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Octobre 2010 - La Scena Musicale

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HOMMAGE<br />

Le legs de<br />

MAUREEN FORRESTER<br />

Jean-Pierre Sévigny<br />

<strong>La</strong> «grande dame » de l’art vocal canadien<br />

a laissé un héritage immense.<br />

On connaît bien ses enregistrements<br />

de Haendel, Bach ou Brahms, mais<br />

c’est dans ses interprétations du compositeur<br />

autrichien Gustav Mahler, surtout<br />

l’émouvant Das Lied von der Erde et la<br />

Symphonie n o 2 «Résurrection», que sa voix est<br />

radieuse et transcendante. Maureen Forrester<br />

a aussi interprété des œuvres moins connues:<br />

Dialogues des Carmélites de Francis Poulenc –<br />

son interprétation de la vieille prieure est sidérante<br />

– et The Medium de Gian Carlo<br />

Menotti. Plus tard dans sa carrière, elle s’est<br />

«aventurée» dans le répertoire plus populaire<br />

de Gilbert et Sullivan (Mikado et Iolanthe) et<br />

de Humperdinck (Hänsel und Gretel), ce qui a<br />

n’a pas toujours plu aux critiques.<br />

Maureen Forrester a aussi apporté d’autres<br />

contributions à la culture canadienne. Elle a<br />

pris la parole, à titre d’artiste et de présidente<br />

du Conseil des Arts du Canada, pour se<br />

prononcer sur deux enjeux importants de<br />

notre époque : le financement des arts et la<br />

valeur de la musique contemporaine.<br />

En 1983, alors au sommet de sa carrière,<br />

Forrester accepta du gouvernement de Pierre<br />

Elliott Trudeau la présidence du Conseil des<br />

Arts du Canada (CAC); elle y resta cinq ans.<br />

«Lorsque j’ai commencé, dit-elle en 1988, il<br />

n’y avait pas de Conseil des Arts. J’ai accepté<br />

le poste pour remettre au Canada ce qu’il<br />

m’avait donné.» Pas toujours diplomate, elle<br />

a fait des vagues. Irrité par ce qu’il appelait<br />

un virage à gauche qui ne reflétait pas, selon<br />

lui, les valeurs de la société canadienne, le<br />

gouvernement Trudeau voulait exercer, par le<br />

biais d’un projet de loi controversé, un<br />

contrôle «politique» sur les organismes et<br />

sociétés de la Couronne, particulièrement le<br />

Conseil des Arts, Radio-Canada, la Société<br />

de développement de l’industrie cinématographique<br />

canadienne (aujourd’hui Téléfilm<br />

Canada) et l’ONF. Le gouvernement de<br />

Stephen Harper n’a rien inventé.<br />

Maureen Forrester a abordé courageusement<br />

ce dossier épineux. Elle a défendu sur<br />

toutes les tribunes le financement des arts et<br />

la liberté d’expression. À ses yeux, le financement<br />

des arts par l’État ne donnait aucun<br />

droit de regard idéologique à un gouvernement.<br />

Femme entière et passionnée, elle a<br />

défendu constamment et férocement l’autonomie<br />

du Conseil des Arts, non sans embêter<br />

de nombreux ministres et hauts fonctionnaires.<br />

« Aucune<br />

société libre ne<br />

compromet la<br />

liberté de ses<br />

artistes », a-t-elle<br />

répliqué au gouvernement.<br />

Et il<br />

n’était pas facile<br />

pour un politicien<br />

de contreattaquer<br />

quand la<br />

lobbyiste en chef<br />

était aussi la<br />

«grande dame» de l’art vocal au Canada et<br />

un «trésor national». Il est à noter qu’elle a<br />

«gagné» ce débat très public auprès d’une<br />

majorité de parlementaires et de citoyens.<br />

Tout au long de son mandat, elle a intercédé<br />

au nom des artistes et des organismes<br />

culturels auprès du gouvernement, afin de<br />

faire valoir le besoin d’une aide accrue pour<br />

les arts. À quelques occasions, il lui est même<br />

arrivé de passer outre son devoir de réserve.<br />

En 1987, ma vie a croisé celle de Maureen<br />

Forrester. Une amie musicologue me suggéra<br />

d’écouter son interprétation d’une œuvre<br />

canadienne contemporaine, The Confession<br />

Stone du compositeur Robert Fleming. Ébloui<br />

à la fois par l’œuvre et son interprète, j’ai décidé<br />

alors de rééditer sur disque compact l’enregistrement<br />

The Confession Stone et Liederkreis,<br />

op. 39 de Schumann, paru en 1976 sur étiquette<br />

RCA–CTL (Canadian Talent Library,<br />

compagnie sans but lucratif dont la mission<br />

était d’assurer la réalisation et la distribution<br />

d’enregistrements d’artistes canadiens et de<br />

compositions canadiennes; CTL a poursuivi<br />

ses activités de 1962 jusqu’à sa fusion en 1985<br />

avec FACTOR, ayant constitué un catalogue<br />

de 268 microsillons). Outre le Fleming et le<br />

Schumann, nous avons pu aussi inclure sur le<br />

disque, en complément, le lumineux Der<br />

Abschied (L’adieu) du Chant de la Terre de<br />

Mahler, sous la direction de Bruno Walter. Le<br />

maestro, disciple et ami du compositeur, avait<br />

(1930-<strong>2010</strong>)<br />

lui-même dirigé la création du Chant de la<br />

Terre à Munich en 1911. C’est avec lui que<br />

Forrester à appris à chanter Mahler. Le disque<br />

Maureen Forrester – Song Cycles (Gala-110) est<br />

l’un de ceux dont je suis le plus fier.<br />

Maureen Forrester a toujours défendu et<br />

illustré la musique canadienne contemporaine.<br />

Tout au long de sa carrière, elle a chanté<br />

Schafer, Coulthard, Chatman, Fleming,<br />

Freedman, etc. En 1966, elle commanda une<br />

œuvre nouvelle au compositeur canadien<br />

Robert Fleming. En 1967, elle a créé le cycle<br />

The Confession Stone de Fleming à Stratford,<br />

Ontario. Confession Stone (The Songs of Mary)<br />

est un cycle de huit mélodies pour voix et<br />

piano d’après l’œuvre du poète afro-américain<br />

Owen Dodson (1914-1983). Confession Stone<br />

fut publié originalement dans le recueil<br />

Beyond The Blues, New Poems by American<br />

Negroes, paru en 1962 aux éditions Hand and<br />

Flower Press. Le cycle de Fleming demeure<br />

l’un des plus beaux jamais écrits au Canada.<br />

Accompagnée au piano par le fidèle John<br />

Newmark, la voix de Maureen Forrester est<br />

sublime et touchante. Elle a défendu cette<br />

œuvre tout au long de sa carrière. En tournée,<br />

elle apportait plusieurs copies de la partition<br />

(publiée aux Éditions Leeds, 1968) qu’elle<br />

offrait à des collègues ou musiciens désireux<br />

d’étudier ou d’interpréter le cycle. Forrester<br />

était à elle seule une véritable agence de promotion<br />

de la musique canadienne. Elle croyait<br />

– et c’est là une autre de ses contributions<br />

importantes – que les musiciens ne doivent<br />

pas se cantonner dans les œuvres du passé et<br />

regarder uniquement dans le rétroviseur. Les<br />

artistes, les orga nismes et les sociétés musicales<br />

doivent aller de l’avant, explorer, faire tomber<br />

les murs. L’art, c’est prendre des risques. Il<br />

existe de grandes œuvres contemporaines et<br />

l’on ne devrait pas les exclure sous prétexte<br />

que le public ne les aime pas d’emblée. Il faut<br />

exposer, sensibiliser le public à ces œuvres, lui<br />

permettre de les comprendre et les aimer. Ce<br />

débat est toujours d’une actualité criante. ■<br />

18 OCTOBRE <strong>2010</strong> OCTOBER

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