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revue des sciences sociales de la france de l'est

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CARNAVALS EN ALSACE 27<br />

turquoise, étoffes et couleurs vouées habituellement aux vêtements féminins. Toutefois, <strong>la</strong> partie<br />

supérieure du costume comporte un shako surmonté d'un plumet et une veste agrémentée <strong>de</strong><br />

bran<strong>de</strong>bours et d'épaulettes. Ces vestes mate<strong>la</strong>ssées effacent les ron<strong>de</strong>urs féminines. L.es jambes,<br />

par contre, sont découvertes par une jupe exagérément courte.<br />

Ces Cavalca<strong><strong>de</strong>s</strong> révèlent certains aspects caractéristiques <strong>de</strong> <strong>la</strong> société dominante : regret <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

société rurale du siècle <strong>de</strong>rnier, tendance à l'embriga<strong>de</strong>ment et rôle ambigu <strong><strong>de</strong>s</strong> femmes dans une<br />

société qui survalorise les loisirs et <strong>la</strong> consommation. Ces traits, que l'on retrouve également<br />

dans les innombrables fêtes folkloriques qui se sont épanouies au cours <strong><strong>de</strong>s</strong> dix <strong>de</strong>rnières années,<br />

révèlent l'acceptation passive par le public, d'une vision hypertrophiée et partielle <strong>de</strong> son passé et<br />

<strong>de</strong> son <strong>de</strong>venir actuel. Cette fête, parfaitement intégrée à <strong>la</strong> culture dominante, élimine <strong>la</strong> dérision<br />

et <strong>la</strong> contestation <strong>de</strong> l'ordre établi qui caractérisaient le Carnaval urbain traditionnel. L.e galop<br />

informel est remp<strong>la</strong>cé par un pas <strong>de</strong> para<strong>de</strong> minutieusement réglé, acteurs et public sont séparés<br />

par <strong><strong>de</strong>s</strong> barrières <strong>de</strong> cor<strong>de</strong>, <strong>la</strong> transgression et le rire ont disparu <strong>de</strong> cette fête muette et<br />

parfaitement contrôlée.<br />

Les Cavalca<strong><strong>de</strong>s</strong> du Lundi <strong>de</strong> <strong>la</strong> Pentecôte appartiennent à <strong>la</strong> catégorie <strong><strong>de</strong>s</strong> fêtes folklorisées qui<br />

constituent un support indirect du tourisme et du commerce local. L.a fête <strong>de</strong> Wissembourg<br />

connaît cependant <strong><strong>de</strong>s</strong> aspects particuliers liés à <strong>la</strong> situation historique et géographique <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

région. Les Cavalca<strong><strong>de</strong>s</strong>, en effet, réunissent un public venu d'un rayon d'environ cent kilomètres<br />

autour <strong>de</strong> <strong>la</strong> ville, sans considération <strong>de</strong> <strong>la</strong> proche frontière avec l'Allemagne. De leur côté, les<br />

acteurs viennent <strong>de</strong> <strong>la</strong> France <strong>de</strong> l'Est, du Ba<strong>de</strong>-Wurtemberg et <strong>de</strong> Bâle. Le public et les acteurs<br />

appartiennent ainsi à un espace culturel et géographique limité aux pays rhénans.<br />

Certains indices révèlent que dans un contexte général plutôt favorable aux revendications<br />

régionales, <strong>la</strong> fête <strong>de</strong> Wissembourg favorise confusément <strong>la</strong> prise <strong>de</strong> conscience d'une i<strong>de</strong>ntité<br />

commune. On pouvait noter en effet que les groupes <strong>de</strong> nationalités différentes par<strong>la</strong>ient <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

dialectes voisins, alors que l'usage <strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>la</strong>ngues <strong>de</strong> cultures, française ou alleman<strong>de</strong>, aurait au<br />

contraire accentué les différences.<br />

2.2. Le Carnaval <strong>de</strong> Strasbourg ou <strong>la</strong> fête manipulée. En Alsace, <strong>de</strong>puis une centaine<br />

d'années, un mouvement culturel s'est constitué en réponse à une situation conflictuelle<br />

complexe produite par <strong>la</strong> présence d'une culture allogène, française ou alleman<strong>de</strong>, et<br />

ultérieurement, par <strong>la</strong> montée du prolétariat urbain. Dans ce contexte, le scénario du Carnaval a<br />

fourni aux acteurs en présence un «texte» qu'ils ont adapté et manipulé en fonction d'un<br />

contexte particulière ( 12 ). Le Carnaval <strong>de</strong> Strasbourg offre un exemple <strong>de</strong> cette manipu<strong>la</strong>tion.<br />

2.2.1. Le Carnaval <strong><strong>de</strong>s</strong> Allemands. Au len<strong>de</strong>main <strong>de</strong> l'occupation <strong>de</strong> 1870, les Allemands<br />

entreprennent un véritable «combat culturel» dans le but d'intégrer l'Alsace dans l'espace<br />

allemand. Un théâtre <strong>de</strong> <strong>la</strong>ngue alleman<strong>de</strong> est fondé, les «vieilles traditions» et les fêtes<br />

popu<strong>la</strong>ires sont valorisées ou recréées. Les Allemands favorisent ainsi le retour <strong><strong>de</strong>s</strong> fêtes<br />

carnavalesques, dont l'usage était tombé en désuétu<strong>de</strong> au len<strong>de</strong>main <strong>de</strong> <strong>la</strong> guerre <strong>de</strong> 1870, alors<br />

qu'il s'était maintenu dans les villes alleman<strong><strong>de</strong>s</strong> et suisses.<br />

L.es associations professionnelles sont invitées à construire <strong><strong>de</strong>s</strong> chars et <strong><strong>de</strong>s</strong> sociétés<br />

carnavalesques sont créées à cet effet. L.es chars juxtaposent <strong><strong>de</strong>s</strong> thèmes traditionnels, tels que<br />

«les vieux métiers strasbourgeois» et les costumes paysans, <strong><strong>de</strong>s</strong> thèmes nouveaux offerts par<br />

(12) Le texte et <strong>la</strong> fonction. Ju. IORMAN et A. M. PJATIGORSKU, Revue Semiotica. 1969, p. 12.

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