revue des sciences sociales de la france de l'est

CARNAVALS EN ALSACE 25
Carnaval parle une langue particulière «caractérisée par toutes les formes de rabaissements et
de parodies» ( 5 ). Ce parler véhicule les motifs refoulés par la langue officielle, en particulier les
injures et les images précises ou grossières ayant trait à la vie du corps. Carnaval se plaît aux
joutes verbales et aux attrapes. «On se donnait la réplique comme au théâtre et jouait une pièce
gratis pour les badauds de la rue» ( 6 ). Ces jeux oratoires sont ponctués de jets de nourriture et
d'ordures.
Carnaval permet «une forme de contacts libres et égaux entre des individus séparés dans la vie
quotidienne par les barrières infranchissables imposées par la société féodale» ( 7 ).
Carnaval impose le nivellement social et l'égalité. Il ne s'agit pas ici d'un renversement des
rôles, comme la conception du Carnaval en tant que «monde à l'envers» aurait pu le faire croire.
Cette situation est cependant limitée dans le temps et dans ses manifestations. Ces dernières se
déroulent à une époque désignée par le calendrier lithurgique chrétien et s'expriment par la
parole et le jeu qui assurent la fonction de transgression autorisée. Dans la réalité quotidienne.
Carnaval ne s'accompagne d'aucun changement social.
Jusqu'à la fin du xix e
siècle, il reste la fête du peuple qui pour un jour impose l'égalité de tous
et la démesure dans la consommation de nourriture, la danse, l'expression verbale.
Carnaval danse. Il entraîne tout le monde dans un galop fou. «Cette contredanse n'avait
qu'une figure, une seule ; c'était une chaîne d'hommes et de femmes se tenant pêle-mêle par la
main ... cette chaîne courait tête baissée, en ligne oblique. ... tourbillon immense faisant tourner
avec lui tout ce qui accrochait son passage» ... «Soudain, tous les cœurs se mettent à battre dans
un délire unanime ; la fureur, l'enthousiasme s'emparent de toutes ces âmes» ( s ). Cette recherche
de l'extase dans le tournoiement et le vacarme révèle la dimension onirique de cette fête qui
permet d'oublier la dure réalité quotidienne.
Cependant, à l'opposé de ce qui se passait à l'époque médiévale. Carnaval s'inscrit à présent
dans une période d'opposition de classes et d'insurrection. Dans ce contexte, la fête change de
signification et apparaît comme une révolution symbolique. S'il arrive qu'elle tourne à
l'affrontement, «le rite est secondaire et sont seules déterminantes les circonstances de
l'affrontement des classes qui conduisent les hommes à intégrer les rites de la fête dans une lutte
contre l'oppression et le pouvoir» (*). Carnaval offre parfois un prétexte de passage à l'acte, mais
il n'a jamais déclenché de mouvement social structuré.
Lorsqu'à partir de la fin du xix e
siècle, le mouvement ouvrier et l'appareil syndical canalisent
les aspirations et la violence des classes populaires, Carnaval cesse d'être le rendez-vous
burlesque du peuple pour devenir un spectacle contrôlé par la classe dominante.
2. L.E CARNAVAL DES TEMPS MODERNES. La fête carnavalesque intégrée aux modes de
comportement de la société moderne a connu deux évolutions en Alsace. La première est l'effet
de l'expansion des loisirs et du tourisme. Elle fera de la fête un divertissement qui doit plaire à
tous. Dans ce but, le rite traditionnel sera édulcoré, fragmenté et alourdi d'éléments hétéroclites.
Les Cavalcades du lundi de la Pentecôte à Wissembourg offrent un exemple de ce devenir actuel
(51 Mikhaïl BAKHTINE. /, Oeuvre de François Rabelais ei la Culture Populaire au Moyen-Age et sous la Renaissance.
Gallimard. 1970. p. 20.
(6) Alain FAURE. U.C., p. 69.
(7) Mikhaïl BAKHTINE. ac. p. 19.
(8) Alain FAURE. Paris Carême-Prenant, du Carnaval à Paris au XIX' siècle. Hachette, 1978, p. 53.
(9) Alain FAURE. ac. p. 120.