100 élèves en 1979, 400 en 1983.<br />

Une école professionnelle est fondée en 1980, et beaucoup de sourds y poursuivent leur scolarité<br />

(Senghas & Coppola 2001). A partir de 1980, des élèves de tous âges sont admis (y compris des<br />

adultes).<br />

Aucun des élèves n’a connaissance d’une langue des signes, tous ont des parents entendants,<br />

sauf deux cas (Kegl et al. 1999). Toutes les personnes ayant été en contact avec les sourds<br />

affirment ne jamais les avoir vus employer un système de signes ou de mimiques.<br />

L’enseignement est oraliste, basé sur la lecture des lèvres et sur l’espagnol.<br />

En dehors des cours, par exemple dans les cars qui les emmènent à l’école, les élèves socialisent<br />

et commencent à signer. Une situation linguistique assez complexe émerge : un pidgin, issu des<br />

“homesigns” isolés, se crée (le Lenguaje de Señas Nicaragüense, LSN), supplanté par une langue<br />

(“the full-blown language”, ap. Kegl et al. 1999 : 181), l’Idioma de Señas Nicaragüense (ISN), qui<br />

coexiste avec un pidgin employé entre sourds et entendants (le Pidgin de Señas Nicaragüense,<br />

PSN), et que les entendants considèrent comme des “mimiques” quand ils l’utilisent et les sourds<br />

comme de l’espagnol quand ce sont des entendants qui s’en servent. Kegl et al. (1999) distinguent<br />

en réalité un système appelé “mimicas” (apparemment plus proche d’une pantomime) du PSN.<br />

Initialement, seul le LSN est employé entre sourds, et jusqu’en 1988. L’ISN est introduit à partir de<br />

1987, lorsque de très jeunes sourds (de moins de sept ans, selon Kegl et al. 1999) commencent à<br />

se scolariser.<br />

Le PSN est émaillé d’espagnol ; par exemple, le mouvement de la bouche pour articuler casa est<br />

coarticulé avec le signe pour ‘maison’. Les PSN des entendants et des sourds diffèrent beaucoup.<br />

On y observe aussi les débuts d’une grammaticalisation (par exemple du futur, indiqué par la<br />

rupture du contact visuel avec l’interlocuteur, et le regard pointé vers le haut et au loin).<br />

Le LSN est caractérisé par des signes amples, symétriques, plus limités au buste, à la tête et aux<br />

membres que les “mimicas” (où le corps entier est sollicité). Certaines expressions faciales sont<br />

utilisées à des fins grammaticales. Les propositions à arguments multiples sont souvent exprimées<br />

par une concaténation de verbes à un seul argument. Les sourds de la première génération et les<br />

tard venus l’utilisent encore.<br />

Les signes de l’ISN sont restreints au buste, à la tête et aux membres. Ils peuvent être<br />

asymétriques. Des expressions faciales servent à indiquer des rapports grammaticaux (par<br />

exemple, les sourcils levés signalent un constituant topicalisé). Les signes se substituent aux<br />

vocalisations et aux mouvements de la bouche qui, dans le LSN, marquaient typiquement l’aspect.<br />

Le pointage vers un lieu spatial est plus précis (sur tous ces points, voir Kegl et al. 1999 ; sur la<br />

structure de l’ISN, voir Kegl 2002).<br />

Les caractéristiques morpho-syntaxiques de l’ISN sont les “modulations spatiales” par lesquelles<br />

l’ISN indique les arguments des verbes et leur fonction grammaticale (sujet / objet), autorise la<br />

coréférence, signale l’accord en personne et en nombre, et exprime des rapports déictiques<br />

(spatiaux et temporels) ; les classificateurs de taille et de forme (size and shape specifiers) ; les<br />

anaphores nominales (qui coréfèrent avec un argument du verbe en reprenant sous forme<br />

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