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SPÉCIAL ORGUE<br />
L’ORGUE au QUÉBEC<br />
UNE INTRODUCTION<br />
Hellmuth Wolff<br />
Comme presque partout dans le<br />
monde, le développement de<br />
l’orgue est assujetti à l’histoire du<br />
pays où il se trouve. Au début de<br />
la colonie, la population de la<br />
Nouvelle-France était clairsemée, mais on y<br />
construit un certain nombre d’églises et de chapelles.<br />
Les orgues étaient rares et seules les villes<br />
de Québec et de Montréal en possédaient.<br />
Après la conquête de la colonie française<br />
par les Anglais (1760), la population augmente<br />
avec la venue de colons de<br />
l’Angleterre. Les églises paroissiales font venir<br />
des orgues de l’Angleterre. Ainsi Thomas<br />
Elliott expédie vers 1802 deux orgues à<br />
Québec, suivis en 1816 d’un autre pour la<br />
Christ Church de Montréal, et les fait ériger<br />
par William Goodrich de Boston. Samuel<br />
Russell Warren, un de ses collègues de la<br />
Nouvelle-Angleterre, débarque deux décennies<br />
plus tard à Montréal où il devient le premier<br />
facteur d’orgues industriel. Son apprenti<br />
et futur rival, Louis Mitchell, deviendra un<br />
autre pionnier du 19 e siècle.<br />
Avec l’élargissement de l’orgue Elliott de<br />
Québec, Mitchell se bâtit une réputation,<br />
mais il s’élève de façon déloyale contre<br />
Samuel Warren, son mentor.<br />
Vers la fin du 19 e siècle, l’hégémonie de<br />
Warren et de Mitchell cédera sa place à la<br />
compagnie Casavant. Comme Louis<br />
Mitchell, Joseph Casavant (né 1807) a aussi<br />
étudié au collège de Sainte-Thérèse. Joseph<br />
construit quelques modestes instruments,<br />
<strong>La</strong>uréat du prix Opus «Reconnaissance à<br />
un facteur d’instruments» de l’année 2008<br />
à 2009, Hellmuth Wolff est l’un des<br />
grands artisans du renouveau de l’orgue en<br />
Amérique du Nord. Originaire de Zurich,<br />
en Suisse, Wolff a appris les ficelles du<br />
métier chez Metzler & Söhne (Suisse),<br />
Gérard de Graaf (Hollande), Rieger<br />
(Autriche), Otto Hofmann et Charles Fisk<br />
(États-Unis). En 1963, Wolff s’est établi au<br />
Québec et il a dirigé le tout nouveau<br />
département d’orgues mécaniques de<br />
Casavant Frères. Après quelques autres collaborations,<br />
Wolff a fondé son propre atelier<br />
en 1968. Sa firme a construit une cinquantaine<br />
d’instruments pour divers<br />
clients en Amérique du nord. Au Canada,<br />
on peut voir ses grandes créations à la salle<br />
Redpath de l’Université McGill, à la chapelle<br />
du Knox College de l’Université de<br />
Toronto ou à la cathédrale Christ Church<br />
de Victoria. www.orgelwolff.com -Crystal Chan<br />
L’« OPUS MAGNUM » DE HELLMUTH WOLFF : opus 47,<br />
cathédrale Christ Church de Victoria (2005)<br />
mais il était trop vieux pour passer le métier<br />
à ses fils Claver et Samuel. Après un voyage<br />
d’études en Europe (1879), ils forment la<br />
compagnie Casavant Frères dans l’ancien atelier<br />
de leur père à Saint-Hyacinthe.<br />
<strong>La</strong> concurrence de Mitchell se termine<br />
avec la fermeture de son atelier, tandis que<br />
celle de Warren & Fils, établi depuis 1878 à<br />
Toronto, n’est plus à craindre. Ainsi, la compagnie<br />
Casavant Frères a exercé jusqu’aux<br />
années 1960 un monopole au Canada. <strong>La</strong><br />
nature de leurs instruments change au détriment<br />
de l’orientation française des premiers<br />
instruments. On prône la spécialisation et la<br />
production massive.<br />
Les décennies qui ont suivi la mort des<br />
frères Casavant (Samuel, 1929, Claver,<br />
1933) et la grande crise économique furent<br />
difficiles. Après avoir été éclipsé lors de la<br />
construction de l’orgue de l’Oratoire Saint-<br />
Joseph à Montréal, il était temps de se poser<br />
des questions. Un nouveau PDG engagea<br />
<strong>La</strong>wrence Phelps de Boston comme directeur<br />
artistique. Privilégiant les instruments aux<br />
sonorités plus claires, il embaucha Karl<br />
Wilhelm en 1960 pour ouvrir un département<br />
d’orgues mécaniques.<br />
Trois ans plus tard, l’auteur de ces lignes<br />
rejoint l’équipe Wilhelm. Ensemble, nous<br />
allions construire en peu de temps un<br />
nombre d’instruments intéressants pour une<br />
nouvelle clientèle. Cependant, on ne peut<br />
pas parler d’une percée victorieuse de l’orgue<br />
mécanique, car, contrairement aux livraisons<br />
sporadiques de notre département, on chargeait<br />
chez Casavant un camion par semaine<br />
avec un orgue électro-pneumatique! Après<br />
six ans, Karl Wilhelm quitte la société<br />
Casavant pour fonder sa propre firme.<br />
Depuis 1972, Gerhard Brunzema, nouveau<br />
directeur artistique de la société, a<br />
donné aux instruments une nouvelle impulsion,<br />
plus germanique, mais sept ans plus<br />
tard, il se met à son compte, comme ses prédécesseurs.<br />
Un nouveau vent commence à<br />
souffler, cette fois initié par le Français Jean-<br />
Louis Coignet. Le retour à la base originale<br />
française de la compagnie était de bon augure,<br />
et cette orientation se poursuit avec succès<br />
par les dirigeants actuels.<br />
Nous avons évoqué la commande de<br />
l’Oratoire Saint-Joseph de Montréal qui a<br />
échappé à la maison Casavant. C’était déjà le<br />
deuxième orgue que Rudolf von Beckerath<br />
avait livré de son atelier de Hambourg à<br />
Montréal. Un an plus tôt, en 1959, il avait<br />
construit un orgue qui allait devenir le premier<br />
orgue mécanique moderne d’envergure<br />
au Canada, pour la Queen Mary Road<br />
United Church. Un troisième orgue, celui de<br />
l’église de l’Immaculée-Conception, également<br />
impressionnant, suit l’orgue monumental<br />
de l’Oratoire. Un son jusqu’alors<br />
inouï sert maintenant à l’interprétation des<br />
œuvres de Bach et d’autres maîtres baroques.<br />
De pair avec Boston et Seattle (grâce à<br />
l’orgue Flentrop de 1965 à la cathédrale<br />
Saint-Marc et l’établissement d’excellents<br />
artisans dans les environs), Montréal est<br />
devenu un haut lieu de la réforme de l’orgue,<br />
réforme qui s’étend dans les années suivantes<br />
sur l’ensemble du continent. L’enthousiasme<br />
d’une génération d’organistes a depuis ouvert<br />
la voie à une nouvelle génération de facteurs<br />
d’orgues au Québec et des instruments<br />
authentiques pour l’exécution de la musique<br />
baroque française ou allemande ont vu le<br />
jour. Parmi ceux-ci, j’inclus mes collègues<br />
Karl Wilhelm, Guy Thérien et Fernand<br />
Létourneau qui, tout comme moi, ont eu la<br />
chance de pouvoir enrichir le patrimoine<br />
organistique de Montréal. ■<br />
»L’Encyclopédie canadienne de la musique (voir sur Internet)<br />
contient une bibliographie et plus d’information sur l’histoire<br />
de l’orgue au Canada et ses facteurs, en français et en anglais<br />
» <strong>La</strong> page de Robert Poliquin donne des renseignements précieux<br />
: www.uquebec.ca/musique/orgues/facteurs.html<br />
» Ceci est le résume d’un article paru en mai <strong>2010</strong> à l’ISO Journal<br />
14 OCTOBRE <strong>2010</strong> OCTOBER