10.06.2014 Views

revue des sciences sociales de la france de l'est

revue des sciences sociales de la france de l'est

revue des sciences sociales de la france de l'est

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

CARNAVALS EN ALSACE 29<br />

Les contes sont joués pendant <strong>la</strong> pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> Noël et douze d'entre eux illustrent le thème <strong>de</strong><br />

cette fête. Il faut rappeler à ce propos que Noël en Alsace ouvre <strong>la</strong> série <strong><strong>de</strong>s</strong> fêtes carnavalesques<br />

fondées sur le port du masque, <strong>la</strong> transgression <strong><strong>de</strong>s</strong> tabous et <strong>la</strong> communication avec l'au-<strong>de</strong>là<br />

(cf. § I ). Le soir <strong>de</strong> Noël, Christkin<strong>de</strong>l, une jeune fille vêtue <strong>de</strong> b<strong>la</strong>nc au visage voilé, à <strong>la</strong> tête<br />

couronnée <strong>de</strong> lumière, récompense les enfants sages. Elle est suivie par Hans Trapp, un<br />

personnage noir, masqué et terrifiant qui punit les méchants. Hans Trapp est armé d'un fouet,<br />

ses vêtements sont ornés <strong>de</strong> sonnailles. Au Théâtre, <strong>la</strong> jeune fille lumineuse rachète au cours<br />

d'un voyage dans l'au-<strong>de</strong>là les fautes <strong>de</strong> son père ou <strong>de</strong> son futur époux. Ces <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>rniers<br />

personnages, tout comme Hans Trapp, sont associés aux ténèbres, à <strong>la</strong> fureur, au bruit <strong><strong>de</strong>s</strong><br />

sonnailles et au c<strong>la</strong>quement du fouet.<br />

Dans chacun <strong><strong>de</strong>s</strong> contes, le héros est confronté au tabou <strong>de</strong> <strong>la</strong> vue et à <strong>la</strong> défense <strong>de</strong> manger<br />

<strong><strong>de</strong>s</strong> petits gâteaux. Au Carnaval, l'interdit <strong>de</strong> <strong>la</strong> vue apparaît avec le masque, qui empêche d'être<br />

reconnu et ne <strong>la</strong>isse voir le mon<strong>de</strong> qu'à travers une mince fente. L.es petits gâteaux jouent un rôle<br />

important dans <strong>la</strong> distribution <strong><strong>de</strong>s</strong> rôles. Ils sont confectionnés dans les cuisines par les femmes<br />

et les jeunes filles et quêtes autoritairement par les jeunes gens, qui font passer les aliments d'un<br />

lieu <strong>de</strong> culture à <strong>la</strong> sauvagerie <strong>de</strong> <strong>la</strong> rue et <strong><strong>de</strong>s</strong> masques.<br />

Chacun <strong><strong>de</strong>s</strong> Contes Merveilleux comporte une séquence dans <strong>la</strong>quelle <strong>la</strong> jeune fille lumineuse<br />

est poursuivie par son père ou son futur époux. L.es contes reproduisent ainsi une version du<br />

mythe du Chasseur Sauvage bien connu dans toute l'Europe Occi<strong>de</strong>ntale. L.e Chasseur Sauvage<br />

ou Furieux conduit <strong>la</strong> hor<strong>de</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> morts ou <strong><strong>de</strong>s</strong> damnés : «das wil<strong>de</strong> Heer». Au Carnaval, le<br />

Chasseur Sauvage ( 14 ) s'appelle Herlequin ou Arlequin. Comme dans le mythe et le conte, il est<br />

accompagné par le c<strong>la</strong>quement du fouet et le bruit <strong><strong>de</strong>s</strong> sonnailles.<br />

Certains contes mettent en scène un Chasseur Sauvage dégradé qui apparaît sous l'aspect du<br />

Roi du Pays <strong>de</strong> Cocagne. «Belsbummere». Ce Roi est gourmand, boiteux, injuste ; il évoque le<br />

mon<strong>de</strong> à l'envers du Carnaval. Ses ripailles sans fin rappellent les débor<strong>de</strong>ments alimentaires <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> mi-carême. Sa boiterie révèle <strong>la</strong> transgression d'un tabou et son appartenance à l'au-<strong>de</strong>là ( 15 ) -,<br />

on <strong>la</strong> retrouve dans les boiteries et sautillements <strong><strong>de</strong>s</strong> pas <strong>de</strong> Carnaval. Son injustice et sa mort<br />

rappellent les sentences et <strong>la</strong> mise à mort du Roi Carnaval.<br />

Les pièces du Roi Gourmand s'expriment dans une <strong>la</strong>ngue carnavalesque, fondée sur le<br />

renversement <strong><strong>de</strong>s</strong> valeurs spécifiques à notre expérience du mon<strong>de</strong> quotidien. «Cette expérience<br />

repose sur l'ordonnance <strong><strong>de</strong>s</strong> objets en c<strong>la</strong>sses é<strong>la</strong>borées, selon le sens et <strong>la</strong> valeur qu'ils ont pour<br />

nous dans un contexte donné» ( 16 ). L.e. burlesque <strong><strong>de</strong>s</strong> Contes Merveilleux résulte du<br />

bouleversement <strong>de</strong> ces c<strong>la</strong>sses et <strong>de</strong> l'apparition d'un objet dans une c<strong>la</strong>sse inattendue. Ainsi, une<br />

séquence <strong>de</strong> <strong>la</strong> pièce «L.e Cor Magique» ( 17 ) <strong>de</strong> Ferdinand Bastian se déroule dans un château<br />

perdu dans <strong>la</strong> forêt. Le héros partage le repas <strong><strong>de</strong>s</strong> morts avant <strong>de</strong> se battre en duel avec eux. Cette<br />

séquence, que l'on retrouve fréquemment dans les récits épiques <strong>de</strong> «L.a Ligen<strong>de</strong> <strong>de</strong> Bretagne»<br />

est traitée ici sur le mo<strong>de</strong> burlesque. Au moment du combat, le héros s'empare d'une broche à<br />

rôtir et menace l'Ours <strong>de</strong> l'au-<strong>de</strong>là : «Monsieur l'Ours, rend-toi librement ou je t'embroche<br />

comme un papillon sur une épingle» ( 18 ).<br />

(14) Le Chasseur Sauvage. Der Wil<strong>de</strong> Mann, introduit le Carnaval <strong>de</strong> Bâle.<br />

(15) C<strong>la</strong>u<strong>de</strong> GAIGNBBET. B.C., p. 102.<br />

(16) P. WATZLAWICK. J. WEAKI.AND. R. FISCH, Changements, Paradoxes et Psychothérapie. Seuil, 1975, p. 120.<br />

(17) Ferdinand BASTIAN, S'Zaitherhorn, Librairie Sostralib, sans date (créé au T.A.S. en 1934-35), p. 22.<br />

( 18) «Herr Bar. ergib dich freiwillig, o<strong>de</strong>r ich spiess dich uff wie e Papilion mit e're Guff».

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!